Interview/Kouamé Adjoumani (Fils du prince Adingra) : « Pour la réconciliation, les rois et chefs traditionnels doivent parler à leurs sujets » #Tanda
CIV-lepointsur.com (Abidjan, le 12-7-2016) Au cours d’un entretien, le dernier héritier du prince Adingra fait part de son amertume face à l’indifférence des populations de Tanda vis-à-vis de son père qui a pourtant tracé les sillons du développement de cette ville. Dans la foulée, Kouamé Adjoumani se prononce sur la réconciliation nationale, le projet de révision constitutionnelle et le débat autour d’un troisième mandat pour le Président Alassane Ouattara.
Prince Kouamé Adjoumani, vous êtes le petit-fils du roi Adjoumani, père du prince Adingra, votre père. Pouvez-vous relater l’histoire de la création du royaume Abron ?
La création du royaume prend sa source au Ghana actuel, des suites de mésententes entre les Ashanti et les Abron. Du coup, les Abron ont décidé d’aller s’installer loin des Ashanti. Sur le chemin de la recherche d’un meilleur site, les Abron sont arrivés dans la localité de Sampa. Toujours poursuivis par les Ashanti, il était alors question pour eux de s’enfuir très loin des territoires sous contrôle de leurs poursuivants. C’est alors qu’ils ont débarqué sur le territoire voisin qui est la Côte d’Ivoire. Une fois sur ce territoire, ils ont mis le cap sur Soko. Chemin faisant, ils sont arrivés à Tanhi, une étape décisive de leur histoire. A cette époque-là, la cohésion était très forte entre les familles Abron. A leur arrivée à Bondoukou, le restant du flambeau a été remis au roi des Koulangos par le vieux Tan Daté, chef de file des nouveaux hôtes en vue de montrer leur bonne foi. A partir de Bondoukou, les Bron se sont dispersés. Pendant que certains allaient s’installer à Hérébo et Tabagne, une bonne partie est allée s’installer à Tangamourou, à Adania, Assuéfry et Tanda. Soulignons qu’à cette période-là, les Brons constituaient une seule famille bien structurée avec un seul père et une seule mère. Evidemment, la succession se faisait sans problème. D’autant que chaque prétendant attendait patiemment son tour.
Dans quelles conditions, le prince Adingra est-il monté sur le trône ?
Au soir de sa vie, le roi Adjoumani a convoqué toutes les familles dont les enfants étaient prétendants au trône royal. Il leur a fait part de son inquiétude quant à la succession, en vue d’éviter un vide au cas où, il venait à décéder. Tous ont refusé de proposer leurs enfants parce que craignant que ceux-ci meurent en cette période incertaine de la colonisation. Ils lui ont fait comprendre qu’il était père de plusieurs enfants et qu’il lui était loisible de choisir l’un d’entre eux pour en faire son héritier et successeur. Le roi a alors présenté son fils, le prince Adingra comme son successeur. Sur le champ, le prince Adingra a pris à témoin le gouverneur par la signature d’un document, en guise de reconnaissance pour éviter des palabres.
Est-ce à dire que c’est son père qui a parrainé sa formation et son initiation au trône Bron ?
Bien entendu. Le roi n’effectuait pas de déplacement sans lui. Ils étaient tous deux portés lors des grandes cérémonies du royaume. Il était porté sous le nom de Aduana Hinnin ou la chaise des princes.
Cela, n’a-t-il pas gêné le bon fonctionnement du royaume ?
Aucunement ! Je pense que ce fait inédit a contribué au rayonnement du royaume, d’autant que le jeune prince apportait un sang neuf au fonctionnement du royaume, à travers plusieurs cérémonies, où il représentait déjà son père. Bien entendu, cette situation a été bénéfique au prince qui en a saisi cette opportunité pour apprendre la gestion du royaume. Mais contre toute attente, au décès de son père, ceux qui avaient refusé de laisser leur fils succéder au trône, viennent demander au prince Adingra d’organiser les funérailles du roi Adjoumani. Demande à laquelle, celui-ci opposa une fin de non recevoir.
Pourquoi le prince Adingra refusa-t-il d’organiser les obsèques de son père ?
S’il accédait à cette demande, cela serait interprété comme s’il renonçait au pouvoir. Mieux, ce serait l’occasion pour les différents prétendants au trône de réclamer leur droit. Sentant le piège venir, le prince Adingra a indiqué qu’il n’organisait pas les funérailles, car pour lui, le règne du roi Adingra se perpétuait à travers lui.
Maintenant qu’il assurait les fonctions de roi, pouvez-vous revenir sur des faits qui ont marqué le règne du prince Adingra ?
Il faut dire que le prince Adingra est le souverain qui a apporté une touche moderne dans la gestion du royaume. Son règne a surtout été marqué par sa volonté à rassembler tous les Abrons. Dans la foulée, il a rassemblé autour de lui tous les enfants des anciens rois, en vue de les éduquer et les mettre à l’école. Toute chose qui se matérialise par la création de plusieurs établissements scolaires au bénéfice des enfants du royaume, dont celles de Tanda, Tangamourou et d’Amanvi. Mieux, il a contribué à faciliter le départ de plusieurs enfants Bron en Europe pour poursuivre leurs études. Au plan extérieur, il est l’un des rares souverains africains à avoir soutenu l’effort de guerre suite à l’appel du général De Gaulle en 1944, en mobilisant 700 hommes pour aller appuyer les soldats de la métropole. C’est grâce au soin de mon père que Tanda a été érigée en sous-préfecture en 1958.
