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Nouvelle Constitution en rédaction en Côte d’Ivoire : C’est une erreur de ne pas ouvrir ce comité d’experts aux autres entités sociales


-En Côte d’Ivoire, nous devons tirer les leçons des différentes crises pour réécrire  notre constitution  

-L’article 132 qui accorde l’immunité aux auteurs du coup d’état militaire du 24/12/1999 doit sauter  

-La constitution actuelle fait du chef de l’état un vrai monarque moderne.

AdoAbidjan-08-06-16 (lepointsur.com)En fondant la 2ème République en Côte d’Ivoire, les initiateurs voulaient assurer la prééminence du chef de l’Etat, garantir la stabilité et ancrer solidement une démocratie de participation. Moins de deux décennies plus tard, la présidence est affaiblie, la stabilité s’est évanouie et la participation électorale décline implacablement, en témoigne le faible taux de participation à l’élection d’octobre 2015.

Le système politique ne correspond plus aux attentes de la société. La 2ème République entendait guérir la démocratie ivoirienne des maux de la 1ère et elle a échoué. Il faut maintenant inventer une thérapeutique pour sauver notre pays de l’anorexie démocratique et le préserver de l’instabilité politique. Il est vrai que depuis 2013, le gouvernement du Président Alassane Ouattara a réalisé des progrès, quoiqu’insuffisants, dans le renforcement du cadre législatif pour un plus grand respect des droits humains et dans la garantie d’une meilleure discipline au sein des forces de sécurité. Mais hélas, le sentiment d’impunité, la corruption, les dysfonctionnements démocratiques, les conflits fonciers et communautaires, la prolifération des armes légères et les violences sexuelles et urbaines continuent de pousser en inquiétude inquiétante.

C’est pourquoi, l’opportunité de réécriture notre Constitution doit permettre de faire des correctifs afin de consolider le tissu national, moderniser et démocratiser davantage le fonctionnement des institutions et rendre plus fluide la marche de la Nation avec des ingrédients respectueux des droits de l’Homme. La rédaction d’une Constitution doit alors permettre de garantir à chacun le respect de ses droits et est nécessaire pour garantir les droits fondamentaux des citoyens. Elle pose, par exemple, le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, fait du suffrage universel la source de la légitimité et accorde à chacun le droit de faire entendre sa cause devant un tribunal indépendant. Elle permet ainsi d’écarter l’arbitraire en donnant à tous les citoyens la possibilité de connaître les différents organes de l’État; définir les différents organes de l’État selon le principe de la séparation des pouvoirs : la Constitution organise les pouvoirs publics composant l’État en séparant le législatif, l’exécutif et le judiciaire afin de permettre l’équilibre des différents pouvoirs. Dans ce cadre, la Constitution définit les compétences des différents organes de l’État et la manière dont ils sont désignés, règle les rapports entre les différents pouvoirs en leur donnant la possibilité de se contrôler mutuellement et fixe la répartition des compétences sur l’ensemble du territoire en définissant l’organisation de l’État qui peut être unitaire et centralisé ou fédéral.

