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[Interview] Les vérités de Gouati Bi Irié Constant (président du Collectif des chefs de communautés de la région du Guémon)


– ‘’Nous demandons aux populations de ne pas se faire justice”-

-‘’Le Collectif a mis en place un mécanisme pour le règlement des litiges fonciers”

M. Gouati Bi Irié Constant est le chef central des communautés gouro, wan, mounan et gagou de Duékoué, par ailleurs le président du collectif des chefs de communautés de toute la région du Guémon. Dans cette interview, le chef régional se prononce sur la genèse de cette structure, sa collaboration avec l’administration, la Chambre des rois et chefs traditionnels, les populations, non sans lancer un appel aux cadres et élus de la région du Guémon. Entretien…

À quoi obéit la mise sur pied d’un collectif des chefs des communautés à Duékoué, alors que l’État a mis en place la Chambre des rois et des chefs traditionnels ?

Il faut dire que l’idée n’est pas de nous, mais plutôt de l’État de Côte d’Ivoire. En effet, c’est l’État qui a mis en place la Chambre des rois et des chefs traditionnels, par la suite,  nos autorités se sont rendu compte qu’elles ont oublié une grande frange de la société civile. Ainsi, avec l’aide du PNUD, elles ont décidé de mettre en place aussi le Collectif des chefs de communauté. C’est ainsi que, ici à Duékoué, ce collectif a été créé et j’en suis le premier président depuis 2016.

Aujourd’hui, votre collectif revendique 27 chefs de communautés. Peut-on savoir la communauté qui revendique plus de membres et quelle est la nature de la collaboration entre vous, les autochtones et les allogènes?

La communauté dominante dans notre collectif, c’est celle des  Burkinabè. En tout cas, avec ce collectif qu’on a mis en place, il y a une symbiose totale. Chaque mois, nous tenons une réunion pour relever tous les problèmes en vue d’apporter des solutions adéquates.

‘’Chaque mois, nous tenons une réunion pour relever tous les problèmes en vue d’apporter des solutions adéquates.’’

Aussi, depuis la mise en place, de ce collectif en place on a évité beaucoup de conflits inter-ethniques, ici dans notre localité. Je me souviens bien que dans le village de Dawin, un jeune de l’ethnie baoulé a, au cours d’une partie de chasse, abattu par maladresse un jeune guéré. Vous  savez qu’en d’autres circonstances, cette situation aurait engendré une guerre entre les deux communautés, mais lorsque nous avons appris la nouvelle, tous les chefs de communautés, sont allés rencontrer les chefs traditionnels wê et les parents du défunt.

Ensemble, nous avons échangé pour éviter  une confrontation. À l’issue de la rencontre, ils ont accepté de mettre balle à terre et tourner la page sur cette tragique histoire. Seulement, il a été demandé aux Baoulés de prendre en charge les frais de conservation de la dépouille à la morgue, le cercueil, le corbillard et  l’enterrement. Ce que les baoulés ont fait.Mais, tenez-vous bien, après ça, les wê sont venus nous donner 10 mille FCFA pour nous remercier d’avoir géré à l’amiable cette situation.

Il y a plusieurs problèmes de ce genre que nous avons évités à Duékoué.  Donc entre nous et les chefs traditionnels, il n’y a vraiment pas de problème. L’harmonie et l’entente règnent. Dès qu’un problème survient dans une communauté, nous sommes informés. Mais si le chef de communauté n’arrive pas à résoudre ce problème, moi, en tant que président du collectif, avec  quelques-uns de mes membres, nous allons à eux pour apporter la solution.

L’actualité en Côte d’Ivoire, c’est la réconciliation nationale. Que fait le collectif dans ce sens vu que Duékoué a été l’épicentre des crises ivoiriennes, avec plusieurs charniers ?

A vrai dire, à notre niveau, nous n’avons pas encore entrepris de démarches allant dans le sens de la réconciliation nationale, car déjà sur place des ONG mènent ce combat, et nous, chaque fois que ces ONG tiennent leur rencontre, nous sommes conviés et associés aux travaux.

Il faut souligner que nous notre rôle, c’est de prévenir les conflits en sensibilisant nos populations sur les comportements à  avoir pour éviter une autre guerre dans le pays.

