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Des « réfugiés » ivoiriens au cœur de la broussaille de « Petit Manathan », à Abidjan #CIV


Une vue du site sur les ruines de la démolition

Une vue du site sur les ruines de la démolition. Ph.lepointsur.com

Abidjan, le 24-6-15 (lepointsur.com)- Il est un peu plus de 11h GMT, ce samedi 13 juin 2015, quand nous approchons le site des 41 maisons rasées. Quelques cris de moineaux se mêlent aux bruits de véhicules qui passent et repassent sur la rue Paul Langevin, en zone 4c, appelée communément « Petit Manhattan » dans la commune de Marcory à cause du standing de ses bâtisses.

Plus de commerce de vente d’attiéké (couscous de manioc) en gros pour dame Abby Allo, activité commerciale qu’elle avait exercée pendant plusieurs années, dame Abby Allo a ravitaillé par le passé le Centre Hospitalier Universitaire (Chu) de Treichville et le Groupe Scolaire Notre Dame de Biétry. Désormais,  l’heure est au regret pour cette battante. « Ce commerce m’aidait à faire face aux obligations scolaires de mon fils, Abi Jean-Boris, qui a été obligé d’arrêter ses études en classe de 3ème, à cause de la démolition de notre maison», explique dame Abby Allo qui s’est reconvertie en vendeuse de boules d’attiéké réchauffées pour garantir la pitance quotidienne de sa petite famille. Contraint d’interrompre ses études, Abi Jean Boris, lui, s’est reconverti en aide-maçon pour venir en aide à sa génitrice. « À ce jour, il aide les maçons avec les autres jeunes déscolarisés pour me soutenir dans l’achat du bois de chauffe et du charbon de temps en temps», indique la vendeuse.

Mme Abby Allo n’est qu’un exemple parmi les nombreuses victimes de la démolition des 41 maisons de la cité ex-Ran PK 6,  (Marcory Zone C4) rasées, le vendredi 11 avril 2014, par le présumé opérateur économique, Fouad Omaïs. Une opération qui a jeté à la rue plus de 1000 personnes. Celles  parmi elles, n’ont pu avoir de familles d’accueil comme la vendeuse d’attiéké, continuent de vivre sous une bâche installée sur les ruines et gravats de cette démolition. Ces « réfugiés » d’une autre époque du quartier chic de la commune de Marcory dénommé « Petit Manhattan » sont exposés au quotidien à de nombreux risques  dont des maladies de tous genres. Même l’église qui accueillait les fidèles est désormais un amas de pierres. Aujourd’hui, la tristesse, l’émotion et les bons souvenirs devenus trop lointains, sont les seuls compagnons de ces sinistrés qui crient à l’injustice et accusent…

Le lac né des dernières pluies sur le site, juste derrière la bâche

Le lac né des dernières pluies sur le site, juste derrière la bâche.

Grand Reportage/ Camp de victimes des 41 maisons démolies de la cité Ran PK 6: Des « réfugiés » Ivoiriens au cœur de la broussaille à Marcory # CIV

Attirées par notre présence, quelques victimes de la démolition restées sur place, nous dévisagent. Nous avions déjà effectué plusieurs déplacements avec elles dans le cadre de nos différents reportages relatifs à l’affaire de la démolition. Retranchée à une vingtaine de mètres, de la voie principale, légèrement cachée dans la broussaille qui a envahi le site rasé, la présidente et porte-parole des femmes, Mme Gayé Jeanne d’Arc qui, nous a reconnus depuis la bâche sort pour nous accueillir. Sans autre forme de procès et sans même attendre nos questions, elle met le pied dans le plat. «Nous sommes plus de 40 personnes restées sur place. Monsieur le journaliste, c’est en bas de cette bâche que nous vivons depuis le mois de novembre 2014», indique la dame, le regard hagard.

