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DOSSIER/ Les 100 millions FCFA du candidat Ouattara, à la loupe


Abidjan, le 3-10-15 (lepontsur.com)-Le Président de la République, Alassane Ouattara, a annoncé le jeudi 1er octobre 2015 que la somme de 100 millions FCFA, sera octroyée à chaque candidat, pour la campagne présidentielle du 25 octobre 2015. Cette subvention exceptionnelle est diversement interprétée. Lepointsur.com, grâce aux propos recueillis par certains confrères et ses recherches personnelles vous proposent la réaction de plusieurs personnalités, tant politiques que civiles.  

L'ex-ministre ivoirien du budget sous le régime de Laurent Gbagbo, Justin Katina Koné

L’ex-ministre ivoirien du budget sous le régime de Laurent Gbagbo, Justin Katina Koné.Ph.Dr

L’ex-ministre ivoirien du budget sous le régime de Laurent Gbagbo, Justin Katina Koné en exil depuis la chute de son mentor en avril 2011, estime que l’aide de 100 millions de FCFA octroyée à chacun des dix candidats à la présidentielle du 25 octobre est un « acte de corruption » qui vise à « payer les prestations » des « adversaires-partenaires » du candidat Alassane Ouattara à cette « parodie d’élection ». «La mesure qualifiée d’exceptionnelle est un acte de corruption tout simplement. Monsieur Ouattara paye d’avance les prestations de services de certains de ses adversaires-partenaires dans cette parodie d’élection », a dénoncé M. Koné dans entretien avec APA. Selon Justin Katinan Koné, «la prestation en question qui est rémunérée d’avance par Monsieur Ouattara est que ses adversaires-partenaires l’appellent au soir du 25 octobre, où font une déclaration pour le féliciter pour sa brillante élection au premier tour. Cela vaut bien une paie« .  « Un candidat qui sort d’une élection avec un bénéfice net d’impôt de 80 millions de FCFA dans une élection où il ne peut mobiliser pas plus de 0,1% de l’électorat est un homme d’affaire gagnant. On ne sait jamais où l’appât peut amener certains à réviser à la baisse leurs exigences sur les conditions des élections. C’est tant pis pour la démocratie et le respect du peuple », fustige-t-il. De l’avis de ce partisan de M. Gbagbo, «le financement des candidats à l’élection intervient après l’élection présidentielle et n’est ouvert qu’aux seuls candidats qui ont obtenu au moins 10% des voix exprimées ».

Ce que dit la loi

En effet, le chapitre 3 relatif au financement des candidats à l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire selon la décision n° 2005-07/Pr du 15 juillet 2005 relative au financement sur fonds publics des partis et groupements politiques et des candidats à l’élection présidentielle tirée de la loi n° 2004-494 du 10 septembre 2004, relative au financement sur fonds publics des Partis et Groupements politiques et des candidats à l’élection présidentielle, stipule en son article 9 que les candidats à l’élection présidentielle bénéficient d’une subvention exceptionnelle. Et que « Le montant de cette subvention est inscrit dans la loi de finances de l’année de l’élection présidentielle». En son article 10, la loi clarifie les choses en expliquant que « ce financement est accordé aux candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés à l’élection présidentielle ». Mieux, le montant comprend deux (2) subventions : Une subvention forfaitaire et une subvention complémentaire. En son article 11, la loi indique  ceci: « La subvention forfaitaire est accordée à parts égales à tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés à l’élection présidentielle». « Elle équivaut aux 2/5 du financement ». Non sans conclure en son article 12 que: « La subvention complémentaire est affectée proportionnellement au nombre de suffrages obtenus par chaque candidat. Elle représente les 3/5 restants du financement ». La première inquiétude relative à l’inscription du montant de cette subvention dans la loi de finances de l’année de l’élection présidentielle 2015, est inexistante à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. En témoigne les propos du directeur national de campagne du candidat de M. Essy Amara. M. Kramo Kouassi, directeur national de campagne du candidat de M. Essy Amara, n’y va pas de main morte: « Cela a été décidé dans une opacité totale », indique-t-il d’entrée de jeu.