Le collectif des chefs des communautés de la région du Guémon est mis en place pour éviter que les populations se fassent justice. Quand a un problème survient, il dépêche quelqu’un vers nous, et nous nous déplaçons vers les antagonistes pour régler le problème.

Très souvent, lors de nos discours et nos rencontres avec les habitants de notre localité, nous demandons aux gens d’éviter de transporter les problèmes à la police ou à la gendarmerie parce que certains d’entre eux peuvent être réglés entre nous ici. Ce n’est pas la peine d’envoyer quelqu’un devant la justice, juste pour un oui ou un non. À chaque sortie, nous insistons sur  cela.

Pour faciliter les choses, nous avons remis la liste de tous les chefs de communautés à la sous-préfecture, à la préfecture, à la gendarmerie et à la police. J’ai demandé au commandant de brigade et au commissaire de nous informer afin que nous réglions l’affaire entre les ethnies, si ce n’est pas une affaire pénale. C’est ce qui se fait ici actuellement à Duékoué.

Il y a une très bonne collaboration entre nous et le commandant de brigade de la gendarmerie et le commissaire de police de la ville. En agissant ainsi, on prévient les conflits, car la plupart des conflits intercommunautaires naissent à travers ces genres de cas.

Et avec les élus locaux quels sont vos rapports ?

Il faut dire qu’on a de très bons rapports avec nos élus locaux. Une fois, il y a eu un litige  ici, et moi, j’étais en déplacement à Abidjan. Les deux camps concernés par cette affaire sont allés saisir directement le sous-préfet pour résoudre le problème. Le sous-préfet leur a demandé où était leur chef de communauté. Ils ont répondu que j’étais à Abidjan. En fait, c’était un problème foncier. Ainsi, le sous-préfet m’a joint par téléphone pour que je me rende à Duékoué. À mon retour, ensemble nous avons réglé le problème.

Justement, vous touchez-là un problème très important relatif aux litiges fonciers. Ce problème revient de façon récurrente dans cette région de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Elles sont nombreuses ces populations qui se plaignent de l’expropriation de leurs parcelles de terre. Votre collectif a-t-il mis en place un mécanisme pour pallier cet état de fait ?

Ce que nous avons décidé de faire, c’est que déjà dans le bureau exécutif on a des membres chargés des problèmes fonciers. Pour tous les problèmes fonciers qui existent déjà ici, nous avons mis en place ce mécanisme pour les régler. Mais pour éviter que d’autres problèmes fonciers ne surgissent, nous avons demandé à toutes les populations, que ce soient les allogènes ou les autochtones, que lorsqu’elles veulent acheter un terrain ou une parcelle de terre, de venir rencontrer d’abord le chargé des affaires foncières dans le bureau du collectif.

Lui, à son tour, va prendre des gens avec lui pour aller mener des enquêtes au village auprès du chef du village, le chef de terre et le président des jeunes pour s’assurer effectivement que la parcelle appartient à celui qui veut la vendre. Et ce, pour qu’il n’y ait pas de litige après la vente.

Donc une fois que cela est fait et que tout est clair, le conseiller  de celui qui s’occupe des affaires foncières vient me voir pour rendre compte de l’enquête qui a été menée. Ensuite, nous établissons un document légalisé à la mairie qui nous permet d’avoir accès au terrain. Après quoi, nous allons voir l’administration pour établir les documents afférents.

Qu’en est-il des personnes installées en violation des textes légaux sur certaines les parcelles?

Il faut dire que ces cas concernent les deux camps, c’est-à-dire, les allogènes et les autochtones. Lorsqu’il y a eu la guerre, certains étrangers qui avaient  déjà acheté des parcelles et qui s’étaient déjà installés ont fui le pays ou la localité pour aller se réfugier ailleurs. À leur retour, ils constatent que leur terrain est occupé par d’autres personnes et on leur dit que le terrain ne leur appartient plus. Et vice-versa, parce que pendant la crise, beaucoup de Wês ont fui leurs plantations et leurs campements. En leur absence, des étrangers sont venus s’y installer.

Peut-on affirmer aujourd’hui  que vous avez trouvé un juste milieu pour que ces genres de litiges soient réglés sans incident ?

À ma connaissance, le collectif des chefs des communautés du Guémon  n’a pas encore reçu de plainte dans ce sens. Par contre, il y a eu un cas de ce genre dans le village de Bagohouo, concernant une plantation, et le chef de ce village m’a informé qu’il avait pu résoudre ledit problème.