Sur sa lancée, la présidente égrène un chapelet d’évènements et de malheurs qui se sont succédé en moins d’un an  au sein des différentes familles. Quatre des leurs, dont deux hommes et deux femmes sont décédés. Il s’agit de deux quiquagénaires, MM. Aka Philippe et de Yao Kouamé dont la moyenne d’âge était de 50 ans. Du côté des dames, les victimes continuent de s’interroger et de s’apitoyer sur le sort de Mmes Ayo Yolande et Diogbo Angélique, toutes deux âgées d’environ 40 ans, rappelées à Dieu. « Ils sont tous décédés dans des conditions misérables et des suites de courtes maladies. Nous sommes persuadés que ces défunts n’ont jamais digéré  les conditions dans lesquelles nous  vivons», explique difficilement Mme Gayé,  ouvrant ainsi la brèche aux cas de maladies dont la plupart d’entre eux souffrent  et  surtout  les plus petits.

Des « réfugiés » sans aucune assistance médicale

Quelques sinistrés trouvés sur place

Quelques sinistrés trouvés sur place

Loin des hôpitaux, pour des raisons pécuniaires, les  40 habitants de l’actuel site, n’ont aucune assistance médicale des Organisations non gouvernementales (ONG), encore moins des structures sanitaires étatiques. Dans la plupart des cas, ils se soignent avec les médicaments de la rue. De plus, en cas de  consultation, il faut faire face aux ordonnances médicales qui ne sont pas à leur portée. « J’étais obligée de retirer ma fille de 6  ans hospitalisée dans une clinique de la place, par manque de moyens financiers pour terminer les traitements de paludisme à l’indigénat, ici », explique Mme Kouamelan, la mère de la petite, Grâce Kouamelan dont l’état de santé s’est heureusement amélioré ce samedi 13 juin 2015. Debout derrière sa mère assise à même une natte, la petite Grâce, insouciante, joue avec les cheveux de celle-ci, sourire aux lèvres.

A l’analyse, les maladies récurrentes auxquelles s’exposent « les réfugiés », semblent être la résultante de l’insalubrité dans ce petit camp perdu dans la broussaille, de « Petit Manathan » en plein cœur d’Abidjan, au milieu des détritus. La seule et unique bâche qui accueille aussi vêtements, seaux, chaussures, matelas épars baignent dans les urines des enfants. Comme si cela ne suffisait pas,  les dernières pluies du mois de juin en rajoute aux odeurs pestilentielles,  voire insoutenables des matelas et vêtements  sous l’abri. « Nous sommes obligés de faire avec. On va aller où ? » nous interroge dame Kouamelan.

En effet, à cause des pluies diluviennes, un lac a vu le jour dans le camp sur les ruines. Un véritable nid de moustiques, qui allonge la souffrance des « réfugiés », en les exposant à des attaques palustres. Outre le paludisme qui fait des ravages, les quarante habitants souffrent de diverses autres maladies. La porte-parole des femmes, Mme Gayé Jeanne d’Arc souffre d’une maladie cardiaque. « La consultation coûte 15.000 FCFA et les ordonnances avoisinent  les 30.000 FCFA. Où je vais enlever cet argent ? » s’interroge-t-elle, non sans affirmer qu’elle est obligée de s’en remettre aux vendeurs de médicaments traditionnels. L’octogénaire Yobouët David et sa femme sont aussi malades. « Il est sorti vers 9 heures, avant votre arrivée, chercher des racines et d’autres médicaments traditionnels vendus au marché d’à côté, pour préparer son « canari »», soutiennent  la porte-parole et les « réfugiés » rencontrés  sur place. « Monsieur le journaliste, la situation a réveillé les maladies enfouies en nous», argumente Mme Abby Allo, occupée à la préparation de l’attiéké pour la commercialisation sur place.

La petite fille, Grâce a retrouvé le sourire après la maladie

La petite fille, Grâce a retrouvé le sourire après la maladie

Ici, on se débrouille comme on peut. L’intimité, on ne connaît pas, on est exposé au viol…

Ce n’est pas l’étudiant, qui a interrompu ses études en Master 1 en service informatique, Maguy Thierry, qui dira le contraire. Lui qui a du mal à expliquer les engagements pris et non tenus par le ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, Anne Désirée Ouloto qui a demandé la liste des scolarisés, lors de la réception des sinistrés à son cabinet le 2 mai 2014, au 16ème étage de la tour E. « Il y a un an, le directeur de cabinet de la ministre, Anne Ouloto est passé ici pour nous dire de lui transmettre la liste de tous ceux qui étaient scolarisés.  Les différents va-et-vient de nos parents et les appels sont restés sans suite. Beaucoup de scolarisés sont rentrés au village », explique la gorge nouée, l’étudiant qui a tout arrêté pour être un aide-maçon comme les autres.