une constitutionNotre Constitution doit être préservée des modifications trop fréquentes et conserver ainsi un statut spécifique et sa primauté par rapport aux autres règles de droit correspondant à son rang de « pacte fondamental » de la Nation. En démocratie, il existe deux processus fondamentaux d’élaboration de la Constitution : la discussion parlementaire par une assemblée spécialement élue à cet effet ; la rédaction d’un texte par le Gouvernement ou un comité de spécialistes ou d’experts. La rédaction de la Constitution par le Gouvernement, ou un comité restreint désigné par lui, peut constituer une solution plus rapide. En effet, exceptionnellement, le pouvoir exécutif s’attribue ou se fait reconnaître le droit de rédiger un texte constitutionnel. Le comité restreint, qui l’assiste, est le plus souvent composé de responsables politiques, de leaders sociaux (religieux, coutumiers, … société civile)  et de spécialistes du droit constitutionnel et de la sociologie. Si cette méthode, qui est plus rapide, reste légale, elle souffre cependant d’une moindre légitimité. C’est ce deuxième choix que semble avoir opéré les autorités actuelles de la Côte d’Ivoire en mettant en place un comité d’experts en droit. C’est une erreur de ne pas ouvrir ce comité d’experts aux autres entités sociales et c’est bien regrettable, car les juristes seuls ne peuvent formater le pacte républicain qu’est une constitution. La loi fondamentale a l’odeur de tous les parfums de la société puisque ses textes sont sensés réglementer tous les problèmes d’une nation : problèmes religieux, coutumiers, sociologiques, politiques, etc. Malgré tout, allons au-delà des imperfections du processus et de la méthode pour contribuer à la quête du consensus sur un pacte juridique national.

De M. Félix Houphouët-Boigny...

Les États-Unis, le pays le plus riche et le plus puissant du monde, disposent de la même Constitution depuis 1787, fondée sur une séparation stricte des pouvoirs et s’applique depuis le 4 mars 1789 et elle est l’une des plus anciennes constitutions écrites encore appliquées. La longévité exceptionnelle de la constitution des États-Unis est généralement attribuée à sa très grande flexibilité. Cette flexibilité tient à plusieurs points et a évité aux États-Unis l’essentiel des crises politiques de l’Europe du XIXè siècle. Nous sommes dans une sorte de formulation négative des droits (l’État ne peut faire certaines choses, plutôt que l’État doit assurer certaines choses) qui en limite la portée, mais en assure l’applicabilité. La capacité des tribunaux à interpréter la constitution, à la lumière des circonstances actuelles, est la source majeure de sa flexibilité.

La constitution, dans un esprit moderne, laisse dans l’organisation des pouvoirs des points nombreux à décider par la loi. On n’est pas lié par la règle du précédent, ce qui permet à l’interprétation de la constitution et donc à sa pratique d’évoluer considérablement. En Côte d’Ivoire, nous devons tirer les leçons des différentes crises pour réécrire  notre constitution dans l’esprit de la convention américaine de 1787 qui a imprimé une grande flexibilité à la constitution des Etats-Unis, ce qui lui vaut une longévité exceptionnelle. Il nous faut construire un texte prenant acte de la diversité des situations et donc aux antipodes des particularismes politiquement calculateurs. Il nous faudra bien cadencer les considérations ethnologiques et sociologiques voire anthropologiques, très souvent abusivement enflées et chauffées par les marmites noires des officines politiques, de sorte qu’elles ne parasitent pas l’applicabilité et la justesse de la future constitution. Il faut éviter le climat de comédie politique et de farces rhétoriques qui a prévalu à la naissance de la deuxième République. On a assisté à une danse d’ivresse belliqueuse de sorciers entre les conjonctions de coordination « Et » et « Ou » qui a, malheureusement, fini par emporter en overdose politique les pères de ce rituel référendaire. Tous les articles dits « conflictogènes » doivent être décomplexés afin de briser le lit de l’instabilité politico-sociale qu’a connu le pays depuis 2000.

...en passant par M.Henri Konan Bédié...