M. Kramo Kouassi, directeur national de campagne du candidat de M. Essy Amara.Ph.Dr

M. Kramo Kouassi, directeur national de campagne du candidat de M. Essy Amara.Ph.Dr

«Je suis député à l’Assemblée nationale. Nous avons voté le budget 2015. Nulle part, je n’ai vu de ligne dans ce budget qui prévoit le financement des candidats à la présidentielle. Dans le cadre de la recherche de la bonne gouvernance, je ne pense pas que ce soit un bon exemple. Nous ne savons pas comment cela a été décidé ni ce qui justifie l’arrêt de ce montant. Cela a été décidé dans une opacité totale et est présenté comme une aumône d’un individu, alors qu’il s’agit de l’argent public, de l’argent de l’Etat. Les impôts des Ivoiriens doivent être dépensés dans le cadre qu’eux-mêmes ont décidé, c’est-à-dire la loi. Il faut également qu’un cadre soit établi pour que ceux qui en ont bénéficié puissent rendre compte. C’est donc en connaissance de tout cela que cet argent doit être rendu disponible. Le financement public d’une campagne électoral a un fondement. Normalement, il est dégagé pour que le candidat à une élection présidentielle soit libre et n’ait pas recours par exemple à des financements qui pourraient le lier à des engagements plus tard lorsqu’il aura la charge de l’Etat. C’est le fondement de la mise à la disposition de l’argent public à celui qui aspire à la plus haute charge de l’Etat. Si c’est dans la ligne de ce fondement, 100 millions de FCFA dans les diligences relatives à une campagne électorale présidentielle ne représente rien du tout. Cette somme ne libère pas les gens de cette contrainte que le financement devrait pouvoir réaliser. En un mot comme en mille, en tant que député représentant du peuple de Côte d’Ivoire, cette manière de faire procède de la mauvaise gouvernance que je ne saurais applaudir. (…) Je déplore cette manière de faire. A savoir que quelqu’un décide unilatéralement de disposer ainsi de l’argent public et s’attende à ce que l’on l’applaudisse parce qu’il a été magnanime».

M. Mamadou Koulibaly, candidat de Lider et ancien président de l’Assemblée nationale.Ph.Dr

M. Mamadou Koulibaly, candidat de Lider et ancien président de l’Assemblée nationale.Ph.Dr

Mamadou Koulibaly, candidat de Lider et ancien président de l’Assemblée nationale, sous Gbagbo, soutient que M. Ouattara « puisse dans les caisses de l’Etat, en tant que candidat » : « Nous attendons de l’Etat, les mêmes fonds que le candidat Ouattara s’est octroyé pour battre campagne depuis le 9 septembre »

« Ouattara, candidat, pioche dans les caisses de l’Etat, pour verser une subvention exceptionnelle à chacun de ses adversaires sans leur dire le montant total qui était prévu au budget comme la loi l’exige. Ouattara est un candidat qui, la caisse en main, appelle les autres candidats, ses adversaires, pour leur donner de l’argent en leur expliquant que c’est leur part conformément à une ligne inscrite dans la loi des finances et dont il est le seul à connaître le montant. Nous attendons donc de l’Etat de Côte d’Ivoire, et non de M. Ouattara, qu’il mette à notre disposition des fonds qui sont en adéquation avec ceux dont dispose le candidat Ouattara. (…) Depuis le 9 septembre 2015, date de la publication de la liste des candidats définitivement retenus par le Conseil constitutionnel, Ouattara a déposé sa casquette de président de la République pour enfiler celle de candidat à la présidentielle, comme les neuf autres. Toutes les dépenses qu’il a engagées sur fonds publics depuis cette date, il les a effectuées en tant que candidat à la présidentielle. Tout cela doit et va être chiffré et nous réclamons donc exactement les mêmes sommes et moyens qu’il s’est lui-même octroyés. (…) Ouattara n’est pas gêné d’octroyer un financement exceptionnel à moins d’un mois de la date des élections mais il l’est pour faire une liste électorale inclusive, installer une Commission électorale indépendante, organiser un accès équitable aux médias de services publics…à quatre ans des élections. (…) Ouattara est très sélectif dans le choix des lois qu’il veut bien appliquer. Il viole la constitution. Nous irons chercher ces fonds comme une avance pour le financement de la pré campagne en attendant l’application pleine et entière de la loi », propos recueillis par le confrère  APA.

