Economie

A deux mois de l’élection présidentielle : Les forces de l’ordre font perdre 340,5 milliards de F CFA à l’Etat


À l’approche de la présidentielle, dont le premier tour vient d’être fixé au 25 octobre, les questions qui n’ont pas été réglées depuis la crise de 2010-2011 ressurgissent. Pourtant, en cinq ans, le pays et la société ont changé. Alors que les candidats à l’élection présidentielle d’octobre sont invités depuis le 3 août à déposer leur dossier auprès de la Commission électorale indépendante (CEI) et que la campagne électorale n’a pas encore officiellement commencé, le débat politique entre pouvoir et opposition prend une tournure inattendue…

Les Ivoiriens entre psychose et peur…

D’un côté, un chef de l’État qui brigue un second mandat, Alassane Dramane Ouattara (ADO). Candidat du Rassemblement des républicains (RDR) et5bd9830f040b57ac2d40c0d9b5b44848 du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié , il multiplie les meetings à l’intérieur du pays ces dernières semaines, défendant son bilan, et a solennellement déposé son dossier auprès de la CEI dès le 5 août. De l’autre, une opposition bien partie pour se présenter en ordre dispersé au scrutin (déjà 8  candidatures annoncées) malgré le lancement en mai de la Coalition nationale pour le changement (CNC), dirigée depuis peu par l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny. Laquelle se distingue désormais par sa volonté de remettre sur le devant de la scène le vieux débat sur l’éligibilité de Ouattara à la magistrature suprême. En tout cas, les populations ivoiriennes dans leur grande majorité sont dans l’expectative entre la psychose et la peur.

En toile de fond, bien sûr, l’article 35 de la Constitution, relatif à l’éligibilité, selon lequel un candidat à la présidentielle « doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine ». Source de tensions et de crises profondes pendant près d’une décennie dans le pays, cet article avait été quelque peu « assoupli » – sur ce point comme sur d’autres – par les accords de Linas-Marcoussis (en 2003), afin notamment de permettre à Alassane Ouattara de se présenter en 2010.

« Au regard de la Constitution, des textes réglementaires et de la jurisprudence en la matière, Alassane Ouattara reste et demeure inéligible à l’élection présidentielle », ont dégainé dès le 1er août les « frondeurs » du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex-président Laurent Gbagbo (qui, lui, s’oppose à la ligne modérée du président du parti, Pascal Affi N’Guessan). « Il ne devrait pas y avoir de tabous aujourd’hui. Surtout lorsqu’il s’agit simplement de faire respecter notre Loi fondamentale. Et que l’on ne nous dise pas que parler de l’article 35 revient à parler d’ivoirité [concept flou qui, dans son interprétation radicale, définit qui est ivoirien ou non], cela n’a rien à voir », rétorque le député du PDCI de Port-Bouët, Kouadio Konan Bertin, probable candidat en octobre. Puis d’ajouter, en faisant référence à Bédié : « D’ailleurs, les pères de l’ivoirité ne sont pas avec nous aujourd’hui, ils sont alliés à M. Ouattara… »

SOLDATSSeul le leader de Liberté et Démocratie pour la République (Lider) et ancien président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly s’est clairement et très tôt exprimé contre cette stratégie, qualifiant le débat sur l’article 35 de « faux débat ».

Un faux débat qui cache les vraies questions

Devant la tournure que prennent les déclarations de chacun et les unes de journaux tapageuses sur le sujet, le chef de l’État a d’abord choisi l’ignorance, avant de déclarer fermement, le 26 juillet, en marge d’un meeting dans la région du Woroba (NordOuest) : « Je demande à tous les candidats de faire preuve de mesure dans leurs propos et de s’assurer qu’ils sont conformes à notre volonté de paix et de réconciliation. » Quant au porte-parole de son parti, Joël N’Guessan, il voit surtout dans ce débat un « cruel manque d’inspiration et d’imagination de la part de l’opposition. À croire que c’est leur unique fonds de commerce », assène-ti-l.

