Exclusif : Déchets toxiques/ Alassane Ouattara va-t-il se faire avoir ?
C’est un extraordinaire retournement de situation. Trafigura et Puma Energy, les deux pollueurs qui en 2006, ont déversé des tonnes de déchets toxiques en Côte d’Ivoire avant de prendre la fuite, pensaient s’être entourés de toutes les garanties, en versant 105 milliards (le gouvernement Gbagbo n’a déclaré que 100 milliards), à la suite d’un étrange protocole dans lequel le régime Gbagbo s’était engagé à leur éviter tout procès en Côte d’Ivoire.
Sauf que huit ans plus tard, des fonctionnaires ivoiriens emprisonnés dans le cadre de cette affaire, qui ont perdu leur travail mais qui au cours du procès en Cour d’Assises ont été proprement acquittés en raison des fausses déclarations faites par ces deux sociétés au niveau du port d’Abidjan sur la nature du produit transporté par l’infernal bateau du nom de « Probo Koala », ont décidé de poursuivre les pollueurs en justice.
L’un de ces fonctionnaires – les autres préparent leur plainte – grand sachant de l’esprit dans lequel les déchets toxiques ont été déversés à Abidjan, a déposé entre les mains de la justice ivoirienne, une plainte en bonne et due forme et réclame un dédommagement de plusieurs centaines de milliards. La justice ivoirienne qui, comme chacun le sait, a été piétinée et humiliée dans le cadre de cette affaire, a jugé la plainte recevable.
Mais voilà, après avoir tenté de minimiser la plainte, Trafigura et Puma Energy viennent de réaliser qu’ils courent un immense danger. Et, comme ils l’ont fait en 2007 avec le régime Gbagbo, ils viennent de décider de contraindre le régime Ouattara à voler à leur secours pour leur éviter une éventuelle condamnation.
« L’Eléphant » qui suit cette affaire depuis la MACA où il a eu le privilège de séjourner avec quelques inculpés qui n’ont pas hésité à parler et qui suis également depuis quelques semaines cet autre développement de ladite affaire, a cherché à savoir pourquoi ces deux pollueurs entendent obliger le régime Ouattara à intervenir.
Ils déversent la mort à Abidjan et utilisent l’argent pour se protéger
Courant 2006, les sociétés Trafigura Beheer B.V, Trafigura Limited, en passant par leur filiale en Côte d’Ivoire, Puma Energy Côte d’Ivoire, avaient consciemment déversé dans la ville d’Abidjan et ses environs, des dizaines de tonnes de déchets toxiques, causant plusieurs morts parmi les populations.
Devant le scandale et pour éviter la prison leurs représentants locaux arrêtés par la justice ivoirienne, les grands clercs de ces sociétés ont réussi à amener le gouvernement Gbagbo à transiger à travers un protocole d’accord dont le contenu est en réalité une grave atteinte aux droits de l’homme.
En versant 105 milliards de FCFA, ils avaient réussi à faire libérer leurs représentants locaux et à s’offrir un bouclier anti-poursuite judiciaire de la part de l’Etat et de tout autre citoyen ivoirien.
Le protocole d’accord signé avec le régime Gbagbo, contrairement à ce que racontent aujourd’hui les responsables de Trafigura dans un document dont « L’Eléphant » vient de se procurer une copie, n’a jamais été mis à la disposition des Ivoiriens.
C’est qu’il y a d’abord eu un premier protocole d’accord dans lequel l’Etat ivoirien réclamait près de cinq mille milliards aux pollueurs. Lesquels avaient fait une contre-proposition de payer 117 milliards. Mais ce premier protocole d’accord, on ne sait trop pourquoi, a été abandonné et n’a pas été signé.
Suivra la rédaction d’un deuxième protocole d’accord sur lequel « L’Eléphant » vient de mettre la patte et dans lequel l’Etat ivoirien demandait non plus cinq mille milliards mais plutôt six cents milliards comme provision avant que les experts ne déterminent la valeur réelle du préjudice subi. Finalement, ce protocole d’accord, après la libération des responsables locaux des pollueurs sera signé et la somme de 105 milliards sera versée au gouvernement Gbagbo qui a écrit : « L’Etat de Côte d’Ivoire constate que les Parties Trafigura ont fait la preuve de leur sens des responsabilités et de leur volonté de s’intégrer dans le tissu économique de Côte d’Ivoire, et sont dès lors habilitées à poursuivre leurs activités dans ce pays. L’Etat de Côte d’Ivoire s’engage à : garantir les parties Trafigura qu’il fera son affaire de toute réclamation au titre des évènements ; prendre toutes les mesures appropriées visant à garantir l’indemnisation des Victimes des Evènements (…) L’Etat de Côte d’Ivoire renonce définitivement à toutes poursuites, réclamation, action ou instance présente ou à venir qu’il pourrait faire valoir à l’encontre des parties Trafigura dès lors que ces poursuites, réclamations, actions ou instances ont ou auraient comme cause, conséquence ou objet, directement ou indirectement les Evènements… »
Pour 105 milliards (dont 100 ont été déclarés officiellement), l’Etat s’était donc engagé à protéger les pollueurs contre toutes poursuites soit par lui-même, soit par tout citoyen ivoirien qui s’estimerait victime directe du déversement des déchets. Les parties Trafigura achètent donc la vie ?
