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#CIV Interview exclusive : Le ministre Alain Lobognon dit toute la vérité sur la mafia dans le football ivoirien


Derrière la victoire se cachait des primes dérobées de joueurs talentueux (Ph:Dr)

Derrière la victoire se cachait des primes dérobées de joueurs talentueux (Ph:Dr)

En Afrique le problème des primes impayées est considéré comme la racine du mal du football. La Cote d’Ivoire, jusqu’ici épargnée, a attrapé le virus du « détournement » et ce alors qu’elle vient de remporter la Coupe d’Afrique des Nations après laquelle elle courait depuis plus de 20 ans. Pour WFC, le ministre des Sports ivoirien Alain Lobognon répond à la polémique qui agite une nouvelle fois le football africain. 

Les faits divers dans le football se ramassent à la pelle. Mis à part la rocambolesque affaire du trophée de la Coupe monde 1966volé avant d’être retrouvé par un chien nommé Pickles, l’étrange malédiction s’appelle désormais les primes de participation à une compétition ou à un match. Jadis, elles étaient  impayées, désormais, elles sont confisquées. C’est la situation pathétique que vivent les Éléphants vainqueurs de la Coupe d’Afrique des Nations, après 23 ans d’attente.

L’évènement a été célébré, mais voilà que la question de primes vient saper le moral des troupes. Les héros de février, l’entraineur Hervé Renard en première ligne, veulent encore croire au miracle. « On veut bien laisser encore un peu de temps pour que tout s’arrange, mais il faut que cela intervienne avant la prochaine échéance (ndlr la phase éliminatoire de la CAN 2017), a-t-il expliqué avant d’ajouter « sinon, cela sera catastrophique ». Mais après ces déclarations, les joueurs ne voient pas encore le bout du tunnel puisque l’histoire révèle une brouille entre le ministre des sports et la Fédération Ivoirienne de Football.

« La Fédération Ivoirienne de Football fait de la diversion », l’interview du ministre des Sports ivoirien à retrouver à la suite de cet article

La Fédération se dédouane

Alors que les joueurs attendent toujours leurs butins, les dirigeants s’accusent mutuellement pour se dédouaner. La Fédération n’a pas attendu longtemps pour répliquer suite à la sortie d’Alain Lobognon, le ministre des Sports, qui a voulu leur faire porter le chapeau dans l’affaire des primes impayées de la CAN 2015. La FIF a réagi par un communiqué signé de la main d’Augustin Sidy Diallo, son président.

« Le Comité Exécutif de la FIF insiste sur le fait que la Fédération n’a pas été impliquée dans la gestion de ces fonds à quelque titre que ce soit. Cette tâche a été exécutée par la Régie des compétitions internationales, avant, pendant et après la CAN 2015, selon une procédure de règlement des dépenses bien établie par le ministre de la Jeunesse, des Sports et Loisirs en sa qualité d’ordonnateur des dépenses« , explique le communiqué qui ajoute : « La FIF s’est conformée à ladite procédure en présentant, aux représentants de l’État concernés, et en motivant, ses demandes de décaissement en conformité avec les éléments dudit budget et en leur communiquant les RIB (Relevé d’identité bancaire) des bénéficiaires respectifs des primes« .

La prime est bien détournée

Malgré ce que l’on tente de faire avaler aux joueurs, ces derniers savent que le Président de la République Alassane Ouattara a bien tenu sa promesse. Serey Die, un des premiers joueurs à monter créneau, est à ce propos très lucide. « Le Président de la République avait déjà décaissé l’argent, donc il faut qu’on nous paye. Parce que depuis, on nous fait tourner. Tantôt on nous dit que les virements ont été faits, tantôt on nous dit que ça va être fait dans quelques jours. J’avoue que c’est frustrant. Que celui qui doit payer notre prime le fasse », a-t-il martelé.