Le président Ouattara a promis de recevoir les membres de l’opposition et le fera « comme prévu, sûrement en septembre », confie le ministre d’État chargé du dialogue politique et codirecteur de campagne d’ADO, Jeannot Ahoussou-Kouadio. « Et nous comptons bien aborder tous les thèmes, sans exception, lors de cette rencontre, si elle a lieu, bien sûr », ajoute un proche du futur candidat Essy Amara.

Entre les deux camps, les Ivoiriens, qui, s’ils ne sont plus forcément surpris par la résurgence du débat sur l’article 35 et des vieux démons identitaires qui l’accompagnent, attendent sans nul doute autre chose de cette campagne électorale qui s’annonce. Quid des idées et des programmes politiques visant à résoudre les autres problèmes de fond qui minent la société ivoirienne depuis des décennies ?

Les rapports critiques de HRW sur le camp Ouattara

Ces deux dernières semaines, Human Rights Watch (HRW) a d’ailleurs publié coup sur coup deux rapports très critiques sur le pays. Le premier épingle le comportement des forces de sécurité ivoiriennes, qui, selon l’ONG, s’adonneraient massivement à des actes d’extorsion sur les routes de l’ensemble du pays, rackettant les transporteurs et les citoyens. D’après une étude financée par la Banque mondiale et réalisée par l’École nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (Ensae) de Côte d’Ivoire, même s’il y a un léger mieux, ces extorsions auraient encore fait perdre au pays 340,5 milliards de F CFA (près de 520 millions d’euros) en 2014, contre 369,6 milliards en 2012.

Le second document, publié le 4 août et intitulé « Pour que la justice compte », porte sur l’impunité qui protège encore aujourd’hui certains acteurs de la crise postélectorale de 2010-2011, et plus particulièrement les pro-Ouattara.  L’Ong fustige surtout les manquements et « lacunes » de la Cour pénale internationale (CPI et souligne tout de même les quelques progrès accomplis par la justice nationale avec, notamment, l’annonce début juillet de l’inculpation de chefs rebelles pro-Ouattara.

« Le fait que la justice ivoirienne ait officiellement mis en cause des commandants hauts gradés des deux camps du conflit ivoirien dans les affaires de violation des droits humains représente une avancée indéniable pour les victimes de la crise postélectorale, explique à Jeune Afrique Jim Wormington, chercheur de HRW pour l’Afrique de l’Ouest. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire avant que les présumés coupables soient jugés. Le gouvernement ivoirien devrait continuer à soutenir les efforts de la justice ivoirienne afin qu’elle puisse achever ses enquêtes et déclencher les procès. »

Radicalisme religieux

Autre sujet d’inquiétude, plus récent : le radicalisme religieux rampant aux frontières, voire dans certaines zones du Septentrion ivoirien. Le gouvernement prend la menace terroriste de plus en plus au sérieux, avec l’arrestation d’une dizaine de présumés jihadistes à la frontière ivoiro-malienne le mois dernier. L’Institut d’études de sécurité (ISS, sud-africain) s’est également inquiété du phénomène dans un rapport publié le 13 juillet. « Le radicalisme religieux en Côte d’Ivoire n’a pas, pour l’heure, pris l’ampleur observée dans d’autres pays de la région », expliquent les auteurs du document. « Pour autant, celle-ci n’est pas à l’abri de ce phénomène », ajoutent-ils, notamment à cause d’un certain radicalisme pentecôtiste, mais aussi de « l’existence d’un courant « wahhabite »  l’un comme l’autre nécessitant une vigilance accrue ».

Impunité, mentalité des forces de sécurité, désarmement partiel des ex-combattants, conflits fonciers en zone rurale, corruption, etc. Les vieux démons du pays sont encore là et vivaces, malgré certaines avancées. La campagne électorale qui s’ouvre officiellement dans un mois va-telle permettre à chacun d’exposer ses idées sur ces différents sujets ? Au vu des premières flèches décochées de tous bords, rien n’est moins sûr.

EKB et Jeune Afrique

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