Sauf que dans un simulacre de partage, le régime Gbagbo avait roulé les victimes dans la farine et n’a tenu aucune des promesses qu’il avait faites (la construction d’une usine de traitement des déchets, la construction d’un hôpital spécialisé pour la prise en charge des malades, etc.).
Au point 2.4 du protocole d’accord, on peut lire par ceci : « L’Etat de Côte d’Ivoire envisage de construire une usine de traitement des déchets ménagers dans le District d’Abidjan. Après l’inauguration de ladite usine, les Parties Trafigura à travers la société Puma, paieront, sous forme d’aide à l’Etat de Côte d’Ivoire, la somme de cinq milliards de FCFA ». Cette usine n’ayant jamais vu le jour, les cinq milliards continuent de roupiller sur un compte dans une banque à Abidjan ?
Votre protocole d’accord ne nous engage pas !
C’est un secret de polichinelle ! Alors qu’il avait obtenu une immunité en Côte d’Ivoire, Trafigura, poursuivi par les victimes devant les tribunaux anglais qui ne se sentaient guère concernées par son accord avec le régime Gbagbo, n’a pas hésité, pour éviter une lourde condamnation à payer des milliers de milliards de FCFA, à transiger encore avec les conseils des victimes en s’empressant de leur verser la somme de 24 milliards dont chacun sait comment ils ont été gérés avec les nombreux détournements au préjudice des victimes. Mais ce que cette société craignait par-dessus tout, c’était que l’idée vienne à des fonctionnaires ivoiriens emprisonnés dans le cadre de cette affaire et blanchis en raison des fausses déclarations faites par les responsables de ces sociétés sur la nature dangereuse du produit, saisissent la justice ivoirienne et réclament indemnisation pour avoir été emprisonnés à tort et perdu dans la foulée, leur travail.
Eh bien, c’est ce qui vient d’arriver. Car les plaintes contre Trafigura se préparent en ce moment dans plusieurs cabinets d’avocats. La première a été déposée entre les mains de la justice ivoirienne il y a quelques semaines. Après avoir tenté une fuite en avant, Trafigura et sa filiale Puma Energy ont réalisé le danger qui se profile à l’horizon tant devant la justice ivoirienne que devant la Cour de Justice de la CEDEAO, au cas où les choses ne se passaient pas dans la transparence devant la justice ivoirienne.
Poursuivi par l’ancien directeur de la police maritime, suspendu de son poste quelques jours avant l’arrivée du bateau pollueur et cependant emprisonné dans le cadre de cette affaire avant de perdre son emploi bien que blanchi par la justice, Trafigura et Puma Energy, selon une source judiciaire, viennent d’inviter le gouvernement Ouattara, on ne sait trop pourquoi, à taper sur les têtes des juges qui ont le dossier, afin que la procédure engagée contre eux s’arrêtent. Et, ils ne manquent pas de culot. Ils assignent, depuis le 10 avril, dans deux procédures, l’Etat de Côte d’Ivoire en « intervention forcée » pour arrêter la procédure ou à supporter seul la condamnation en paiement de dommages et intérêts qui pourraient leur être infligés par la justice.
L’affaire a été renvoyée au 26 mai prochain.
D’ici là, selon une source proche du dossier, « à moins que le gouvernement Ouattara se soit compromis avec ces pollueurs, on ne voit pas comment il pourrait faire arrêter la procédure ou payer à la place de Trafigura. Les faits sont très graves. Ceux qui étaient au procès à la Cour d’Assises en 2008 ont entendu les experts déclarer qu’en raison de la dangerosité des produits déversés à Abidjan, cette ville devrait être évacuée pendant 25 ans. Au lieu de mêler le gouvernement Ouattara à cette affaire alors qu’ils savent très bien ce qu’ils ont fait avec le gouvernement Gbagbo sur le dos des victimes, qu’ils n’ont pas dépollué tous les sites et que le mal est devenu irréversible, ils seraient bien inspirés de rentrer en négociation avec les plaignants comme ils l’ont fait avec les autres victimes. Il s’agit dans cette affaire, d’un autre type de victimes, des sachants et Trafigura le sait. Parce que dans cette affaire, jusqu’ici, ceux qui savent n’ont pas encore parlé. Vouloir contraindre le gouvernement Ouattara via le trésor à supporter les condamnations qui pourraient leur être infligées, c’est laisser transparaître l’idée que ce gouvernement a profité de tout ce qui s’est passé et qu’il doit quelque chose aux pollueurs. Ce serait d’un effet extrêmement dévastateur pour son image, à quelques mois des élections… » A-t-elle déclaré.
Dans tous les cas, « L’Eléphant » lui, ne s’est compromis avec personne et entend, vu les documents inédits en sa possession, suivre cette affaire jusqu’au bout…
On ne peut jouer avec la vie de cinq millions d’habitants !
ALEX KASSY (Source L’Eléphant Déchaîné)
- NB : Le titre est de la rédaction
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