Pour Salomon Kalou le al est déjà fait, l’important est donc de démasquer le(s) responsable(s) afin que de pareilles situations ne se reproduisent pas. « Ce qui se passe n’est pas normal. Il faut que ce soit vite réglé, pour éviter que l’affaire ne prenne encore plus d’ampleur. Il y a visiblement de l’argent qui a disparu« , a-t-il indiqué à  nos confrères de Jeune Afrique.

Interview exclusive – Alain Lobognon, ministre des Sports ivoirien : « Les joueurs sont complices de cette mafia »

Le Ministre ivoirien de la Jeuneuse et des Sports Alain Lobognon répond sans détour à nos questions et accuse la Fédération Ivoirienne de détournement en pointant du doigt l’opacité, la mafia et les retro-commissions qui gouvernent le foot ivoirien.

WebFootballClub : Pouvez-vous éclaircir cette histoire des primes qui secouent le football ivoirien ? 

Le Ministre Alain Lobognon : « À ce jour certains ex-internationaux réclament des primes vieilles de plusieurs CAN. Pour celle de 2015, j’ai recommandé que les primes des joueurs soient payées par virement bancaire. L’argent est logé à la Banque du Trésor. Géré par un agent du Trésor. S’il y a des impayés, seul le relevé du compte peut le révéler. Alors posez la bonne question aux joueurs. Ils vous diront que le ministre ne gère pas les primes.

Pourquoi le trésor public n’a-t-il pas effectué les virements ?

AL : Retenez juste qu’en Côte d’Ivoire, les joueurs ne recevaient jamais leurs primes. Quand ils les recevaient, c’était du cash. Aucun journaliste ivoirien n’a encore posé la question au Trésor.

La Fédération Ivoirienne de Football vous responsabilise clairement…

AL : La Fédération Ivoirienne de Football fait de la diversion, se croyant intouchable. Elle est surtout mêlée à la corruption autour de l’argent du football avec la mafia qui retient les fonds.  

Vous voulez dire que Sidy Diallo et son administration ont détourné l’argent des joueurs ?

AL : Avez-vous vu la Fédération Ivoirienne de Football réclamer le relevé du compte ? Demandez-leur de réclamer le relevé du compte et vous aurez une réponse. Mon rôle est d’assainir le sport en Côte d’Ivoire. Et je ne reculerai pas. Demandez à la Fédération Ivoirienne de Football pourquoi le joueur Eric Bailly n’a reçu aucune prime.

Allez-vous suspendre l’actuel bureau de la Fédération Ivoirienne de Football ?

AL : Bonne question. Si je saisis la FIFA, une partie de l’opinion m’en voudra à mort. Pourtant, c’est un passage nécessaire pour le foot en Côte d’Ivoire. Je n’ai aucun pouvoir pour le faire. Seule la FIFA le peut. 

Quelle est la réaction du Président Alassane Dramane Ouattara sur cette histoire qui est entrain de ternir l’image du foot ivoirien ?

AL : Le Président Ouattara est meurtri. Cette histoire lui permet de comprendre et de découvrir le mal de notre football…

Avez-vous les moyens d’enquête pour savoir où est passé l’argent des primes et par quel circuit les sommes sont passées ?

AL : J’ai ma petite idée. Sans preuve, je crois que la Fédération Ivoirienne a reçu les fonds directement, piétinant la procédure des virements. Un joueur comme Eric Bailly n’a reçu aucune prime parce que le système de la rançon pour jouer chez les Éléphants a fonctionné. On te sélectionne, mais tu n’auras aucune prime. Si tu es d’accord, alors ça marche. Je crois que c’est ce qui explique qu’il n’ait reçu que les primes présidentielles que j’ai fait payer par les services de la Présidence. 

