Rama Yade : « En politique, les ennuis viennent de son propre camp… »


Auteure d’une «Anthologie regrettable du machisme en politique», l’ex-secrétaire d’Etat aux Sports, Rama Yade dénonce le sexisme qui sévit toujours dans les lieux du pouvoir. Entretien

Paris Match. Vous évoquez, dans l’introduction de votre ouvrage, quelques anecdotes personnelles illustrant le sexisme qui règne dans le monde politique. Il y a par exemple ce collègue ministre qui juge votre jupe «trop courte» et vous le fait savoir. Néanmoins, le reste du livre relève plus de la perspective historique que du témoignage personnel. Pourquoi ce choix?
Rama Yade. Je n’ai pas voulu mettre en avant un féminisme victimaire ou agressif. Je plaide pour un féminisme altruiste. Les femmes politiques, alors qu’elles sont plus nombreuses dans la vie politique, doivent se tourner vers les femmes de la société civile. La question de l’égalité salariale est par exemple essentielle : les salaires des femmes restent inférieurs d’un tiers à ceux des hommes. Il faut aussi se placer aux côtés des femmes qui, dans les quartiers, subissent des tournantes, ou des obligations vestimentaires mettant en cause leur dignité et leur liberté. A l’international, je pense aussi à la solidarité que nous devrions manifester plus fortement aux Tunisiennes et Egyptiennes à l’avant garde de la révolution démocratique dans leurs pays.

Vous évoquez dans votre livre les «ABCD de l’égalité», que défendait Najat Vallaud-Belkacem. La polémique qui leur a été associée, sur la prétendue théorie du genre, n’illustre-t-elle pas la difficulté d’avoir un débat sur l’égalité femmes-hommes?
On peut critiquer les projets de Najat Vallaud-Belkacem sans que ce ne soit du machisme. Ce projet d’ABCD de l’égalité n’est pas venu des ministères, mais d’associations de terrain. Ces associations m’ont expliqué que le projet a été détourné de son sens par le ministère.

Qu’est-ce qui vous gênait dans ces expérimentations?
Je ne vois pas en quoi on fait progresser la cause des femmes en voulant faire des filles des petits garçons et des petits garçons des petites filles. Ce n’est pas ça le féminisme. Le féminisme, c’est l’égalité des droits, pas la confusion des genres

Au pouvoir, il peut exister une âpre rivalité entre femmes politiques. Dans votre livre, vous semblez démolir un stéréotype selon lequel les femmes feraient de la politique différemment des hommes, avec peut-être moins de violence.
Tout à fait. Il ne s’agit pas de dire que les hommes sont méchants et les femmes gentilles. Etablir un rapport de force binaire entre les hommes et les femmes ne m’intéresse pas. J’ai voulu montrer les nuances qui existent dans ce combat : ce n’est pas parce qu’on est un homme qu’on est obligatoirement machiste. Plus on monte dans la sphère politique, plus la concurrence est rude entre hommes et entre femmes. Ce n’est pas nouveau : rappelez-vous la bataille homérique entre Simone Veil, ministre de la Santé, et François Giroud, secrétaire d’Etat au Droit des femmes, sur l’IVG. La première voulait privilégier la question sanitaire pour que la loi passe auprès des députés hommes, la seconde privilégiait le combat féministe. Elles se sont envoyées des petites phrases que ne renieraient pas Chirac et Balladur. La violence politique n’est pas moindre entre femmes.

Vous évoquez un exemple frappant : Christine Lagarde , qui faisait l’objet de confidences assassines distillées dans la presse par des conseillers de Nicolas Sarkozy. Pourquoi ce genre d’attitudes au sein d’une même équipe?
C’est l’une des découvertes de mon engagement politique. Je pensais qu’on aurait des problèmes avec le camp d’en face. Et pourtant, les ennuis viennent d’abord de son propre camp. Les partis sont des milieux où se déroule une compétition acharnée, où ne survivent que ceux qui ont réussi à éliminer les autres. Ce n’est pas le talent qui prime. En politique, ça marche à l’envers : plus vous êtes brillant, plus vous risquez de jeter de l’ombre sur les autres, plus ils cherchent à vous éliminer. Christine Lagarde, avocate internationale au talent indéniable, a été dézinguée tout de suite avec des quolibets sur son physique et sa manière de se vêtir.

Ailleurs, vous écrivez : «Il est bien impensable qu’un ministre se dévoue pour la réussite d’un collègue». N’est-ce pas totalement affligeant pour les citoyens?
Oui. Certains des échecs de la France ne tiennent parfois qu’à des questions d’égo. On trouve ces rivalités aussi entre certaines administrations. Certains ministères -comme par hasard, politique de la ville ou droits des femmes- ne peuvent compter sur leurs seuls budgets souvent médiocres et dépendent donc d’autres ministres, qui ont leur propre feuille de route.

