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L’histoire sécrète de la CPI/Tout, sur le tribunal de toutes les polémiques


cpi-staff-2Abidjan,11,02,16 (lepointsur.com)La Cour pénale internationale nourrissait l’espoir d’un monde meilleur en mettant fin à l’impunité des criminels de masse. Elle fut créée par un traité signé à Rome en 1998, entre la fin de la guerre froide et les attentats du 11-Septembre, dans le sillage du tribunal de Nuremberg, chargé de juger les chefs nazis après la Seconde Guerre mondiale, et sur les fondations des tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda établis par les Nations unies dans les années 1990.

Mais à ce jour, seuls 123 Etats adhèrent à ce traité, créant, de facto, une justice à deux vitesses. A ces limites légales se sont ajoutés des choix judiciaires frileux, guidés par des enjeux diplomatiques qui ont obscurci ses ambitions globales. Les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre devaient craindre cette épée de Damoclès, mais seule une poignée de suspects est tombée dans les filets de la Cour. Un jeu d’équilibriste entre justice et politique, dans lequel ses acteurs n’ont pas, ou peut-être pas encore, su s’imposer.

C’est « L’interprète », du réalisateur américain Sydney Pollack, qui consacre le mieux la puissance supposée de la Cour pénale internationale. Le film met en scène un dictateur entravé par le glaive de la justice internationale. Mais la fiction dépasse largement la réalité d’une Cour condamnée de facto à exercer une justice à deux vitesses. Sa puissance ne s’exerce à ce jour qu’à l’encontre des ressortissants d’Etats qui ont ratifié son traité ou de ceux qui commettent des crimes sur le territoire de ces derniers. A moins que le Conseil de sécurité des Nations unies ne décide de la saisir.

Le jeu trouble de la Cour et ses limites

Même si trois des cinq membres permanents du Conseil ne reconnaissent pas la Cour, ils se sont tournés vers elle en 2005 pour les crimes du Darfour, puis six ans plus tard pour ceux commis pendant la révolution libyenne. Il fallait alors susciter des défections au sein du régime et préparer les opinions publiques à l’intervention militaire de l’Otan. Mais à la chute de Mouammar Kadhafi, la Cour s’est retirée, sur la pointe des pieds. Les puissances alliées ne souhaitaient plus que les deux suspects du procureur, l’ancien chef des renseignements, Abdallah al-Senoussi, et le fils du Guide libyen, Saïf al-Islam Kadhafi, comparaissent un jour à La Haye.

Les Américains s’opposent à la Cour, pour les mêmes raisons que Russes et Chinois : ne pas perdre un iota de souveraineté. Mais Washington y fait néanmoins ses emplettes, coopérant lorsqu’elle cible des leaders ne figurant pas dans ses favoris, comme le président kényan Uhuru Kenyatta, et la menaçant, lorsque ses choix desservent, dit-elle, ses intérêts nationaux. Il en est de même pour la Palestine, depuis le 1er avril 2015, la Palestine est accueillie à la Cour en tant qu’Etat et espère qu’elle pèsera dans ses négociations avec Israël. Mais beaucoup doutent déjà de sa pérennité si elle devait demain ouvrir des enquêtes sur les crimes commis dans les territoires occupés.

Le rôle assigné aux 123 Etats parties

Les Etats parties à la Cour (123 au 1er septembre 2015) sont chargés, au cours d’assemblées annuelles, de voter le budget, d’élire juges et procureurs et d’amender le code de procédure. Au sein de ce mini parlement, dont les membres disposent d’un vote de poids égal, les Etats débattent de toutes les questions clés : coopération, protection des témoins, réparation pour les victimes, détention, etc.

La menace de la CPI est un Joker brandi ici ou là, au gré des intérêts des Etats. Membre ou non de la Cour, aucun ne s’oppose, sur le principe, à la poursuite des criminels de guerre. Mais tous restent jaloux de leur souveraineté. Ceux qui ont adhéré à la Cour ont amendé leurs codes pénaux pour s’assurer qu’aucun de leur ressortissant n’atterrisse dans le box des accusés de la Cour de La Haye, car la Cour n’intervient qu’en dernier recours, si un Etat refuse de juger ceux qu’elle a ciblés.

Gbagbo-Ble-Bensouda L’Afrique, la seule  sphère de compétence de la Cour ?

Ceux qui l’ont saisie, comme la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la Centrafrique et la Côte d’Ivoire attendent qu’elle « élimine » leurs opposants, tout en engrangeant quelques gages de respectabilité, même si le jeu est risqué et l’effet boomerang jamais très loin.

