[Reportage]Les populations de Gare Kan entre galère et attaques de bandits
-Quand la suppression de la gare de train impacte les activités génératrices de revenus des populations
Après la crise postélectorale, les populations de Gare Kan, village situé à 15 kilomètres de Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire, dans le canton N’dranouan, vivent entre la galère et les braquages, suite à la suppression de la gare de train de cette contrée.
Dans le cadre d’un tournoi de football, dénommé, Tournoi de « l’Émergence», initié par le directeur de l’Institut national de la Formation sociale (INFS), Traoré Mamadou, par ailleurs fils du village de Gare Kan, le vendredi 23 novembre 2018, notre équipe de reportage raconte le visage d’un village jadis prospère, qui croule sous le poids de la misère et des braquages subis par les commerçants.
Récit d’une situation émouvante, choquante d’un village à la recherche de ses repères et de ses lustres.
La voie qui mène dans ce village offre un spectacle d’une nature belle à admirer. Le trajet fait défiler des acacias et des bois de tecks, un planting ombrageux, patrimoine de la Société de développement des forêts (Sodefor), qui donne fière allure à l’environnement dans cette savane.
Au fur et à mesure que nous avançons, nous sommes envahis par un nuage de poussière sur un tronçon non bitumé, rocailleux, difficile à pratiquer. Ce qui rend long le trajet qu’on pouvait parcourir en moins de 30 minutes.
Depuis 1910, jusqu’à la crise militaro politique de 2002 qui a secoué la Côte d’Ivoire, les populations de Gare Kan vivaient dans la quiétude et l’opulence. Les habitants de cette bourgade, qui tire son nom de la gare de train (Gare) et de la rivière qui arrose le village (Kan), ont du mal à joindre les deux bouts. Ils gardent un bon souvenir de ce passé récent qui a fait leur fierté, et qui s’amenuise peu à peu.
Non loin du village, fleurissent encore quelques plants de tabac comme à la belle époque de la Société ivoirienne de tabac (Sitab). « Ce village a vu le jour dans les années 1910. Et jusqu’en 2002, les trains marquaient un arrêt ici. On y cultivait aussi du tabac pour la Sitab, ce qui faisait marcher les activités commerciales», rappelle notre guide, le sexagénaire, Koné Arnaud.
Un beau souvenir qui se raconte dans la tristesse
Ce beau souvenir du développement amorcé par Gare Kan par les activités commerciales à la gare a pris un véritable coup depuis 2002. Mme Kouassi Aya Mariette, célibataire, 40 ans, mère de 2 enfants, vendeuse d’attiéké garde encore de bons souvenirs de son commerce. «Nous écoulions facilement notre attieké (….) à la gare du train, mais depuis la fermeture de cette gare et les nombreux braquages qui ont cours sur le tronçon Bouaké-Gare Kan, nos activités sont au ralenti. Aujourd’hui, il est très difficile pour nous de joindre les deux bouts, raconte dame Kouassi qui poursuit, avant, la bâchée de manioc était vendue à 100 000 FCFA, mais aujourd’hui, cette même quantité est bradée à 40 000 FCFA .»
Aujourd’hui, elle vend au moins 3000 FCFA de sa production, souvent les dimanches, jour de marché à Gare Kan. La présidente de l’association des femmes, Mme Coulibaly, la cinquantaine révolue, mère de 6 enfants, qui a créé une association de femmes afin qu’elles unissent leurs efforts pour des activités génératrices de revenus abonde dans le même sens: «Malgré le droit d’adhésion fixé à 500 FCFA et les cotisations qui varient de 50 à 100 FCFA par jour, les femmes n’y adhèrent pas en grand nombre. Nous rencontrons des difficultés parce que nous ne disposons pas de marché, de voiries et le train ne s’arrête plus ici, ce qui entraîne la dégradation de nos vivriers.»
Des difficultés se dressent devant ces femmes comme de véritables défis qu’elles doivent relever chaque dimanche dans un marché de fortune. Déjà 7 heures, les vendeuses (en majorité) et les vendeurs étalent à même le sol leurs marchandises sous des hangars.
La vente dans ce marché se résume en des tas de tubercules d’ignames, de manioc, de régimes de banane, des tubercules de manioc et de légumes… En un mot, des denrées alimentaires produites dans la localité. Le tas de 5 gros tubercules d’ignames dans ce village coûte 1000 à 2000 FCFA. Les prix des légumes, notamment le gnangnan (petites aubergines amères), l’akpi (L’akpi est une amande issue d’un arbre fruitier de la forêt tropicale), le gombo, l’aubergine varient entre 25 et 50 FCFA.
Avec 1000 FCFA, l’on peut facilement faire un marché qui peut nourrir une famille de 8 personnes. Mais cette somme n’est pas à la bourse des villageois qui ont déjà ‘’du mal à joindre les deux bouts.’’