Pour prendre leur bain, « les réfugiés » sont obligés de se réveiller très tôt le matin, aux environs de 5 heures. Cela n’empêche nullement les  regards indiscrets de chauffeurs de taxis dont certains prennent le malin plaisir à stationner pour se soulager, « rien que pour nous regarder ». « On s’habille devant nos enfants à l’intérieur de notre ʺ maison ʺ », indique dame Kouamelan qui dit s’être retrouvée nez à nez, une nuit, avec un visiteur inopiné, la braguette ouverte et en érection. « Madame, je veux faire un coup, pardon voici deux billets de cinq cent francs»,  avait proposé l’indélicat. La présence des autres habitants qui ont été réveillés par les cris de dame Kouamelan, n’a en aucune façon altéré l’ardeur et la détermination de l’individu qui voulait coûte que coûte se payer une partie de jambes en l’air.

« Il a répété les mêmes phrases devant les jeunes qui voulaient le dissuader en  le menaçant. Il  n’a dû son qu’à certains « réfugiés  »  du camp, qui ont préféré l’accompagner loin de la cabane ». « Les gens pensent que nous n’avons rien et donc, nous sommes prêtes à nous livrer au premier venu,» s’offusque la porte-parole.

« Nous avons adressé plusieurs courriers à des ONG de bienfaisance que nous évitons de citer ici,  pour assistance, mais en vain. Nous sommes aidés de temps en temps par des personnes de bonne volonté, qui préfèrent garder l’anonymat. Ils nous offrent des vivres et non vivres et nous les en remercions», révèle dame Gayé Jeanne d’Arc qui ne manque pas de rendre hommage au locataire de bâches et chaises du quartier, qui a offert gracieusement la bâche sous laquelle la famille de quarante personnes a trouvé refuge.

En cette saison pluvieuse, malgré quelques dons en vivre de personnes de bonne volonté, il est difficile aux dames de faire la cuisine. « Quand, il pleut,  on achète du pain et du sucre pour que les enfants puissent manger. Nous n’avons pas les moyens de faire du café au lait ou de les conduire chez un vendeur de café», argumentent les femmes.

La mairie, le conseil, le ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant se prononcent

L'intimité que les victimes nous ont permi de filmer

L’intimité que les victimes nous ont permi de filmer

A la mairie de Marcory, commune qui abrite les sinistrés, le service communication indique que « c’est un dossier qui engage l’Etat de Côte d’Ivoire ».  « Au niveau de la mairie, nous avons une pression foncière qui fait qu’on ne peut pas dégager une cité en tant que telle. D’ailleurs, les nouveaux acquéreurs, qui suivent tout aussi bien le dossier comme nous , sont dans l’attente. Fort heureusement, le ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant a pris le dossier en main. La mairie, elle, apporte une assistance factuelle quand  cela est nécessaire. En tout état de cause, le maire reste ouvert à toutes sortes de négociations (…) C’est vraiment une situation malheureuse, toutefois, nous espérons qu’une solution définitive sera trouvée à cette affaire…. ». Au plan pénal, l’affaire de la démolition des 41 maisons est  suivie comme du lait  sur le feu par le conseil des victimes. Après la plainte qui n’a pas eu de suite auprès du parquet, le conseil a introduit une citation directe selon des sources proches du dossier. La seule voie selon laquelle le mis en cause peut comparaître. « C’est dans cette optique que nous avons été approchés depuis deux mois, pour un règlement amiable qui piétine», indique l’avocate,  expliquant par ailleurs que le règlement amiable tourne autour de la demande formulée devant le juge civil, à savoir : « reconstruction des maisons pour différents riverains, selon le cas leur trouver un autre site similaire.»