Depuis l’inculpation du président soudanais, puis celle du président kényan, l’Union africaine s’oppose frontalement à la Cour, lui reprochant d’être l’instrument d’un « néocolonialisme » judiciaire. En treize ans, à ce jour [28/01/2015, ndlr], pas une enquête n’a été ouverte hors du continent africain, même si le procureur a d’autres cibles dans son viseur comme l’Ukraine, la Colombie, la Palestine et même l’Afghanistan. Et alors que le Moyen-Orient s’enflamme, la Cour reste face à ses impuissances. Elle peine à s’engager dans le mortifère face-à-face sunno-chiite, ou à se pencher sur le jihadisme islamique qui s’étend en Afrique.

Et son maigre bilan ne suscite guère les soutiens. Elle n’a inculpé qu’une trentaine de personnes en treize ans, et n’a bouclé que deux procès à l’encontre de trois miliciens congolais.

Le Budget de la Cour s’élève à plus de 664 milliards  Francs CFA

Le budget est adopté chaque année par l’Assemblée des Etats parties. Entre 2002 et 2015, la Cour a coûté 1,13 milliard d’euros, soit664 milliards 484 millions 441 mille francs CF.Tous les Etats doivent régler leur quote-part, mais les principaux contributeurs sont le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France.

C’était le 18 décembre 2012. Solennel, le juge français Bruno Cotte délivrait son verdict contre Mathieu Ngudjolo. Déclarer un accusé non coupable ne veut pas dire que la Chambre déclare son innocence, prévenait-il. Ce jour-là, le milicien congolais était acquitté faute de preuves solides. Ces preuves, le procureur a toutes les peines du monde à les récolter. Et outre cet acquittement, sur les trente-et-un suspects ciblés publiquement par l’accusation depuis 2003, six s’en sont sortis par un non-lieu.

C’est dans le nord de l’Ouganda et dans l’est du Congo-Kinshasa que les premières enquêtes de la Cour ont débuté. Les deux territoires sont alors instables, et le procureur veut limiter les risques encourus par ses enquêteurs et ses témoins. L’essentiel de ses investigations est basé sur les témoignages, par nature fragiles et jugés bien insuffisants par les juges, qui réclament aussi des pièces et des expertises médico-légales. Pour limiter les risques au maximum, le procureur Luis Moreno Ocampo choisit alors d’enquêter par procuration. Au Congo, il s’appuie donc sur un réseau d’intermédiaires, dont certains flairent ici l’occasion d’améliorer rapidement leur ordinaire.

L’existence de faux témoins

Au final, les avocats de Thomas Lubanga débusqueront un véritable réseau de faux témoins, sans parvenir toutefois à éviter la condamnation de leur client. En Libye comme au Congo, le procureur a aussi délégué ses investigations et jusqu’à la chute de Kadhafi, aucun enquêteur n’a posé le pied sur le sol libyen. Pour nourrir ses dossiers et délivrer trois mandats d’arrêt, il s’est largement appuyé, sans doute trop, sur les opposants au régime d’alors, le Conseil national de transition.

Sans force de police, le procureur doit compter sur la coopération des Etats pour conduire ses enquêtes, mais cette stratégie fragilise considérablement son indépendance. Et cette coopération lui fait parfois cruellement défaut comme au Darfour. Le régime soudanais a claqué la porte aux enquêteurs de la Cour suite à l’inculpation du président Omar el-Béchir et le procureur a dû recueillir ses témoignages auprès de réfugiés et d’organisations internationales.

La problématique ivoirienne

Pendant près d’un an, la Côte d’Ivoire a coopéré sans faiblir avec la Cour, livrant à La Haye Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Mais alors que le procureur souhaite s’attaquer aux crimes commis par les partisans de l’actuel président Alassane Ouattara, Abidjan refuse de livrer Simone Gbagbo, arguant que la justice ivoirienne est désormais de nouveau sur pied, et capable de juger l’ex-première dame. Une façon de dire à la Cour que si les partisans du régime étaient un jour ciblés, ils ne seraient pas plus du ressort de La Haye. Au cours des trois premières années de son mandat, la nouvelle procureure, Fatou Bensouda, a tenté de réformer sa stratégie d’enquête.

Fatou Bensouda a succédé à l’Argentin Luis Moreno Ocampo en mai 2012.

 Qui est Fatou Bensouda ?

