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[Peine de mort] Amnesty International dresse un sombre tableau de la situation dans le monde


Dans son rapport annuel sur la peine capitale, rendu public ce mardi 16 mai pour l’année dernière, Amnesty International recense au moins 883 condamnés à mort ayant vécu leur dernier jour en 2022. C’est le plus haut niveau d’exécutions depuis 2017, du fait notamment de la situation dans certains pays d’Afrique du Nord et surtout du Moyen-Orient. Mais le petit nombre de systèmes judiciaires conservant cette pratique dans leur arsenal continue de diminuer.

  • Un point sur le combat de l’abolition

En 1961, « à nos débuts », écrit l’organisation Amnesty International sur son site internet, « il paraissait improbable que la plupart des pays aboliraient la peine de mort ». Les exécutions capitales restent de nos jours une réalité concrète pour beaucoup de gens, et le rapport annuel de l’ONG demeure un outil précieux, à défaut d’être parfait, faute de transparence, pour le mesurer.

Mais chaque année, les motifs de réjouissance sont là, et 2022 ne fait pas exception. Au cours de l’année écoulée, malgré les sérieuses « ombres au tableau », « de remarquables progrès ont été effectués en termes de recul de la peine de mort », écrit Amnesty dans son rapport.

Le Kazakhstan, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Sierra Leone et la Républicaine centrafricaine l’ont bannie pour tout type de crimes. La Guinée équatoriale et la Zambie l’ont fait pour les crimes de droit commun. Le gouvernement de ce dernier pays « a pris la décision, la grande décision, d’en finir avec la peine capitale », déclarait le président Hakainde Hichilema, le 23 mai 2022, précisant que trente condamnations avaient été commuées en peines de réclusion à perpétuité.

Alors que fin 2022, l’organisation non gouvernementale a recensé 112 pays ayant aboli la sentence ultime pour tous les crimes et neuf autres pour les crimes de droit commun dans le monde, cette « dynamique positive » se poursuit par ailleurs au Liberia et au Ghana, deux pays où les autorités ont annoncé que les condamnations à mort ne seraient plus appliquées.

« Des propositions de loi visant à abolir l’application obligatoire de la peine de mort ont en outre été présentées au Parlement malaisien », note enfin Amnesty International dans le communiqué de presse présentant son travail annuel.

  • La question du droit international

Conséquence, donc, de ces abolitionnismes nouveaux : « Les actions brutales de pays comme l’Iran, l’Arabie saoudite ainsi que la Chine, la Corée du Nord et le Vietnam sont aujourd’hui très minoritaires ».

Mais attention, suffisantes pour que l’ONG puisse recenser cette fois plus d’exécutions que lors de ses quatre rapports précédents, tandis qu’en République populaire de Chine, chez le champion mondial de la peine capitale, ces statistiques demeurent classées secret d’État. « Amnesty International reste convaincue qu’en Chine les condamnations à mort et les exécutions se sont encore comptées par milliers en 2022 », dit le rapport.

Après les baisses observées entre 2018 et 2020, le nombre d’exécutions avérées est ainsi, au total, reparti à la hausse dans le monde : au moins 883 personnes ont été exécutées l’année dernière, constate Amnesty, contre au moins 579 en 2021 et environ 500 en 2020. Mais de fait, ces pratiques ont été observées dans seulement vingt pays.

Tout comme le Koweït, la Birmanie, les Territoires palestiniens et Singapour, l’Afghanistan, sous le contrôle des talibans, a recommencé à exécuter des gens en 2022, après quelques années d’accalmie. Et surtout, une exécution publique y a eu lieu, ainsi que deux autres en Iran, ce qui constitue une violation du droit international.

La République islamique d’Iran double d’ailleurs la mise, en matière de droit international, puisque son système judiciaire a également expédié à la mort cinq individus pour des crimes commis avant l’âge de 18 ans. Elle triple la mise, même, puisque des personnes présentant un handicap mental ou intellectuel y étaient menacées de subir le même sort – ce qui est d’ailleurs le cas également aux États-Unis, au Japon, aux Maldives.

Et cela ne s’arrête toujours pas là : sur les huit catégories de violations du droit international en matière d’application de la peine de mort mentionnée par Amnesty, l’Iran apparaît, en fait, sept fois. Pour le dire encore plus simplement, avec au moins 576 exécutions, ce pays représente un peu plus de 65% des exécutions recensées par Amnesty en 2022.

Mention spéciale néanmoins aux États-Unis, compte tenu du rôle que s’est attribué ce pays dans le monde en matière de défense des droits de l’homme : il s’agit en effet du seul endroit des deux Amériques où des détenus ont été exécutés l’an passé (18, dans six États), alors que la Barbade garde quelques personnes sous le coup d’une sentence capitale (cinq), tout comme la Grenade (une), le Guyana (17), Saint-Vincent-et-les-Grenadines (une) et Trinité-et-Tobago (43).

Mieux encore : avec ce dernier pays, et le Guyana, les États-Unis constituent en fait l’un des trois seuls endroits de toutes les Amériques à avoir condamné à mort des individus en 2022 (21 personnes dans douze États, contre une poignée dans les deux autres pays susmentionnés). Amnesty revient au passage sur quelques décisions prises par des gouverneurs, compte tenu d’injections létales ratées par exemple (en Alabama).

  • Autres tendances à l’échelle régionale

Si l’on tient compte des estimations relatives aux exécutions en RPC, l’Asie et Pacifique apparaît alors comme la région d’Amnesty qui s’abreuve le plus du sang des condamnés.