L’article 35 est l’article le plus indexé et qui est relatif aux critères d’éligibilité doit être traité avec un regard moderne et dans le sens de l’unité nationale. On peut sortir élégamment du brouillard des conjonctions de coordination belliqueuses. La nationalité, la majorité corsée, la bonne moralité, la bonne santé suffiraient avec l’obligation de parrainages voire d’un nombre de signatures d’élus par grandes régions du pays afin de marquer l’assise nationale des candidats. La loi fondamentale doit servir l’intérêt général, être impersonnelle et un gage de la cohésion nationale. L’article 132 qui accorde l’immunité aux auteurs du coup d’état militaire du 24/12/1999 doit sauter car il fait la promotion de l’impunité et cela est inacceptable dans une société moderne qui, semble-t-il, marche vers l’émergence. La nouvelle constitution doit rendre la séparation des pouvoirs réelle en modifiant les articles qui donnent des pouvoirs illimités au président de la République et lui permettent de contourner les autres pouvoirs en prenant des ordonnances. Alors que l’article 79 stipule que « l’Assemblée nationale vote le projet de loi de finances dans les conditions déterminées par la loi », l’article 80  dit ceci: « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée dans un délai de soixante-dix jours, le projet de loi peut être mis en vigueur par ordonnance ».  Autant dire que c’est le président de la République qui arrête le budget puisqu’il peut le faire sans le parlement. La liste n’est certes pas exhaustive. La constitution actuelle fait du chef de l’état un vrai monarque moderne. On n’est quand même pas au temps de Clovis le mérovingien ?

Notre constitution doit être passée au peigne fin et dans un travail rigoureux, scientifique et sans aucune passion. À l’image de bon nombre de pays modernes, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’outils juridiques qui garantissent les principes d’égalité́ et de non discrimination, mais aussi et surtout, les droits sexuels pour tous. L’article 2 de la Constitution ivoirienne dispose que «tous les êtres humains naissent libres et égaux devant la loi. Ils jouissent du droit à la vie, à la liberté́, à l’épanouissement de leur personnalité́ et au respect de leur dignité́. Ces droits sont inviolables». La constitution ivoirienne affirme ainsi les mêmes droits pour les femmes que pour les hommes. Aucune femme ne doit alors subir de violence, eu égard à sa qualité́ de femme. Aussi, le Code Pénal Ivoirien punit en ses articles 354 et 356 les infractions que sont : le viol et le harcèlement sexuel. Par ailleurs, la loi N° 98/757 du 23 décembre 1998 interdit la pratique de l’excision en Côte d’Ivoire. Et pourtant, la violence sexuelle reste un problème majeur avec au moins 100 cas de violence sexuelle au cours de chaque semestre en Côte d’Ivoire, selon les services onusiens, dont un grand nombre contre des enfants. Bien que cela ne soit pas requis par la loi, si la victime ne présente pas un certificat médical, pour lequel elle doit payer, les autorités compétentes ivoiriennes refusent souvent de mener des enquêtes. L’obligation de rendre des comptes pour les actes de violence sexuelle est encore amoindrie par l’état dysfonctionnel de la cour d’assises, le tribunal ivoirien mandaté pour juger de telles affaires. Par conséquent, les autorités sont souvent contraintes de rétrograder le délit de viol comme attentat à la pudeur, pouvant être poursuivi devant d’autres tribunaux, mais passible de sanctions bien moindres.

Le droit ivoirien souffre cependant  de certaines lacunes quant à la protection des femmes contre certaines formes de violences. En effet, il y a une non pénalisation du viol conjugal. Par ailleurs, aucun texte spécifique ne sanctionne la violence familiale. La nouvelle Constitution doit donc criminaliser le viol sous toutes ses formes en prenant en compte le viol conjugal et la violence familiale. Dans l’imaginaire collectif des populations ivoiriennes, La femme est perçue comme « un objet sexuel », un « exutoire sexuel », un « être inferieur », placé sous la domination et l’autorité́ de l’homme de sexe masculin. Cette conception de la femme est beaucoup plus exacerbée en milieu rural où la femme ne prend pas la parole en public, ne règle pas de litiges, n’a pas accès à la terre ; elle n’hérite pas de la terre comme propriété́, encore contrôle‐t‐ elle moins cette ressource indispensable à la survie. Cette exclusion des femmes de tout contrôle à l’accès à la terre et à sa gestion exclusive est une prescription coutumière qui a force de loi et sur laquelle, les autorités