En élisant une magistrate gambienne, certains Etats membres espéraient apaiser le continent africain dont les élites sont engagées dans une âpre bataille contre la Cour. Ancienne ministre de la Justice de Gambie, Fatou Bensouda a fait ses classes dans la justice internationale au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha, en Tanzanie, au côté de Stephen Rapp, devenu plus tard ambassadeur américain pour les crimes de guerre. En 2004, elle avait rejoint la Cour pénale internationale pour seconder son premier procureur, Luis Moreno Ocampo. Elu en 2012, son adjoint, le procureur canadien James Stewart, est lui aussi issu de la promotion Arusha.

Le vrai visage des avocats  de la défense

Ils portent des robes noires et plaident des causes jugées indéfendables. Les avocats de la CPI conseillent chefs d’Etat, miliciens et politiciens, poursuivis pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis à des milliers de kilomètres de leur prison. Tout le talent de ces avocats consiste à traduire légalement le combat politique de leurs clients. Gagner sans rien concéder à leurs adversaires : le procureur, d’abord, mais aussi leurs ennemis d’hier, qui ont glissé dans leur carrière un aller simple pour La Haye.

Entourés de juristes et d’enquêteurs, les avocats cuisinent les témoins du procureur lors de contre-interrogatoires minutieux, enquêtent sur les sites de crimes pour débusquer pièces et témoins, sans oublier les victimes de drames qui se chiffrent en milliers, voire en millions, de morts, tout en plaidant l’innocence de leurs clients dans les crimes reprochés. Et plaider n’est pas sans risques : soupçonné d’avoir corrompu des témoins, l’avocat de Jean-Pierre Bemba, maître Aimé Kilolo, a passé plusieurs mois en cellule aux côtés de son client. Défendre des hommes accusés des pires crimes exige de passer des heures interminables dans une salle sécurisée, à 6 000 kilomètres de l’endroit où tous ces actes terribles ont été commis, dans un pays froid et humide, plaidait un jour maître Catherine Mabille.

Avec Jean-Marie Biju-Duval, un vétéran de la justice internationale, ils ont mis à jour une lucrative entreprise de faux témoins dans l’est du Congo, venus déposer à la demande du procureur, sans pour autant éviter la condamnation de Thomas Lubanga à quatorze ans de prison pour avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans dans sa milice. Les avocats doivent aussi soutenir des clients enferrés dans cette justice lente, qui use à petit feu tous ses protagonistes. Défendu par l’avocat parisien Emmanuel Altit, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo est le seul qui parvient encore aujourd’hui, à chaque audience, à rassembler ses partisans sur le parvis de la Cour.

 Dans le secret de la protection des témoins

Beaucoup de témoins appelés à la barre bénéficient de mesures de protection. Ils peuvent déposer sous pseudonyme, et être aussi relocalisés dans leur pays ou à l’étranger. Mais ce système de protection n’a pas empêché la corruption et les intimidations de témoins. Plusieurs personnes sont poursuivies et selon le procureur, ils auraient corrompu des témoins censés déposer dans l’affaire visant le vice-président du Kenya, William Ruto.

cogbagbo-bleDans le secret du quotidien des détenus

Laurent Gbagbo traîne ses sandales dans le couloir sans fenêtre de la prison de la Cour, les bras ballants comme lesté par l’écharpe de laine à son cou. Nous sommes à l’automne 2014. L’ex-président ivoirien « fête » ses trois ans à Scheveningen, cité balnéaire en banlieue de La Haye. A ses côtés, Germain Katanga remonte les manches de son élégant costume noir et saisit un cageot de légumes des mains du cantinier. Pour quelques euros, les prisonniers peuvent améliorer l’ordinaire. Et l’ex-milicien congolais a été élu chef cuisinier par ses pairs avant d’être renvoyé à Kinshasa en décembre 2015 pour finir de purger sa peine.

Dans ce lieu unique au monde, témoin d’un huis clos singulier où d’anciens miliciens et un enfant soldat côtoient des chefs d’Etat déchus et des politiciens, les deux hommes ont appris à s’apprécier. En perdant le pouvoir, Laurent Gbagbo est passé du palais présidentiel d’Abidjan aux cellules étroites de Scheveningen. Pour Dominic Ongwen, arrêté dans la brousse centrafricaine, le contraste fut tout aussi manifeste. Commandant dans l’Armée de résistance du Seigneur après avoir été kidnappé par la milice ougandaise à l’âge de 14 ans, Dominic Ongwen pense que c’est un grand hôtel !, raconte-t-on.