Selon certaines informations en notre possession des plantations du village de Bagohouo, situées à la lisière de la forêt classée du Mont-Péko ont été détruites vers fin 2018.  Avez-vous cette information ?

Non, malheureusement, je n’ai pas cette information. Peut-être que c’est le chef de ce village qui a oublié de m’informer. Cela est regrettable si cette information est vraie. Car, c’est pour être au parfum de ce qui se passe dans nos villages qu’on a décidé de mettre des chefs dans tous les départements et toutes les sous-préfectures.

Y a-t-il  une réelle symbiose  entre tous les chefs de votre collectif ?

Il n’y a aucun problème entre les 27 chefs que compte notre collectif.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés, vous chefs de communautés dans la région du Guémon, quant à la sensibilisation  dans le cadre de la réconciliation nationale ?

À ce niveau, comme vous le savez, il y a toujours eu des personnes aigries et rancunières. On a beau les sensibiliser, mais elles font toujours ce qu’elles veulent. Certes, nous ne pouvons pas mener notre combat et avoir un résultat à 100%, mais grâce à nos sensibilisations, la majorité des personnes a compris qu’il est inutile de s’entretuer, car dans un conflit, il n’y a, en réalité, aucun  gagnant. Tout le monde est perdant.

C’est d’ailleurs pour ça que notre collectif travaille de manière harmonieuse avec les chefs traditionnels et les chefs de villages. Nous leur avons demandé de nous saisir aussitôt qu’il y a un problème dans leurs différentes localités pour qu’ensemble nous trouvions des solutions adéquates. C’est cette saine collaboration qui nous permet d’avancer dans notre mission.

Nous sommes au terme de notre entretien, avez-vous quelque chose à ajouter ?

D’abord, je commence par les cadres de la ville. En réalité, les cadres de Duékoué ne s’entendent pas, ils sont divisés. Si les cadres d’une ville ou d’un département ne s’entendent pas, il est évident qu’il ne règnera pas de cohésion entre les habitants. Et cela peut avoir des répercussions négatives sur tout le département. Donc, il faut d’abord que tous les cadres s’entendent. Ils sont divisés aujourd’hui à cause de la politique.

À dire vrai, je ne comprends pas pourquoi les cadres de Duékoué ne se mettent pas ensemble, lorsqu’il y a des élections pour désigner celui qu’on doit élire. S’ils sont tous unanimes sur le choix d’une personnalité pour diriger notre département, je crois qu’ils travailleront ensemble de  sorte qu’il n’y ait pas de problème ici.

Mais aujourd’hui, ce que l’on constate, c’est que chacun veut forcément que ce soit lui qui dirige la localité. Or, tout cela engendre la fissure au sein de la communauté. Cela n’est pas bon, donc il faut que les cadres s’entendent, pour qu’il y ait également la paix entre les différentes communautés.

Au niveau de l’administration, c’est  vrai qu’elle n’a pas grand-chose à faire quant à la paix dans notre localité, puisque c’est nous qui  leur remontons les faits. Toutefois, ce que nous leur demandons, c’est de faire appel aux chefs traditionnels lorsqu’il y a des problèmes fonciers, en saisissant, bien sûr, la Chambre des rois et le collectif des chefs de communautés. Car, ce sont les mieux habilités à résoudre ce genre de problème. C’est eux qui savent l’historique de chaque parcelle de terre dans le département. Autant dire que l’administration doit associer davantage les chefs traditionnels lors des règlements des litiges fonciers.

Quant aux habitants du département, je leur ai toujours dit  de ne pas se faire justice quand il y a un problème. Il ne faut pas qu’une communauté se lève et attaque une autre communauté tout simplement parce que l’un des siens a été retrouvé assassiné. Je dis non et non.

S’il y a un tel cas, il faut saisir aussitôt la gendarmerie, la police ou les chefs de communautés pour mener les enquêtes afin de régler le problème sans toutefois avoir recours à la violence. Il faut que les habitants de notre département apprennent à garder leur calme et être sereins quand les problèmes de ce genre surgissent, à laisser les autorités compétentes faire leur travail. Cela va permettre d’éviter qu’une petite bûchette d’allumette enflamme toute une région.

Interview réalisée à Duékoué par Sériba Koné

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