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[Côte d’Ivoire Politique] Y a-t-il eu un génocide du peuple Wê?


Abidjan, 12-5-2019 (lepointsur.com) Une vidéo rendue virale sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, fait couler beaucoup de salive et ‘’chauffe’’ les claviers à propos de la déclaration de Anne Désirée Ouloto, ministre ivoirien de la Salubrité et de l’Assainissement, qui rejette l’idée du génocide perpétré contre le peuple Wê en Côte d’Ivoire.

L’une des captures de sa déclaration sur Facebook

Les propos de Mme la ministre, Anne Ouloto, par ailleurs présidente du conseil régional du Cavally, tenus le samedi 4 mai 2019, à N’douci (sud de la Côte d’Ivoire), lors de la 27ème édition de l’opération “Grand Ménage’’, ont enflé certains groupe Facebook tels Observatoire démocratique en Côte d’Ivoire et La cité de Bangolo. Pour plus de lumière sur cette affaire qui a jeté l’émoi dans une partie du peuple wê, nous avons cherché à vérifier cette information.

«Il n’y a jamais eu de génocide Wê en Côte d’Ivoire», déclarait Anne Ouloto, lors de la 27e édition de l’opération nationale de salubrité publique dite ‘‘Grand Ménage’’, organisée le premier samedi de chaque mois par le ministère de l’Assainissement et de la Salubrité (Minass).

Qu’appelle-t-on génocide ? L’encyclopédie Larousse définit le génocide comme un crime contre l’humanité tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Aussi, sont qualifiés de génocide les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d’existence mettant en péril la vie du groupe, les entraves aux naissances et les transferts forcés d’enfants qui visent à un tel but.

Pourquoi la ministre Anne Ouloto a-t-elle affirmé “qu’il n’y a jamais eu de génocide Wê en Côte d’Ivoire’’ ? En affirmant “qu’il n’y a jamais eu de génocide Wê en Côte d’Ivoire’’, Anne Ouloto, répondait en effet, à une déclaration de l’ex-Première dame ivoirienne, Simone Gbagbo, qui a affirmé, lors de l’ouverture de la fête de la liberté tenue à Duékoué, le 26 avril 2019, que le peuple Wê a subi un génocide pendant les crises survenues en Côte d’Ivoire. Selon Aka Lambert, conseiller technique de la communication de la ministre ivoirienne de la Salubrité, Anne Ouloto reconnait que le peuple Wê a beaucoup souffert lors des crises ivoiriennes. «Il y a eu beaucoup de tueries à l’Ouest. Et ce de tous les côtés. Aussi bien chez les autochtones que chez les allogènes», affirme-t-elle.

À en croire Aka Lambert, le conseiller technique de la communication, Anne Ouloto a su peser ses mots quand elle affirme “qu’il n’y a jamais eu de génocide du peuple Wê en Côte d’Ivoire’’.

 «Quand on parle de génocide, c’est qu’il y a tentation d’élimination d’un peuple donné. Il y a même une programmation. Mais, est-ce que c’est de ça qu’il s’est agi», s’interroge-t-il avant d’ajouter, «Il n’y pas eu une programmation d’élimination systématique du peuple Wê. Vous voyez le concept est très complexe. Il y des termes qu’il ne faut pas dire comme ça. Un génocide, c’est trop grave. Et ce génocide-là, qui l’a planifié ?».

La ministre, elle-même, avoue qu’il a eu des tueries massives, des atrocités, crime contre l’humanité en Côte d’Ivoire, lors d’une rencontre avec les chefs Wê, à Abidjan, à l’hôtel du District, le jeudi 9 mai 2019. Aussi, selon elle, «les Wê ont été victimes de crime contre l’humanité, c’est de cela qu’il s’agit. Ces crimes qui ont frappé le pays et le peuple Wê, nous ne pouvons pas les oublier. Je prie que, ceux qui viennent chez nous, sèment l’amour parce que nous avons trop souffert. Le peuple wê a payé très cher cette guerre, nous avons droit à la paix», déclarait Anne Ouloto. Et d’ajouter dans le même ton : «À Klaon, Bloléquin, Sakré, Duekoué carrefour, Guitrozon, Nahibly, Sémien carré des martyrs, j’ai été témoin des impacts et des conséquences de la crise socio-politique ainsi que des grandes souffrances de nos populations et de nos parents.»

De l’avis d’un expert. «La ministre Anne Ouloto, présidente du conseil régional du Cavally, en disant qu’il n’y a jamais eu de génocide Wê, n’est, à mon avis, pas en train de nier la grande souffrance vécue par ses parents, dans cette partie de l’ouest de la Côte d’Ivoire. L’on n’a pas besoin d’être de tel ou tel bord politique pour comprendre qu’elle voulait tout simplement dire que ce qui s’est passé ne saurait être qualifié de génocide. Et elle le dit en leader avertie, en toute responsabilité. Parce que pour qui la connaît, elle est toujours aux côtés de ses parents Wês, dans les moments difficiles comme dans les moments de réjouissance», a révélé Magloire Zoro, juriste en droit international et environnementaliste.