Un marché qui se vide vite à cause de l’insécurité
À midi déjà, le commerce commence à fermer, par manque d’affluence, mais surtout à cause de la mévente des produits et des nombreux attaques et braquages. «Je rentre à la maison parce que les activités commerciales ne marchent plus depuis que les femmes de Bouaké ne viennent plus effectuer d’achats dans notre marché. De plus, le transport coûte cher. Le tarif des moto-taxis est à 1000 FCFA et les taxis-brousse à 2000 FCFA. À tous ces problèmes s’ajoutent la mévente des produits et l’insécurité grandissante dans la région», fait remarquer dame Amenan K., vendeuse de vivriers.
«En Juillet 2017, j’ai moi-même été victime d’un braquage. J’ai été dépossédé de ma moto, de mes deux téléphones portables et de la somme de 43 000 FCFA, aux environs de 17 heures. En effet, je quittais Bouaké pour Gare KAN quand trois hommes encagoulés, armés de fusils à canon scié, ont surgi devant moi, pour m’entraîner dans les bois de tecks. Ligoté et dépouillé de tout, ils m’ont abandonné dans cette plantation et ont disparu. Dieu merci, depuis lors, avec la présence des gendarmes sur ce tronçon, les vols de motos ont cessé, mais les vols d’argent demeurent. Il y a même eu des échanges de tirs entre ces braqueurs et les gendarmes. Ces gangsters les déroutent toujours avant d’incendier leurs engins mobiles», ajoute le président des jeunes de Gare Kan, Bamba Sériba.
Difficile équation de l’exode des jeunes filles vers la ville
Suite à cette situation morose, la majorité des jeunes filles préfère aller en ville fuyant les travaux champêtres et la vie au village. Conséquence : certaines d’entre elles reviennent avec des grossesses indésirées. «La majorité des filles du village a quitté ici pour la ville. Certaines ont trouvé des boulots de ménage; de temps en temps, elles viennent en aide à leurs parents, quand d’autres reviennent au village plutôt avec des charges : grossesses dont on ne connaît pas les auteurs », s’indigne M. Sériba.
Pour résorber ce grand flux des jeunes filles vers les villes, la présidente de l’association des femmes de Gare Kan sollicite l’appui des élus locaux et du gouvernement ivoirien. «En tant que présidente, nous sollicitons le soutien de nos élus locaux et du gouvernement pour l’obtention de broyeuses de manioc et une usine de transformation d’attieké pour l’écoulement de nos productions vers Bouaké ou Abidjan», plaide-t-elle, avant d’ajouter qu’il existe également un manque criant d’eau potable dans le village.
Le président des jeunes de Gare Kan, marié, père de 5 enfants, Bamba Sériba (38 ans), abonde dans le même sens que ses prédécesseurs. Ses membres et lui ambitionnent de faire de la riziculture mais le manque d’eau freine leur projet malgré leur bonne volonté. Le maïs de leurs cultures saisonnières qui devrait pallier l’absence de riz se vend mal: trois ou quatre épis de maïs frais s’échangent contre 100 FCFA;les grains de maïs séchés sont vendus dans des boîtes à tomate de 220 grammes entre 200 et 300 FCFA,raconte dépité le président des jeunes.
Une sécurité dans des conditions difficiles
«Ils sont là», lance un conducteur de taxi-moto au nôtre sur notre chemin du retour. Un message (codé) que les chauffeurs décodent facilement entre eux. Nous prenons peur parce que nous venons d’apprendre qu’il y a des braquages récurrents dans la zone. Mais cette fois, il n’en est rien. À quelques mètres de là, deux gendarmes nous accostent pour des contrôles de routine avant de nous informer qu’ils assurent la sécurité des populations des villages tous les jours et même les dimanches. Eux aussi éprouvent des difficultés (qu’ils partagent avec nous) contre ces malfrats qui sévissent sur ‘’la A3’’ Abidjan-Tafiré et Tafiré-Korhogo) : «Nous plaidons pour l’obtention de matériels mobiles, des drones de communication pour débusquer les braqueurs qui se réfugient dans les tecks. En tout cas, nous voulons être motorisés pour être plus efficaces.»
Malgré la perte de l’activité principale de cette localité,qui était basée sur le tabac, la fabrique de briques et le commerce à la gare de train, la population se convertit peu à peu. Elle brave l’insécurité. Elle s’adonne, par ailleurs, à la culture de l’anacarde, du maïs, du manioc et bien-sûr de l’igname pour se donner espoir.
Opportune Bath envoyée spéciale à Gare Kan
Encadré
De la nécessité de la renaissance de KAN
Les villages de Kan, Oko, Djamlakro et Akpessé délaissés du fait de la suppression de la gare de Kan supportent difficilement leur pauvreté, leur misère.Cette situation actuelle, qui impacte négativement les activités génératrices de revenus des populations d’antan reluisantes, est très difficile à supporter. Ces populations, qui subissent les impacts de la crise postélectorale à l’instar d’autres villages, attendent beaucoup de l’État de Côte d’Ivoire. Encore faut-il que ces villageois soient plus créatifs, imaginatifs et dynamiques pour espérer aborder l’émergence de l’année 2020. C’est seulement à ce prix que la crise politique de 2010 sera un lointain souvenir pour eux. Cela passe nécessairement par l’union des filles et fils du canton N’dranouan, en attendant la concrétisation de leur voeu tant caressé : la réouverture de leur gare.
Opportune B.
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