Administratives et judiciaires restent le plus souvent muettes. Cela est inadmissible et doit être corrigé. La nouvelle loi fondamentale en construction doit comporter des dispositions juridiques claires et fermes pour punir tous ceux qui empêchent les femmes de disposer de la terre comme bien, à titre d’héritage et garantir d’autre part l’accès des femmes à cette ressource inestimable. Le vide juridique qui existe sur l’homosexualité́ en Côte d’Ivoire est à l’origine des diverses interprétations qui occasionnent des abus sur les minorités sexuelles. Le législateur ivoirien devra prendre des textes clairs qui se prononcent sur l’homosexualité́ et qui garantissent les droits à la protection de la vie privée et à la non‐discrimination envers les minorités sexuelles (Lesbiennes, Gays, Transsexuels et Bisexuels). Sans aller jusqu’à légaliser la polygamie, il nous faut repenser la loi de 1964 du Code civil qui a favorisé l’expansion des situations de répudiation des femmes et d’expulsions des femmes des logements. Celles-ci se retrouvent sans protection ni recours légal, souvent avec leurs enfants à charge.

La loi a, par nature, vocation à servir l’intérêt général. Il est donc impérieux que la Constitution, notre loi fondamentale, soit le reflet de cette volonté de servir l’intérêt général. Des ajustements doivent être apportés à notre constitution du 1er août 2000 en vue de nous rassembler, de renforcer notre cohésion et de nous conduire sur le chemin d’un Etat démocratique, moderne et respectueux des droits de l’Homme. Et cela doit se faire dans les meilleures conditions de transparence, en évitant tout quiproquo de façon que, lors du référendum,  le pauvre ivoirien sache avec précision le contrat social qui lui est proposé. Il faut lever les barrières qui freinent le retour d’une armée de cadres et d’étudiants de la diaspora, parce que binationaux ou plurinationaux, qui pourraient venir en renfort au fonctionnement de notre Administration balbutiante voire viciée et même occuper des postes électifs de premiers plans.

...et M. Laurent Gbagbo, l’autosuffisance en riz est un casse tête-tête pour les gouvernants ivoiriens. Ph.Dr (Archives)

C’est pourquoi, le référendum constitutionnel prévu en 2016 doit prendre en compte l’exercice juridique de la double nationalité et ouvrir une circonscription législative pour les Ivoiriens de la diaspora, imaginer un parfum de mesures incitatives au retour (offrir un terrain comme au Ghana, exonération de taxes comme au Maroc, au Gabon et au Mali, etc.),  tout en formalisant la mise en place d’un Haut Conseil des Ivoiriens de l’Extérieur avec un statut délibératif et / ou une autonomie financière et d’actions. Tous ces mécanismes faciliteront, entre autres, le transfert réussi, efficace et bénéfique des diverses compétences des populations diasporiques au service socio-économique de la Côte d’Ivoire et la mise en synergie des pratiques innovantes nécessaires pour la modernisation des mentalités, de notre administration et des divers services étatiques.

Je n’écris point, disait Montesquieu dans « De L’Esprit des Lois »  (1748), pour censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit ; chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes. Si je pouvais faire en sorte que tout le monde ait de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois ; qu’on put mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste où l’on se trouve, je me croirais le plus heureux des mortels. Comme quoi, chaque Constitution a un esprit et cet esprit est l’intérêt général du peuple. La Constitution la plus conforme à la nature humaine est celle qui se rapporte le mieux à la disposition du peuple et à son intérêt général pour lesquels, elle est établie, tenant compte des défis du Temps et des évolutions de l’Histoire. Tel est mon vœu pour notre Côte d’Ivoire ! Pensons une Constitution plus moderne et démocratique !

Docteur Pascal ROY

PhilosopheJuristePolitisteCoach politiqueAnalyste des Institutions, expert des droits de l’Homme et des situations de crisesMédiateur dans les OrganisationsEnseignant des UniversitésConsultant en RHÉcrivain-Chroniqueur

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