Quant à Kouassi Pierre, secrétaire permanent de la direction nationale de campagne de Gnangbo Kacou, candidat indépendant, il juge cela «tout à fait normal ». « Des partis politiques en Côte d’Ivoire qui sont subventionnés n’ont même pas présenté de candidat à cette présidentielle. Alors pour un candidat indépendant qui a reçu 100 millions de F.CFA, cela paraît tout à fait normal. Je n’ai pas à me réjouir de cette décision car elle est normale».

Kouangoua Jacqueline Claire,candidate indépendante.Ph.Dr

Kouangoua Jacqueline Claire,candidate indépendante.Ph.Dr

La candidate indépendante Kouangoua Jacqueline-Claire souhaite « avoir un peu plus pour pouvoir parcourir toute la Côte d’Ivoire».« Nous avons entendu ce que l’Etat nous a proposés. Je suis très heureuse. C’est le début de la démocratie. Je remercie l’Etat de Côte d’Ivoire et toute la population qui a œuvré pour que nous ayons ce fonds. Mais je souhaiterais faire encore des doléances. Puisque nous devons couvrir les 31 régions, qu’un petit effort soit fait. Pour nous qui sommes indépendants, cela nous accompagnera mieux dans ce processus électoral. Etant indépendant, nous souhaitons donc avoir un peu plus pour pouvoir parcourir toute la Côte d’Ivoire afin de mieux nous faire connaître ».

Konaté Navigué, directeur national de campagne, chargé de la jeunesse d’Affi N’Guesssan.Ph.Dr

Konaté Navigué, directeur national de campagne, chargé de la jeunesse d’Affi N’Guesssan.Ph.Dr

Konaté Navigué, directeur national de campagne, chargé de la jeunesse d’Affi N’Guesssan, candidat du FPI affirme ceci: « Le chef de l’Etat-candidat fait de la théâtralisation ». « Le chef de l’Etat-candidat fait de la théâtralisation de ce qui apparaît comme un droit, un appui de l’Etat aux différents candidats. Et il fait cette théâtralisation comme si cela était un acte extraordinaire. Or, 100 millions FCFA dans la campagne d’un candidat ne représente rien. Cela représente une seule journée de dépenses et est insignifiant, même pour la campagne que je dois moi-même mener au niveau de la jeunesse. Et comme je l’ai dit, cette somme est insignifiante vis-à-vis des difficultés et besoins des candidats. Il n’est pas utile de théâtraliser cela pour ridiculiser les adversaires. C’est la troisième campagne présidentielle que je même au sommet et 100 millions de FCFA ne représente rien. Un candidat sérieux ne peut pas s’en réjouir. De toutes les façons, cela n’est pas important. Nous continuons de travailler et nous n’accordons aucune importance particulière à cela».

M. Touré Moussa, l’un des proches du président de l’Assemblée nationale.Ph.Dr

M. Touré Moussa, l’un des proches du président de l’Assemblée nationale.Ph.Dr

Touré Moussa, l’un des proches du président de l’Assemblée nationale Guillaume Kigbafory Soro s’interroge. « Franchement je me demande sur quel fondement on a décidé d’octroyer un pactole de 100 millions FCFA à tous les candidats à la présidentielle ? », avant de répondre : « J’aurai bien aimé que le milliard FCFA distribué à 10 candidats soit converti en aide-projet directs pour les jeunes », peut-on lire sur le twitt de M. Touré Moussa. Sur les réseaux sociaux, les plus de six mille électeurs et les fournisseurs de l’Etat qui croulent sous le poids des dettes intérieures, réclament eux aussi, leur part d’argent si « tel est qu’on peut faire sortir aussi facilement possible l’argent du contribuable». M. Bruno N. Koné, porte-parole du gouvernement ivoirien, est très attendue sur cette levée de bouclier, à six jours de l’ouverture la campagne présidentielle pour élucider point par point les zones d’ombre dans cette affaire qui présente de loin la preuve de la mauvaise gouvernance en Côte d’Ivoire.

Sériba Koné

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