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[Entretien] Nan Gouli André (Enseignant de lettres à la retraite) jette un regard lucide sur le système éducatif ivoirien des années 60 à 2000 : « La rigueur de notre époque a été source d’éveil et de conscience »


Abidjan, le 10-06-2022 (lepointsur.com) Nan Gouli André est l’une des fiertés intellectuelles de l’ancien Cercle de Man ayant pour capitale la ville de Man, actuelle capitale du District des Montagnes en Côte d’Ivoire.

Figurant parmi les deux premiers bacheliers du canton Blouno (Sous-préfecture de Sangouiné dans la région du Tonkpi), tout comme le colonel médecin Tan de Saguipleu, il a successivement fréquenté dans plusieurs établissements de l’enseignement primaire et secondaire en Côte d’Ivoire. Ainsi, de Logoualé à Dabou, en passant par Man, Odiéné et Bouaké, l’homme est tombé, un jour,  sous le charme professionnel de son cousin, alors instituteur.

A l’école normale de Dabou, il obtint le BAC philosophique en 1971, puis le CAP CPL à l’école Normale Supérieure d’Abidjan. En 1975, il fait un stage de perfectionnement en anglais, à l’Institut des langues d’Accra  au Ghana.  Il embrasse ensuite la vie active et professionnelle dès les années 76 où il a exercé en qualité de professeur de Lettres Modernes dans plusieurs établissements secondaires publics, avant de prendre sa retraite, en 2003, au Lycée moderne de Guiglo.

Depuis, il vit désormais dans sa plantation à Gblapleu, village situé à 15km dans la Commune de Guiglo. Une retraite paisible qu’il réussit pour l’avoir très bien préparée, en amont, alors qu’il était encore en fonction.

C’est dans sa plantation où il s’adonne aux activités agricoles, loin des livres, des bibliothèques et du brouhaha de la grande ville de Guiglo, que ce grand homme de Lettres passe le clair de son temps, sainement, avec humilité et très grande mesure.

D’ailleurs, c’est en cet endroit si calme et très paisible qu’il a accepté de nous accorder cette interview. Un entretien au cours duquel l’un des deux premiers bacheliers du canton Blouno, dans la Sous-préfecture de Sangouiné souffre de réminiscence et fait une étude comparative entre le système éducatif ivoirien d’hier et celui d’aujourd’hui.

Par ailleurs, il profite de notre micro pour inviter les jeunes fonctionnaires d’aujourd’hui à éviter plus tard, la psychose de la retraite en la préparant, dès les premiers instants de leur carrière professionnelle. A plus de 70 ans, l’homme de Lettres s’est exprimé, à cœur ouvert, baignant dans le fleuve de la santé, toujours souriant. Interview !

Plusieurs noms en pays Yacouba sont proverbiaux. Votre nom obéit-il à ce principe traditionnel ? 

Je tiens tout d’abord à vous remercier de l’opportunité que vous m’offrez ce jour pour m’exprimer dans votre organe de presse en ligne.

Au sujet du nom en pays Yacouba, il faut dire que mon cas est une particularité car mon nom n’est pas un proverbe. Mon nom, faut-il le souligner, est une métaphore qui désigne des choses précises dans la vie. « Nan » signifie soleil. A Danané, c’est « L’an ». C’est à Logoualé où l’on appelle le soleil « Nan » que mes pièces ont été établies, à l’époque. Vous comprenez donc l’impact socio-linguistique de la culture Dan sur mon nom.

« Gouli », le nom de mon père devenu par la force des choses mon prénom, signifie la guerre. En fait, mon père s’appelle « Glouman » c’est-à-dire l’oiseau qui annonce la guerre. Je ne sais trop pourquoi, mais j’y pense le plus souvent quand je suis seul.

Votre nom, à votre humble avis, a-t-il eu un impact sur vous, dans votre parcours ?

Franchement, je n’y ai jamais pensé. Mais ce que je sais, c’est que j’ai fait et je continue de faire ce que je peux dans la mesure de mes forces pour briller comme le soleil. Car dans ma vie j’ai mené beaucoup d’activités depuis mon jeune âge jusqu’à ce jour. Leader, j’ai rassemblé tous les jeunes de la sous-préfecture de Sangouiné notamment ceux du canton Blouno (canton à cheval sur Man et Danané). A cette époque, nous avions fait bouger les choses en tant que les premiers élèves, étudiants voire les premiers cadres dans l’avenir. C’est ce qui justifie le fait que tous me connaissent pratiquement chez nous.

Parlez-nous un tout petit peu de votre cursus scolaire.