C’est çà le système de prime à la Fédération Ivoirienne intervient. À vous entendre la Fédération n’est ni plus ni moins qu’une mafia…

AL : D’autres joueurs auraient pu être délestés de leurs primes parce qu’aucun montant ne leur a été communiqué avant la CAN. Je confirme. Tous les journalistes ivoiriens le savent. Personne n’en parle… Sauf moi. Cherchez ! Vous verrez que j’ai dénoncé ce système après la CAN 2013 en Afrique du Sud. On sélectionne ceux qui sont prêts à abandonner leurs primes. Notez que personne en Côte d’Ivoire n’insiste sur le système de virement bancaire. 

Quel discours allez-vous tenir désormais pour convaincre les joueurs de revêtir encore le maillot national ? 

AL : Si les fonds n’ont pas été virés, où sont-ils ? Qui les a pris? La réponse n’intéresse personne à part moi. Je n’ai aucun discours vis-à-vis des joueurs. Ils sont tous « complices » de cette mafia.

Que voulez-vous dire ?

AL : S’ils avaient dénoncé après la CAN, la question aurait été réglée. Depuis ils se sont tous tus ! Ils ont laissé la Fédération Ivoirienne me salir. Pourtant, ils étaient en contact avec la Fédération Ivoirienne qui leur promettait de payer « très bientôt ». En Côte d’Ivoire, tout le monde me connaît sur la question de la transparence. Je milite pour asseoir en Côte d’Ivoire les bases d’un sport professionnel. Moi j’ai à faire à la Mafia qui empoche l’argent des sportifs. Je répète depuis que l’argent du sport doit aller aux sportifs. Les gens ont enfin compris mon message.

Et pourtant Salomon Kalou et Hervé Renard ont demandé que l’histoire des primes soit réglée ?

AL : Ils l’ont dit sur le tas… Mais bon, notez que je ne leur en veux pas. Ils sont victimes du système. J’ai le devoir de les protéger. Je les protège d’ailleurs. Mon vœu est de voir la transparence régner comme au Cameroun où tout est clair avant chaque CAN. En Côte d’Ivoire, la Fédération Ivoirienne entretient les secrets. Personne ne doit poser de question. Je suis aujourd’hui content que les joueurs en parlent. Imaginez que ce ne soient pas des virements bancaires. Quel joueur allait se plaindre de n’avoir pas été payé ? Il est important de fouetter la peur des joueurs. Il faut qu’ils se comportent en conquérant de leurs droits. Quand je parle de « complice », je dénonce leur silence qui a fait prospérer de telles pratiques dont n’a pas besoin le sport.

Quelles sont les solutions que vous préconiserez dans le futur pour palier à ses dérives ?

AL : D’abord des sanctions contre les fautifs. Sinon aucun système ne fonctionnera. Ensuite mettre en œuvre les réformes dont les textes en élaboration permettront de protéger les droits des athlètes. À ce jour, tous les sportifs en Côte d’Ivoire n’ont aucun droit. Ils sont livrés aux dirigeants. Faute de textes réglementaires, tout est dans l’informel. La Loi adoptée avant la CAN va repérer les torts faits aux sportifs qui gagnent et qui ne sont pas récompensés. Enfin, la transparence devra désormais entourer l’argent du football en Côte d’Ivoire. Jusque là, j’ai échoué à promouvoir la transparence. Avec le soutien du Président Ouattara et des membres du Gouvernement, je suis en train de réussir ma mission.

Pensez-vous qu’Hervé Renard va rester dans ses conditions ?

AL : Lier un probable départ ou le maintien d’Hervé Renard à cette affaire serait prôner la mauvaise foi. Nous sommes régulièrement intervenus pour convaincre Hervé à poursuivre son contrat avec les Éléphants. Ce fut le cas le 10 décembre avant la CAN quand informé de la décision de la FIF de lui trouver un remplaçant pour la CAN 2015, il menaçait de s’en aller. Il est resté parce qu’il a un caractère de champion. Il voulait gagner la CAN 2015. Il l’a gagnée. C’est à lui d’apprécier. Son avenir lui appartient. Et il connaît ma position sur son avenir en Côte d’Ivoire ».

Propos recueillis par Lassana Camara/webfootballclub.fr

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