Opération d’Alassane Dramane Ouattara à Paris/ Qui dirige l’Etat ivoirien? – Y a-t-il vacance de pouvoir ?


Ferro Bi Bally, ex-journaliste à FRAT-MAT

Ferro Bi Bally, ex-journaliste à FRAT-MAT

La Côte d’Ivoire bruit de rumeurs et depuis l’opération d’Alassane Dramane Ouattara d’une sciatique sévère, c’est le branle bas. Certains journaux et autres internautes parlent déjà de guerre de succession entre notamment Soro Guillaume, président de l’Assemblée nationale, et Hamed Bakayoko, ministre d’Etat, ministre de la Sécurité et de l’Intérieur; d’autres n’hésitent même pas à insinuer que Soro Guillaume, n°2 de l’Etat, pourrait, durant le temps de repos du chef de l’Etat, présider un ou des conseils des ministres. Ces débats se déroulent en parfaite méconnaissance des textes ivoiriens.

C’est vrai que notre pays, depuis le coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui a emporté le régime du PDCI-RDA, fait parfaitement bon ménage avec le désordre institutionnel. Au point que depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire, il n’y a jamais eu de passation des charges entre le président entrant et le sortant. Tout a commencé à la mort de Félix Houphouët-Boigny en décembre 1993; alors que l’article 11 de la Constitution (aujourd’hui dissoute) disposait que le président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié, devait finir le mandat du défunt (1990-1995), les choses ne se sont pas passées dans les règles de l’art.

«Lorsque nous avons été informés de son décès, le 7 décembre, (…) je me suis retiré au palais présidentiel avec le premier ministre et M. Philippe Yacé, président du Conseil économique et social, et le grand chancelier Germain Coffi Gadeau. Et là, j’ai assisté au déclenchement des hostilités,» raconte Bédié dans son ouvrage autobiographique, Les chemins de ma vie. Alassane Dramane Ouattara, alors premier ministre d’Houphouët-Boigny, et son mentor Philippe-Grégoire Yacé ont tenté un passage en force pour court-circuiter le dauphin constitutionnel; ils échouèrent.

La Côte d’Ivoire venait de signer un bail avec l’insurrection. Car, Bédié n’acheva pas son premier mandat (1995-2000); il est renversé par un putsch en 1999. La transition militaire, pilotée par le Comité national de salut public (junte), n’apporta aucun répit dans l’exercice du pouvoir. Si la IIè république est née avec une nouvelle constitution, la compétition électorale qui opposa, en octobre 2000, le général Guéi Robert, chef de la junte, à Laurent Gbagbo, candidat du FPI, se termina dans les troubles quand, après avoir unilatéralement dissous la commission nationale électorale (CNE), le président du CNSP a opéré un hold-up électoral en s’autoproclamant président élu. Battu dans les urnes, vaincu dans les batailles de rue et abandonné par une grande partie de l’armée, Guéi Robert jetait l’éponge pour se réfugier à Toukouzou (s/p de Jacqueville au sud ouest), puis dans son village de Kabakouma (s/p de Biankouma à l’ouest).

Laurent Gbagbo, premier président de la IIè république n’a pas connu meilleur sort. Son régime, installé dans des «conditions calamiteuses», a été attaqué par une rébellion armée le 19 septembre 2002 qui occupa le nord du pays. Pis, à l’issue d’une élection présidentielle sous haute tension et controversée en novembre 2010, bien que déclarée élu par le Conseil constitutionnel qui l’a officiellement investi le 4 décembre 2010, Laurent Gbagbo, sur la base des résultats provisoires de la Commission électorale indépendante (CEI), n’a pas été reconnu vainqueur par la communauté dite internationale. Usant de la force militaire exercée par les troupes étrangères (forces françaises Licorne et Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire), la communauté dite internationale va procéder au bombardement de la résidence officielle des chefs d’Etat ivoiriens où était Laurent Gbagbo, qui revendiquait la souveraineté des institutions nationales, le faisait arrêter, le 11 avril 2011, et déporter à La Haye pour crimes contre l’humanité. Alassane Dramane Ouattara prenait alors le pouvoir dans les cendres d’une guerre post-électorale ayant fait officiellement 3.000 morts