La première chose que j’ai remarquée, c’est qu’à Logoualé où j’ai débuté mon premier cycle scolaire, nous avions un enseignant hyper méticuleux voire sévère du nom de Monsieur Bossé Nathanaël, un Dida. A l’époque, nous faisions déjà les dictées au CP2. Avec lui, nous recevions 2 coups de chicottes pour deux (2) fautes. Ainsi, de peur d’être frappé, je me suis mis à la tâche. Toute chose qui a forgé et/ou réveillé en moi des aptitudes cachées de littéraire. C’est le lieu de dire à juste titre, sans risque de me tromper et sous la forme d’une simple hypothèse que la rigueur de notre époque a bien été pour nous, une grande source d’éveil de conscience.

Quel regard portez-vous sur cette ère nouvelle avec ses pesanteurs de Droits Humains dans le système scolaire actuel?

De nos jours, il ya un trop grand laisser-aller. Il ya le délaissement des enfants par leurs parents au profit de leurs activités à but lucratif. Ici, le dieu argent règne, supplante tout. Alors qu’autrefois, malgré que les parents ne savaient pas lire et écrire, ils faisaient tout de même la police derrière leurs enfants, dernière nous. Analphabètes de même rang que Fama, ils nous incitaient à aller plus loin pour faire l’honneur de la famille, la grande famille. L’écart-type est là, tout net et ahurissant : des intellectuels négligeants opposés aux analphabètes rigoureux. C’est un vrai paradoxe et c’est bizarre.

Il faut le dire aussi clairement, le mal dont souffre l’école ivoirienne provient de l’enseignement télévisuel qui a déconcentré les élèves par les images. À ces deux premiers facteurs s’ajoutent la rue et la télévision qui influent toujours négativement sur le rendement des enfants.

Abordons un tout petit peu votre retraite. Comment la passez-vous ? 

Merci d’aborder ce volet de ma vie professionnelle. Ma retraite, il faut le dire, se fait sans repos car je me force à faire des travaux divers. Après les activités professionnelles, j’apprends à vivre une autre expérience, celle du village. Biensûr les parents ayant été paysans, j’ai gardé d’eux ce qu’ils m’avaient enseigné, c’est-à-dire le travail de la terre. Ainsi grâce au vieux Gbla (fondateur du village Gblapleu), j’ai pu avoir un lopin de terre que chaque jour, je tente modestement de le mettre en valeur. Hormis cela, je me sens mal à l’aise étant donné que je suis inactif sur le plan intellectuel.

Tout à l’heure vous m’avez surpris en train de mettre en terre quelques tuteurs d’igname. C’est de là que provient ma force vitale sanitaire, à plus de 70 ans. Vraiment, j’aime le travail de la terre. Toute ma famille vit aux USA où mon épouse, en tant que journaliste, a fait partir nos 3 enfants depuis 2000. Pour eux je pourrais commencer quelque chose d’autre mais moi, je suis partant (Grande émotion…car l’homme présage de la fin de sa vie sur terre).

Vous sentez-vous comme une bibliothèque non mieux exploitée depuis votre retraite ?

Non! Je ne pense pas ainsi. Après 5 ans de service déjà j’ai été promu professeur-encadreur des professeurs-stagiaires. Outre ceci, j’ai été distingué meilleur professeur au lycée de Guiglo. Enfin, alors que j’étais parti payer mes impôts au trésor, l’un de mes anciens élèves que j’ai eu en 6eme et qui m’a reconnu les a payés à ma place. Il avait gardé un souvenir de moi: le dernier roman d’Anne Mairie Adiaffi que nous avons étudié. Au tribunal de Guiglo, je ne paie rien chaque fois que je suis appelé à établir des dossiers administratifs. L’enseignant, peut-être quand vous avez bien fait, c’est à la retraite que vous ne regretterez pas. En clair, on peut donc dire que c’est la reconnaissance de l’enseignant dans le public qui le fait grandir.

Pourquoi selon vous certains ont peur de partir à la retraite ?

Écoutez ! S’ils ont peur, c’est qu’il y a inquiétude. Mais il n’est jamais trop tard pour mieux faire. C’est pourquoi je les invite à se ressaisir et à recommencer à préparer leur retraite même s’il ne leur reste plus assez de temps. C’est d’abord un processus psychologique avant d’avoir plusieurs aspects. Il faut savoir se préparer à autre chose. Par exemple, on pourrait penser aux activités à faire à la retraite.  A ce propos, Feu le Président Houphouet-Boigny disait à juste titre qu’on ne finit jamais d’apprendre. C’est le lieu pour moi de dire avec mesure à tous les jeunes fonctionnaires qui débutent aujourd’hui, de penser à leur retraite car quand elle est bien préparée, on n’a point de psychose.

Votre dernier message.

Juste pour dire que mes enfants et mon épouse me manquent énormément. Je les salue et que Dieu veille sur eux.

Laine Gonkanou, Correspondant Régional

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