Lorsque vous évoquez les réactions de certaines femmes politiques face à la misogynie, vous dites qu’«il faut savoir doser» sa réplique. Qu’entendez-vous par là?
La réaction est souvent un piège. Ou vous ne dites rien et vous faites preuve de fatalisme. Ou vous vous défendez et on vous reproche de vous victimiser. Il faut éviter ce double écueil et ce n’est pas toujours facile. Il arrive que le genre n’ait rien à voir avec une critique politique. On peut être critiqué sur ce qu’on fait, pas ce sur ce qu’on est. Je trouve par exemple que ceux et celles qui ont critiqué le jeans de Cécile Duflot au conseil des ministres n’avaient pas tort. Question de dignité dans la représentation. En revanche, Cécile Duflot a raison de s’offusquer lorsque, en robe fleurie à l’Assemblée, elle reçoit des remarques publiques d’une extrême vulgarité, alors qu’elle répond aux questions d’actualité.

Récemment, Cécile Duflot a confié qu’elle avait demandé à ce que le conseil des ministres n’intervienne pas le mercredi, afin qu’elle puisse s’occuper de ses enfants.
Je comprends, mais à un certain niveau, dans un gouvernement, il y a une part sacrificielle qui est évidente. On se donne corps et âme parce qu’on l’a choisi, parce que c’est un honneur. On aimerait voir Cécile Duflot penser aux femmes qui n’ont pas accès aux micros et qui subissent au centuple ce type de problèmes avec des conséquences sur leur emploi et leur salaire.

Comment jugez-vous Marine Le Pen, une femme qui s’est affirmée à la tête d’un parti politique et qui défend des positions parfois très anti-féministes, comme sur la question de l’avortement?
On peut être une femme et ne pas être féministe. Marine Le Pen, elle, est dans l’héritage politique. Elle ne peut en rien revendiquer l’étendard féministe : papa l’a aidée pour accéder à la présidence du Front national. Et son nom a été un levier puissant dont ses concurrents n’ont pas bénéficié. Dans la lignée paternelle, ses positions conservatrices voire réactionnaires sont à l’opposé des intérêts des femmes. Il ne suffit pas d’être une femme pour être féministe, alors que je pense que ce devrait être un devoir.

Nicolas Sarkozy, après votre nomination au gouvernement, vous a dit : «Tu n’as pas le droit à l’erreur». Sous-entendu : en tant que femme et représentante d’une minorité. Comment avez-vous réagi?
Sur le moment, ça m’a agacée. Après, j’ai compris qu’il avait raison. Je suis arrivée en politique sans me poser de questions particulières : je n’ai jamais pris en considération le fait que je faisais partie de telle ou telle minorité. Ce n’était pas mon sujet, mais c’en était manifestement un pour les autres. J’ai été un peu surprise par l’obsession de certains à vouloir me mettre dans des cases.

Vous rappelez que la voix d’Edith Cresson avait beaucoup été moquée. La voix des femmes politiques est souvent l’objet de critiques. Est-ce pour vous une préoccupation, lorsque vous prononcez un discours?
J’ai une voix qui peut être grave, je n’ai pas ce problème. Et je vous assure que dans les meetings politiques, ça compte. Dans le public, on se rend compte que l’impact de la voix dans la salle est très important. La tribune, dans un meeting, est l’un des attributs de la virilité en politique. Les femmes ont sans doute longtemps considéré que ce n’était pas par là que devait passer la force de conviction. Il y a eu pourtant des hommes politiques de premier plan qui avaient des voix aigües. Jacques Chaban-Delmas n’avait pas une voix grave. Le talent oratoire peut s’acquérir, par le travail.

L’ex-ministre socialiste Georgina Dufoix, que vous citez, a dit de son mari qu’il «a été superbe», lui permettant de construire sa carrière politique. Quel regard portez-vous sur le rôle des époux?
L’équilibre est fondamental, mais j’espère qu’il en est de même pour les hommes vis-à-vis de leurs épouses… La question se pose d’autant plus avec la possibilité qu’une femme s’installe à l’Elysée. En Allemagne, l’époux de Madame Merkel a su trouver sa place, il a continué sa vie de manière discrète. Il faudra déjà résoudre la question du statut de l’époux à l’Elysée : pour ceux qui veulent s’impliquer dans la vie publique, il faudra un statut clair. Pour les autres, il doit être possible de respecter leur volonté de discrétion. Il faut laisser le choix.

In Paris Match

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