Dans ces conditions, le respect des textes et institutions ivoiriens n’est pas toujours à l’ordre du jour dans le fonctionnement de l’Etat de Côte d’Ivoire. Ainsi, à la tête de l’Etat, le n°1 et le n°2, c’est-à-dire le chef de l’Etat et le président de l’Assemblée nationale ont été candidats à titre exceptionnel, c’est-à-dire en dehors de la loi. Et depuis qu’il est au pouvoir, Alassane Dramane Ouattara, non seulement a trainé les pieds pour déclarer ses biens (dont personne ne connaît la teneur alors qu’ils devaient être rendus publics), mais préside toujours aux destinées du RDR, son parti politique, en violation de l’article 54 de la constitution qui dispose : «Les fonctions de président de la république sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de tout emploi public, de toute activité professionnelle et de toute fonction de dirigeant de parti politique.»

Ceci entraînant cela, presque tout le monde croit aujourd’hui que force n’est pas toujours à la loi mais plutôt à l’argument de la force. En Côte d’Ivoire, il y a bien longtemps que l’on a tourné le dos au dicton : Sed lex dura lex, la loi est dure mais c’est la loi. C’est pour cette raison que des velléités réelles ou supposées sont évoquées depuis que le chef de l’Etat a quelques ennuis de santé. Car, si c’est pour remplacer Ouattara à la tête du parti RDR (une association privée), il peut y avoir guerre de succession entre les différents prétendants; mais à la tête de l’Etat, les dispositions constitutionnelles sont claires et sans équivoque. Opéré officiellement d’une sciatique sévère et atteint, selon des sources non confirmées, d’un cancer de la prostate, Alassane Dramane Ouattara reste de droit dans l’exercice de ses fonctions présidentielles. Il n’y a, pour l’instant, aucune vacance de pouvoir.

L’article 40 de la constitution, en ses alinéas 1 et 2, dispose : «En cas de vacance de la présidence de la république par décès, démission, empêchement absolu, l’intérim du président de la république est assuré par le président de l’Assemblée nationale, pour une période de quarante cinq jours à quatre-vingt-dix jours au cours de laquelle il fait procéder à l’élection du nouveau président de la république. L’empêchement absolu est constaté sans délai par le Conseil constitutionnel saisi à cette fin par une requête du gouvernement, approuvée à la majorité de ses membres.» Voilà qui est limpide de même qu’il coule de source que Soro Guillaume, en tant que président de l’Assemblée nationale, ne peut prétendre présider un ou des conseils des ministres en l’absence d’Alassane Dramane Ouattara.

Les dispositions constitutionnelles ne souffrent, à cet effet, d’aucune discussion. L’article 53 dispose : «Le président de la république peut, par décret, déléguer certains de ses pouvoirs aux membres du gouvernement. Le premier ministre supplée le président de la république lorsque celui-ci est hors du territoire national. Dans ce cas, le président de la république peut, par décret, lui déléguer la présidence du conseil des ministres, sur un ordre du jour précis. Le président de la république peut déléguer, par décret, certains de ses pouvoirs au premier ministre ou au membre du gouvernement qui assure l’intérim de celui-ci. Cette délégation de pouvoirs doit être limitée dans le temps et porter sur une matière ou un objet précis.»

Au pied du mur et au moment où l’état de santé de leur mentor fait planer des zones d’incertitude, tous les ADOrateurs, qui combattaient hier la constitution parce qu’elle était à l’avantage de Gbagbo, doivent se frotter les mains. Ils sont, sans aucun doute, en train de saluer la clarté des articles de la loi fondamentale ivoirienne. Elle ne laisse aucune place aux aventures et aux interprétations tendancieuses. C’est pour cette raison que les lois qui ne sont faites ni pour ni contre quelqu’un, sont toujours impersonnelles. Et leur respect, en tout lieu et en toute circonstance, devrait être une règle d’or.

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