L’ex-enfant soldat, qui ne parle qu’Acholi, une langue du nord de l’Ouganda, serait ravi de son séjour. Il a de l’eau pour se doucher, une cellule pour lui et un lit ! Et il adore le miel au petit-déjeuner ! Mais cette prison « cinq étoiles » n’a rien du Hilton. Lits et lavabos sont scellés aux murs de cellules de 2 mètres sur 4, et la vue sur les miradors y est gâchée par des barreaux serrés. Néanmoins, ce « cinq étoiles » du monde pénitentiaire a son infirmerie, sa salle de sport, de télévision, sa bibliothèque et propose même des cours d’anglais.

Mais c’est le bruit et l’odeur qui font surtout la différence avec les prisons sans étoiles. Dans les établissements classiques, il règne une odeur de tabac, de sueur et d’eau de javel, raconte Mikko Sarvela, le commandant du quartier des Yougoslaves, accolé à celui dédié à la CPI, et les cris sont constants. Rien de tout cela entre ces murs dont personne, selon la légende, n’aurait tenté de s’échapper, même si les renseignements néerlandais se sont un temps inquiétés des velléités supposées de Jean-Pierre Bemba.

En débarquant au petit matin du 30 novembre 2011, Laurent Gbagbo a été accueilli par son ennemi d’hier. Jugé par le tribunal pour la Sierra Leone, mais hébergé par la CPI, Charles Taylor l’avait salué d’un welcome ! Par le passé, les deux hommes s’étaient envoyés leurs milices par-delà les frontières. Charles Taylor purge désormais sa peine dans une prison britannique, car une fois tombé le verdict final, les détenus quittent les Pays-Bas pour un autre pays. Taylor savait qu’il finirait en prison. Mais il disait aux autres : J’ai été président, j’ai fait ce que j’avais à faire, confie un gardien.

Contrairement au « saigneur » de guerre libérien, le sénateur congolais, Jean-Pierre Bemba, ronge son frein. Un matin de mai 2008, armée d’un mandat d’arrêt de la CPI, la police belge l’a arrêté en banlieue bruxelloise, mettant entre parenthèses ses ambitions présidentielles. Depuis Jean-Pierre Bemba se consacre à ses pinceaux et ses toiles pour passer le temps. Long, lorsque les accusés ne sont pas en procès. Le Congolais aurait aussi prêté son piano électronique à l’ex-président ivoirien. Car Gbagbo, il n’aime pas le sport, se rappelle Floribert Njabu, il passe son temps à lire dans sa chambre !

Témoin dans le procès de Germain Katanga, ce politicien de l’est congolais avait été transféré de la prison de Kinshasa pour déposer à La Haye. Avec deux autres témoins, il avait profité de l’aubaine pour demander, sans succès, l’asile politique aux Pays-Bas. Pendant trois ans, il a multiplié les plaintes, demandant des moyens pour joindre sa famille, ou reprochant qu’il n’y ait qu’un canapé-lit pour les visites conjugales. Pour certains, à des milliers de kilomètres de chez eux, les visites familiales sont rares. Mais la dernière fille de Germain Katanga a néanmoins été conçue en prison.

18 magistrats pour juger l’irréparable

Ils sont dix-huit pour juger l’irréparable. Dix-huit juges venus des cinq continents pour poser un sceau sur les traumatismes de la guerre, selon les mots de l’écrivaine Shoshana Felman. Robes noires, soulignées d’une étole bleue, ils siègent dans des salles d’audience sans fenêtres, à des milliers de kilomètres des sites de crimes. Ils sont Britanniques, Japonais, Nigérians, Français, etc… et recensent des heures durant les témoignages bouleversants de victimes, s’emparent de dossiers de centaines de milliers de pages qui comptent souvent autant de morts, se plongent dans les rouages de guerres lointaines, suscitant parfois l’impatience des témoins ou des accusés face à leur ignorance. Un grand nombre de destins dépend de la façon dont nous travaillons, dit la juge bulgare Ekaterina Trendafilova. Le destin de ceux qui sont traduits en justice, les destins des victimes et le destin d’une institution nouvellement créée.

Face à eux, dans le box des accusés, s’assoient des chefs d’Etats, d’anciens miliciens, des rebelles ou des ministres, désormais soumis, et pour plusieurs années, à leur discipline. Car ce sont eux qui tranchent les objections des avocats, qui décident ou non de donner la parole aux parties civiles, et doivent évaluer le niveau de sécurité des témoins au cours d’audiences très lentes, parfois « secrètes », simultanément interprétées en français, en anglais, et dans la langue des accusés et des témoins : swahili, acholie, lingala…

Pour décrocher un siège de juge, dont les émoluments sont plus qu’alléchants, 15 000 euros par mois, ils doivent faire campagne, convaincre Etats et ONG. Et leur élection donne lieu à bien des tractations diplomatiques entre Etats membres.