L’expert en droit a aussi souligné que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 indique les comportements susceptibles de constituer des actes de génocide, en énumérant cinq catégories d’actes : meurtre de membres d’un groupe, atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique, totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. «La Convention exige que ces actes soient dirigés contre un groupe ayant certaines caractéristiques : il doit s’agir d’un groupe “national’’, “racial’’ ou “religieux’’. Les groupes politiques ou culturels sont dès lors exclus», précisera-t-il.

Des rapports des organisations internationales des droits de l’Homme ainsi que des journaux. Plusieurs rapports des organisations internationales des droits de l’homme telles que l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Rapport_sur_les_violati ns_des_droits_de_l_homme_a_l_Ouest.pdf) et le Haut-commissariat des nations unies aux droits de l’Homme (https://www.ohchr.org/Documents/Countries/CI/rapport1.pdf), révèlent des violences et des graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire perpétrés à l’ouest de la Côte d’Ivoire, principalement dans les régions du Moyen Cavally et des Dix-huit Montagnes, suite à la confrontation armée née de la crise post-électorale du 28 novembre 2010.

D’après ces sources, il y a également eu des exécutions ciblées, des détentions arbitraires et des disparitions forcées des populations autochtones dans cette partie du pays.

Aussi, un article publié sur le site www.wobebli.net, fait état d’un génocide subi par le peuple Wê, pendant les guerres ivoiriennes (https://www.wobebli.net/histoire/guerre.htm). «À l’heure où j’écris ces lignes, le peuple Wê vit un moment des plus dramatiques de son histoire, celui de la défaite, de l’exil et de la dépossession de son territoire historique. Les villages et les quartiers Wê du pays Wê ont étés massivement pillés et incendiés lors des épouvantables massacres de 2002, 2003, 2005 et 2011», rapporte notre source. Qui précise, par ailleurs, que «la culture Wê a été anéantie à travers la destruction de presque tous les lieux et les objets sacrés qui constituent l’âme et les symboles du peuple Wê : les Kwi et les Glaé (fétiches et masques).

La moitié au moins des autochtones Wê s’est donc réfugiée au Liberia (160.000 personnes, selon l’ONU), traquées dans les forêts ou terrées dans des camps improvisés autour des missions catholiques et protestantes de Duékoué (30.000 à 40.000 personnes). Ceux qui s’étaient réfugiés dans des bâtiments publics en ont été chassés par les nouvelles autorités et ont dû improviser des habitations de fortune sans aucune aide des ONG ou de « l’État de droit ». Selon une enquête d’Amnesty International, (rapport de septembre 2011), 60 à 75 % des Wés n’étaient pas rentrés chez eux au mois de juin 2011».

Chronologie des faits. 2002-2003 : Selon plusieurs médias nationaux et internationaux, à cette époque ce peuple a subi des massacres de la part des rebelles qui ont envahi la Côte d’Ivoire d’alors. Dans un récit de la présidente de l’Ardefee, Martine Kéi Vao, relayé par le site www.ivoirebusiness.net la première vague de massacres des Wês a eu lieu entre novembre 2002 et mars 2003, faisant environ 7000 à 10000 victimes dans tout le pays Wé, à l’exception de la ville de Duékoué qui avait été protégée à l’époque par les forces françaises de la Licorne (https://www.ivoirebusiness.net/articles/c%C3%B6te-d%E2%80%99ivoire-la-tragedie-du-peuple-we-par-martine-kei-vaho-presidente-de-l%E2%80%99ardefe). Cette période a été marquée par le massacre en 2005

2005 : Au cours de cette année le peuple Wê a subi son deuxième massacre, avec notamment les tueries de Guitrozon et de petit Duékoué, au cours desquelles 140 Wês ont été exterminés pendant leur sommeil.

2010-2011 : Selon plusieurs sites d’informations, tels que le reportage récent (http://lepointsur.com/grand-reportage-17-ans-apres-les-massacres-de-duekoue-sur-les-ruines-et-charniers-de-fengolo-au-quartier-carrefour/), le journaliste raconte comment le peuple wê a payé le lourd tribut de la crise post-électorale de 2011. Dans ce reportage, le site découvre à Fengolo, le massacre d’une vingtaine de personnes dans une cours et dont les corps sont enfouis dans un puits. À Duékoué, il a pu identifier 5 charniers dans un quartier à forte population Wê. Cependant, précise le reportage, les corps n’ont jamais été identifiés, c’est pour cela que le journaliste a affirmé que les corps restent sans nom et sans visage.

Selon l’encyclopédie Wikipédia, le massacre de Duékoué (Ouest de la Côte d’Ivoire) est un massacre qui a eu lieu du 27 au 29 mars 2011, dans le cadre de la crise ivoirienne de 2010-2011. Elle a fait entre 152 et 1 000 morts et disparus civils, selon les différentes estimations.

Peut-on alors parler de génocide ? Entre la définition du mot génocide et les faits, il n’y a qu’un pas à franchir. Cependant, seules des enquêtes minutieuses, l’exhumation et l’autopsie des corps pourront mettre fin à cette polémique.

Georges Kouamé

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