Reportage / Pagnes Baoulé : A la découverte des tisserands de Sakiaré
Samedi 7 février 2015, à la faveur de la cérémonie de la messe de Grâce du Père Hyacinthe Ali Konan, notre équipe de reportage s’est rendu à Beboussou, sous-préfecture de Bengassou, dans le département de Bocanda. Laquelle randonnée nous a permis de faire une incursion dans l’univers des tisserands de Sakiaré. Village situé à 14 kilomètres de Tiébissou.
Il était environ 14 heures au moment où nous arrivions sur les lieux. La canicule était à son paroxysme. Assis sous de vulgaires tentes, confectionnées à l’aide de palmes, des jeunes s’emploient à tisser des pagnes traditionnels.
Tombée sous le charme et la beauté de leurs œuvres et la dextérité avec laquelle ils exercent cette activité, nous marquions un bref arrêt à leur niveau. Quelle beauté ! Des pagnes de tous genres s’offrent à nos yeux. De quoi s’extasier !
Evidemment, notre présence attire l’attention de l’un d’entre eux, qui, espérant avoir des clients, se dirige vers nous pour faire des propositions d’achats. Sans hésiter, nous déclinions notre identité, non sans lui faire part de nos préoccupations. Kouamé Luc, notre interlocuteur, sans coup férir accepte de se soumettre à la sagacité de nos questions. Saisissant l’opportunité de ces échanges, il nous explique leur condition de travail.
Par ailleurs, il ne manque pas de nous faire d’autres révélations. Entre autres, le statut social et professionnel des jeunes tisserands. « Nous exerçons cette activité pendant les congés et les vacances scolaires. Les bénéfices engrangés par la commercialisation de nos produits nous permettent de prendre en charge nos études scolaires », explique-t-il.
Le tissage, un métier de père en fils
Contrairement à ce que nombre d’observateurs pourraient penser, Kouamé Luc explique que ce métier est un héritage laissé par leurs parents. « Nous n’avons reçu aucune formation. Nous avons appris auprès de nos parents qui, à leur tour, ont appris auprès de leurs parents. C’est une sorte d’héritage. » A-t-il renchérit.
Nos investigations ont également révélé qu’à la vérité, les tisserands Baoulé, sont tous des cultivateurs qui vaquent à leur activité principale qui est l’agriculture. Pour des raisons liées à leurs coutumes, choisissent-ils, les après-midi des jours suivants : mercredis, vendredis et dimanches, jours considérés comme sacrés et interdits pour des activités de la culture de la terre. A contrario, ils les consacrent aux cultes de la terre. Pour combler ce vide, les tisserands le mettent à profit pour le tissage des pagnes traditionnels, une activité très réputée dans la région. Les villes de Toumodi, Dimbokro, Tiébissou, Yamoussoukro… situés dans le centre du pays sont celles qui sont reconnues pour l’exercice de ce métier de l’artisanat.
De l’approvisionnement en matériaux de tissage
Pour rappel, le fil de coton est le principal matériau utilisé dans le tissage du pagne Baoulé. Son ‘approvisionnement, jadis local est de nos jours le fait de commerçants maliens. Selon des informations recueillies auprès des jeunes tisserands, les femmes étaient chargées de préparer la matière première. Elles égrenaient, cardaient et filaient le coton récolté dans leurs champs respectifs. Les bobines de fil naturel et brut étaient elles vendues entre 10 et 20 FCFA, le fuseau.
Du fil écru au fil industriel
Il ressort de nos investigations qu’aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Parce que l’époque du fil écru a fait place à celle du fil industriel. De fait, le fil industriel provient des environs de Bouaké qui fournit le coton dûment teint à tous les tisserands des différentes localités citées plus haut. Entre autres sources d’approvisionnement, notre interlocuteur nous a fait savoir que le Mali est leur principal fournisseur. « Nous nous approvisionnons en fil provenant du Mali voisin. Le rouleau coûte 7000 FCFA. Avec ce rouleau qui peut faire plusieurs couleurs, nous pouvons tisser quatre complets de pagnes dont le prix varie de 12 à 30 0000 FCFA. Contrairement au fil coloré qui coûte 3750 FCFA à Sakiaré et 3500 FCFA à Bouaké, ce fil est fait d’une seule couleur et n’a pas besoin d’être retravaillé », a-t-il précisé. Avant d’ajouter que concernant la teinture, deux teintures traditionnelles sont prises en compte. Notamment l’indigo et la noix de cola. Dont l’obtention se fait par la macération de feuilles et de noix de cola pilées et séchées, mélangées à une solution de potasse. Pour la durée des bains, il faut compter 20 à 30 minutes selon lui. La couleur souhaitée, selon Kouamé Luc dépend donc de l’augmentation du nombre de bains. On retiendra entre autres pagnes confectionnés, le « Yassaoua Kondro », qui est un pagne de cérémonie. Les couleurs utilisées sont le rouge et le vert. Cette catégorie de pagnes est plus répandue à
Yamoussoukro, capitale politique et village natale du père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, Félix Houphouët Boigny . Au demeurant, dans la fabrication des bandes tissées des pagnes, distingue-t-on plus de vingt dessins traditionnels avec chacun un nom particulier. Les plus appréciés sont : Dangô, Bia, Soplin, Tâmbé. Tous ces motifs servent à la réalisation des pagnes d’hommes. Mais, qui sont les clients ? Sans hésiter, notre interlocuteur soutiendra que la majorité des clients, provient d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. « Nos clients composés en majeur partie de femmes, viennent toutes d’Abidjan et de différentes villes du pays. Tout se fait sur commande, et notre prix de gros est de 11 000 FCFA pour les pagnes destinés aux femmes. Et 30 000 FCFA pour ceux destinés aux hommes», a-t-il indiqué.
La plaidoirie des tisserands de Sakiaré
Dans l’exercice de leur activité, les jeunes tisserands de Sakiaré rencontrent d’énormes difficultés. Notamment le problème d’abris et de salles d’expositions. En effet, selon Kouamé Luc, ‘’nous travaillons sous le soleil. Et quand vient la pluie, nous n’arrivons même pas à pointer le nez dehors. Nos revenus ne nous permettent pas de construire des salles appropriées pour notre activité », a-t-il déploré.
Que dire de l’écoulement de leurs œuvres ? La saturation du marché est selon notre interlocuteur, le véritable problème auquel, sont confrontés les tisserands en général et les jeunes de Sakiaré en particulier. Qui, selon lui, se limiterait aux clientes du district d’Abidjan. Voilà pourquoi, souhaiteraient-ils le concours et l’aide du ministère de l’Artisanat pour la recherche de débouchées et d’octroi de fonds d’aide pour mener à bien cette activité qui reste leur principale source de revenus. Non sans ajouter que de nombreuses promesses ont été faites sans toutefois être tenues. « Nous avons été
recensés en novembre 2014, par une dame du Bnetd qui envisageait créer une Ong pour nous venir en aide. Cette initiative nous a donné une lueur d’espoir. Mais voilà bientôt un an que nous attendons en vain », a-t-il regretté. Soulignons que les jeunes de Sakiaré, malgré les difficultés rencontrées dans l’exercice de leur activité n’entendent pas pour autant abandonner le métier de tisserand, leur principale source de revenus. Cependant, attendent-ils des autorités compétentes ivoiriennes et de bonnes volontés, une réelle implication pour leur permettre, non seulement de valoriser cette activité, la faire connaître davantage, mais aussi de vivre de ce métier.
Opportune Bath
(Envoyée spéciale à Bocanda via Sakiaré)
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