Si le prince Adingra est celui qui a présidé à la formation de nombreux cadres Abron, qu’est-ce qui explique que jusque-là, aucun hommage ne lui a été rendu à travers notamment une stèle à sa mémoire ou encore la réhabilitation de sa tombe ?
Comprenez que le monde est ainsi fait. Tous les cadres qu’il a aidés à se réaliser sont ceux-là qui cherchent plutôt à faire disparaître son prestigieux nom, ainsi que celui de son père. Plusieurs autres essaient encore, à ce jour, de se faire passer pour ses ayant-droits. Je m’en vais vous dire ici et maintenant que je suis le seul dépositaire de son héritage. Voyez que je me pavane avec certains de ses attributs ! (Il porte une couronne du prince Adingra). Personne autre que moi, ne possède ces attributs. Ceux sur qui nous avons compté sont ceux qui ont détruit le peu d’héritage qui restait du prince Adingra.
En tant qu’héritier du prince Adingra, quelles sont les démarches qu’avez-vous menées pour que son nom soit réhabilité et surtout immortalisé ?
En la matière, j’ai fait des démarches en vue d’entrer en contact avec les autorités. Je n’ai pas pu trouver d’oreilles attentives à la cause du prince Adingra qui fut tout de même un ancien compagnon du Président Félix Houphouët-Boigny. Je ne baisse tout de même pas les bras. Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour que le nom de mon père ne tombe pas dans l’anonymat. Mon souhait est que la vérité de son règne soit rétablie et que l’opinion sache que le prince Adingra a encore un fils, contrairement à ce que certaines personnes tentent de faire croire.
Pensez-vous que le retard en matière de développement de Tanda s’explique par l’ingratitude des populations, particulièrement des cadres à l’endroit du prince Adingra ?
A la vérité, je pense que Dieu n’est pas content. L’attitude d’ingratitude des cadres et des populations expliquent en partie le grand retard que connaissent la ville et le département de Tanda. Tant que les populations ne reconnaîtront pas le prince Adingra comme celui qui a posé les jalons du développement à Tanda, nous allons demeurer longtemps en retard. Dans cette localité paisible, les cadres ne sont obnubilés que par des postes électifs. Ils usent donc de tous les moyens pour parvenir à leurs fins. Ils trouvent malheureusement des gens pour les accompagner dans leurs folles et ambitieuses aventures. Dans la mesure, où des personnes ont volontairement décidé de tronquer la vérité contre l’argent. Celles-ci, sont prêtes à tout pour des espèces sonnantes et trébuchantes. Et pourtant, nous devons refuser la division et aller à la réconciliation dans la vérité, si notre volonté est de développer notre localité.
Parlant justement de réconciliation, vous qui êtes descendant de roi, quel est selon vous, le rôle que doivent jouer les rois et chefs traditionnels pour réconcilier les Ivoiriens ?
Il serait intéressant que les rois et chefs traditionnels se rendent utiles en servant véritablement le Président Alassane Ouattara qui a revalorisé leur statut. Pour ce faire, chacun à son niveau a le devoir de parler à ses sujets, en vue de contribuer au retour des frères encore en exil, loin de la Côte d’Ivoire. Ils doivent être francs dans leurs différentes démarches. Comprenez que lorsqu’il y a la vérité dans une affaire, Dieu est toujours au milieu. Evitons de frustrer nos gouvernants.
Quel est votre avis sur la question de la révision constitutionnelle dont il est de plus en plus question et par ricochet, un 3e mandat pour le Président Alassane Ouattara ?
Je pense que la révision de la Constitution est une bonne chose. Elle donnera l’occasion d’en finir définitivement avec les dispositions conflictogènes de la loi fondamentale. Pour ce qui concerne la question d’un 3e mandat, je voudrais dire que 2020 est encore loin. Bien avant, des bouleversements peuvent amener à militer en faveur d’un 3e mandat pour le Président Alassane Ouattara. Pour l’heure, il serait intéressant de le laisser travailler. Seuls ses actions et ses réalisations nous situeront. La priorité c’est une véritable réconciliation. Faisons en sorte de préserver l’héritage de paix et de concorde du Président Félix Houphouët-Boigny. Dieu nous regarde et à travers ce que nous faisons, Il touchera le cœur de chacun. A tous, je demande le désarment des cœurs pour une réconciliation vraie. La paix est la seule chose que nous devons préserver pour assurer un avenir radieux à nos enfants. Aidons le Président Alassane Ouattara à travailler pour la bonne marche de notre pays.
Un message particulier à l’endroit des Abrons ?
Je demande à tous les Abrons d’être francs et d’éviter de tomber dans la combine, et de privilégier plutôt la solidarité, car notre région est très en retard. J’ai mal au cœur de savoir que la division s’est installée chez nous à cause de l’argent. Tant que nous ne serons pas francs et unis, nous allons demeurer dans l’ombre.
Réalisée par Idrissa Konaté
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