Avant de rejoindre la Cour, ils n’étaient pas tous des juges professionnels. Certains, juristes chevronnés, achèvent ici une carrière de diplomate ou sont professeurs de droit international.

Depuis les débuts de la Cour, ils n’ont rendu que trois jugements définitifs, deux condamnations et un acquittement, mais tranché aussi des centaines de requêtes. Leur arme : un code pénal, négocié par des diplomates, qui recèle quelques chausse-trappes rendant les procédures lentes et complexes. Dans le secret de leurs délibérés, qui se prolongent parfois pendant des mois, se livrent des guerres entre tenants du droit anglosaxon ou du droit romano-germanique, les deux grands systèmes juridiques sur lesquels la Cour est bâtie.

Les décisions des juges le disputent à la politique

Leurs décisions ne sont pas isolées de la politique. Il leur faut aussi mesurer leur impact sur la paix, et parfois sur la Cour elle-même. A l’été 2014, ils décidaient de renvoyer à la justice libyenne l’affaire Abdullah el-Senoussi, l’ex-chef des renseignements de Kadhafi, estimant que Tripoli pouvait conduire son procès, malgré des procédures bien éloignées d’une justice équitable et malgré, surtout, l’éclatement en cours du pays.

A l’heure de leurs verdicts, les audiences sont retransmises sur l’internet, mais leurs jugements de plusieurs centaines de pages sont, pour les néophytes, presque illisibles et leurs décisions sont parfois incomprises, car pour les victimes directes des accusés, les peines infligées sont rarement à la hauteur des crimes subis.

Témoins de la mort de leurs proches, parfois blessées, battues, violées, réduites à l’esclavage, plusieurs centaines de victimes alimentent les rangs des parties civiles à La Haye. Elles sont identifiées par des ONG locales et internationales dans l’est du Congo, en Centrafrique, en Côte d’Ivoire et partout où le procureur enquête. A la CPI, ces victimes d’atrocités qui défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine, comme le dit le préambule du Statut de Rome, peuvent obtenir des réparations et faire entendre leur voix. C’est l’une des grandes avancées de la Cour.

Mais au cours des procès, les victimes sont néanmoins cachées du public par un pseudonyme et leurs avocats sont leurs porte-parole. Il en est ainsi de Julien Zarambaud. A l’ouverture du procès de Jean-Pierre Bemba en novembre 2010, il interpellait les juges : Combien de gens connaissent les victimes, ces pauvres petites commerçantes, ces pauvres cultivatrices qui sont, dans cette salle, des numéros ? Qui les connaît ? Qui connaît ces pauvres femmes qui ont été violées en présence, parfois, de maris et d’enfants ? Pour cet avocat centrafricain, décédé en 2014, c’est quand justice leur sera rendue que les victimes pourront entamer le processus de reconstruction, autant que faire se peut.

Mais cette justice suscite encore les déceptions. Les victimes s’opposent souvent à leur allié naturel, le procureur, lui reprochant, comme par exemple dans l’affaire Lubanga, d’avoir circonscrit ses enquêtes au seul crime d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans, ou de l’avoir réduit à un simple conflit ethnique, épargnant de facto les pouvoirs impliqués. L’un de leurs représentants, Hervé Diakiesé, plaidait ainsi que le conflit en Ituri a été instrumentalisé pour le pillage des ressources de la République démocratique du Congo avec la complicité du Rwanda, de l’Ouganda et de certains acteurs locaux.

Depuis, le milicien congolais a été condamné à quatorze ans de prison, mais les victimes attendent encore réparations. Elles seront collectives. La Cour promet de faire fleurir en Ituri quelques écoles, des centres de soin, des projets de formation. Mais le Fonds au profit des victimes, un organisme rattaché à la Cour et chargé d’évaluer le montant de ces réparations, est empêtré depuis des années dans une lourde bureaucratie, demandant toujours et encore du temps avant de rendre ses conclusions. Les crimes de l’Ituri jugés par la Cour remontent à 2002 et, plus de treize ans après, les victimes n’ont pas obtenu réparation.

Le rôle prépondérant  des ONG

Plusieurs organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme ont commencé à militer pour la création d’une Cour permanente au début des années 1990. En février 1995, vingt-cinq d’entre elles créaient la Coalition des ONG pour la CPI, un lobby qui revendique aujourd’hui 2 500 membres. Plusieurs ONG coopèrent aussi avec l’accusation et les victimes pour le recueil de preuves, notamment la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Human Rights Watch, et Women’s Initiatives for Gender Justice.

EKB

Source:RFI

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