De source proche de la  direction du ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, un responsable, mieux au fait du dossier s’exprimant sous le sceau de l’anonymat, précise:« L’objectif était d’apporter une contribution aux sinistrés et de les encourager à trouver des familles d’accueil parce qu’étant sous la pluie et le soleil. » Aussi, soutient-il, « quand Mme la ministre (Ndlr : Anne-Désirée Ouloto) les recevait, elle a été informée de la poursuite judiciaire qui devrait être engagée contre M. Fouad Omaïs, mais il n’a jamais été question de les relocaliser. Leur porte-parole, Mme Jeanne d’Arc peut le témoigner ». En d’autres termes, aucun engagement n’a été pris par Mme Désirée-Anne Ouloto comme le font croire les sinistrés quant à leur relocalisation, ainsi que la scolarisation des élèves et étudiants.

Rester sur place pour suivre le déroulement de l’affaire

Plus de commerce de vente d’attiéké en gros (amidon de manioc) pour dame Abby Allo. Derrière elle de Gauche à droite: L'étudiant, Maguy Thierry la présidente et porte-parole des femmes, Mme Gayé Jeanne D’Arc et sa fille

Plus de commerce de vente d’attiéké en gros (amidon de manioc) pour dame Abby Allo au premier plan. Derrière elle de Gauche à droite: L’étudiant, Maguy Thierry la présidente et porte-parole des femmes, Mme Gayé Jeanne D’Arc et sa fille

Partir ou rester ? Les 40 « réfugiés » des lieux ne pensent même pas à la première hypothèse. Ils attendent que justice leur soit rendue. « Vous pensez que les autorités ne savent pas que nous vivons ici ? Je ne pense pas. Ils savent que l’acte que l’opérateur économique, Fouad Omaïs, en complicité avec certains membres du gouvernement et le maire ont posé,  est inhumain», martèlent les sinistrés qui ont du mal à expliquer la manière dont leurs maisons ont été démolies par des engins aux environs de 5h du matin en avril 2014, « sans avis d’expulsion », avec une sécurité composée de loubards et de forces de l’ordre régaliennes. « A-t-on besoin d’être le meilleur juge au monde pour trancher dans une telle affaire, où les faits sont suffisamment établis et  dont les images vidéos ont fait le tour du monde ? Pour sûr, il y a des mains obscures, des proches du gouvernement, dans cette affaire »,  affirme, dépité, Maguy Thierry qui croit en la justice de Dieu et non  en celle des hommes. « Seul Dieu est juste et vérité sinon ceux qui sont derrière cette affaire veulent notre mort», coupe-t-il court.

La justice, le dernier recours  

A l’opposé, certains ont foi en la justice qui suit l’affaire, mais s’inquiètent du temps que prendra la procédure. Depuis l’ouverture du procès,  le lundi 26 mai 2014, le porte-parole du camp, Allah Kouadio, un non-voyant dont l’épouse vient d’accoucher et qui s’est trouvé un abri de fortune dans un quartier précaire  de Gonzagueville, dans la commune de Port-Bouët, dans Sud d’Abidjan, est régulier sur le site. Il fait la navette entre sa nouvelle habitation et les siens  restés sur place pour s’enquérir de leurs nouvelles. «Tôt ou tard, la vérité va éclater dans cette affaire et ceux qui ont causé la mort subite de nos amis et frères paieront ici bas», soutient-il. En effet, des enquêtes à la brigade de recherche de la gendarmerie au Plateau en 2014, jusqu’à la dernière audition en avril 2015, au Palais de Justice du Plateau, les sinistrés réclament leurs maisons ou un quartier reconstruit. « Si la première Dame fait des dons de maisons à des démunis, en compagnie de celle qu’elle considère comme sa sœur, la ministre Anne-Désirée Ouloto qui est au fait de notre souffrance, pourquoi ne fait-elle pas ce geste en notre endroit?», s’interroge le porte-parole. Pour lui, cette  éventuelle assistance vaut son pesant d’or et sera la bienvenue dans la mesure où « les risques de maladies  contagieuses, d’attaques de bandits de tout acabit, de viols de femmes… sont réels ».

Tout compte fait, tous ces déboires n’altèrent en rien la volonté des sinistrés de voir la vérité éclater un jour. Bien au contraire, ils semblent transcender tous ces malheurs et difficultés en les considérant comme des défis de la vie. « Nous nous battrons jusqu’à ce que justice soit rendue en notre faveur. C’est trop facile…», conclut Allah Kouadio avec l’espoir que justice sera rendue pour que triomphe le droit.

Sériba Koné

kone.seriba67@gmail.com

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