Outre Singapour et la junte militaire birmane – qui a rompu l’an passé une tradition vieille de quatre décennies en exécutant quatre condamnés dans des procès contestables, dont deux personnalités de l’opposition –, le Bangladesh continue de condamner à tout-va, d’accumuler un nombre de condamnés à mort important sur son sol, et d’ôter des vies (quatre l’an passé).

Par ailleurs, même si aucune exécution n’y a été recensée, la peine capitale reste un peu plus qu’une idée abstraite dans des pays comme le Pakistan, le Sri Lanka, Taïwan, la Thaïlande, les Tonga, les Maldives, la Malaisie, le Laos, l’Indonésie, l’Inde, la Corée du Sud, ou encore Brunei.

Si l’on enlève la Chine, cette fois, alors 93% des exécutions recensées en 2022 ont eu lieu non plus en Asie, mais entre le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, écrit Amnesty, qui constate que l’Arabie saoudite, avec 196 morts au moins, « a atteint le niveau annuel le plus élevé » que l’ONG ait enregistré pour ce pays « depuis trente ans ». Fait digne du mois de thermidor de l’an II de la République française, quelque 81 personnes ont même été exécutées en un jour, l’an passé dans le royaume.

L’Égypte a massivement condamné pendant l’année dernière, bien plus encore d’ailleurs (538), et a appliqué la sentence ultime 24 fois, ce qui conduit ce pays à compléter le quintette de tête mondial, avec quatre autres pays déjà mentionnés, à savoir les États-Unis, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Chine.

L’Irak a pratiqué la peine capitale en 2022, selon le rapport. La mort reste également un risque judiciaire en Syrie, et des personnes ont été condamnées, rien qu’en 2022, dans des nations comme l’Algérie, Bahreïn, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Liban, la Libye, la Tunisie et le Yémen.

Une fois n’est pas coutume : un bon point pour la Russie, qui malgré sa sortie du Conseil de l’Europe, non seulement n’a exécuté personne l’an passé à la connaissance d’Amnesty, mais de surcroît n’a condamné personne à la peine capitale, et n’a même plus de détenu recensé tombant sous le coup d’une telle législation. Pour cause : avec le Tadjikistan, la Fédération russe a maintenu son moratoire.

L’Europe et l’Asie centrale sont d’excellents élèves. Il n’est pas possible d’être membre de l’UE, par exemple, en maintenant la peine capitale. Mais il n’est toujours pas prévu non plus que la Biélorussie entre dans l’Union, d’autant qu’il s’agit du dernier des derniers du continent en matière de peine de mort ; le seul système judiciaire du « vieux monde », en effet, à avoir ôté une vie l’an passé, et gardant « semble-t-il » un condamné à mort sur son territoire fin 2022.

En revanche, alors qu’une loi supprimant le châtiment suprême du droit national du Kazakhstan est entrée en vigueur début 2022, et que l’abolition a pris, depuis, effet jusque dans la Constitution de ce pays, personne n’y a été exécuté.

  • Le cas particulier de l’Afrique sub-saharienne

Quelques mots supplémentaires concernant l’Afrique, et plus précisément l’Afrique sub-saharienne, où non seulement quatre pays ont pris le chemin de l’abolition totale ou partielle l’année dernière, mais où le recours à la peine de mort a diminué de 67% sur un an et où les condamnations ont pour leur part été réduites de 20%, selon les données compilées d’Amnesty. Seize pays seulement de la région ont prononcé cette sentence, soit « trois de moins qu’en 2021 ».

Au total, sur l’ensemble du continent africain, onze personnes ont ainsi été exécutées l’an passé, trois fois moins qu’en 2021, si l’on laisse l’Égypte de côté. Cela s’est passé dans deux pays d’Afrique sub-saharienne seulement : la Somalie et le Soudan du Sud, « soit un de moins qu’en 2021 ».

Le Botswana, les Comores, l’Éthiopie, la Gambie, le Ghana, la Mauritanie, la Zambie ont tous condamné une poignée d’individus en 2022, et ce ne sont pas les seuls. La Tanzanie en a pour sa part condamné onze. En revanche, les systèmes judiciaires de pays à la démographie conséquente, comme le Nigeria, la République démocratique du Congo ou le Kenya, prononcent bien plus souvent la sentence encore.

Par ailleurs, Amnesty s’inquiète tout particulièrement pour les geôles du Nigeria justement, qui semblent pleines puisqu’elles représentent la moitié des effectifs continentaux (plus de 3 000). Mais dans des endroits où aucune condamnation n’a été prononcée l’an passé, les couloirs de la mort sont assez remplis aussi, dans une bien moindre mesure cependant – en Ouganda, au Malawi ou au Cameroun.

Par le passé, le Burkina Faso ou encore la Guinée équatoriale avaient aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun. La peine capitale pour tous les crimes, elle, a été abolie pour l’instant par 23 pays du continent africain, alors que 14 autres États dont le Mali sont eux considérés comme abolitionnistes de facto, n’ayant plus procédé à la moindre exécution depuis au moins dix ans.

L’intégralité de ces données, dont certaines peuvent sembler encourageantes pour les activistes, laisse transparaître que l’application de la peine de mort dans le monde, a fortiori compte tenu de contextes nationaux ou régionaux spécifiquement chargés, restera une réalité au moment de faire le bilan fin 2023.

Source : Rfi

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