Contribution

MANIFESTE DU COURANT INDÉPENDANTISTE.


Il m’apparait urgent, bien après Senghor, de réagir dans une postface, à un certain nombre de postulats sur les enjeux et les perspectives esthétiques et idéologiques de la poésie négro-africaine. Bien qu’il s’agisse ici d’affirmer un courant, le principe reste le même : mettre en lumière les déclinaisons esthético-idéologiques que la critique peine à saisir de façon efficiente et qui dénaturent fâcheusement la réception de l’œuvre négro-africaine.

Mais bien plus qu’une orientation singulière d’une poétique quelconque, nous nous situerons d’emblée par rapport à la Négritude en tant que courant matriciel d’une part et de l’autre, par rapport à ce que la critique nomme de façon hésitante encore, « seconde génération » ou, de façon englobante, « post-négritude ». Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de nous placer après ces deux moments essentiels de notre histoire littéraire, au milieu de cette confusion parfois entretenue sur les poétiques et sur leur rapport à la langue d’expression, au regard de notre culture. Indirectement, cela implique la peinture lexicale des enjeux idéologiques de notre univers poétique et littéraire général. À partir de là, il s’agira d’envisager les clés de lecture des œuvres qui se sont succédées jusqu’ici, parfois, faut-il le reconnaitre, sans une position tranchée des auteurs après la Négritude.

Toutefois, quoiqu’il en soit, notre initiative ne vise pas à affirmer tout de go, la naissance, en grande première, de nouveaux poncifs ; tout simplement parce que, ce que nous nommions « oralisme » dans nos travaux de recherche -et qui plus est, est par principe, la base d’écriture de ce courant que nous présentons maintenant-, englobe des créations qui s’observent ouvertement sous la plume d’auteurs comme Bernard Zadi, Adiaffi Jean-Marie, Pacéré Titinga, Massa Makan Diabaté, Bohui Dali, voire dans des registres comme les ballets et le théâtre -notamment le théâtre rituel avec le « kiyi m’bock » de Wèrè-wèrè Liking ou le « kotéba» de Souleymane Koly. D’ailleurs, pour être objectif, on observera que cet appel à recourir à la Tradition orale a pris forme depuis un Senghor qui appelle toujours en soutien à ses poèmes, des instruments musicaux traditionnels comme la kora ou le balafon, mais aussi, indirectement, chez un Césaire qui nous proposait dans son Cahier d’un retour au pays natal (Présence africaine, 1983), la poésie à tenant unique, calquée sur le modèle éthique de l’oralité négro-africaine.

Cet ensemble d’observations a motivé notre ouvrage (sous presse) intitulé Éthique et problématique d’une critique africaine fondamentale et un séminaire sous le thème de Poésie et dramaturgie à l’Université Houphouët-Boigny en 2013. L’optique est de montrer du point de vue critique, les destinées de l’oralité dont l’implication idéologique paraît contenir stricto sensu, une philosophie de l’art comme une acception, un choix d’écriture aussi variable que le permet le répertoire inépuisable de cette Tradition orale négro-africaine ; ce que Bernard Zadi et Adiaffi Jean-Marie ont déjà prescrit chacun à sa façon. Bernard Zadi proposait en effet cette poétique :

« 1- l’écrivain doit s’inspirer de la tradition. Il ne la présentera pas sans polissement à la société actuelle ;

2- il faudra reconnaître le mérite des anciens mais, n’éprouver aucun complexe vis-à-vis des maîtres de l’oralité. Il faudra au contraire prendre leurs œuvres, en comprendre les fondements et principes esthétiques et créer à partir de ces anciens poncifs ;

3- l’écrivain négro-africain ne doit point plonger dans de l’ethno-sociologie en s’enfermant dans le culte de l’antiquité négro-africaine ; il doit manifester un esprit de créativité qui caractérise toute activité artistique ;

4- Enfin, il doit profiter du brassage des peuples à un degré plus vaste. »[1]

                  Il se découvre ici toute la quintessence de l’art poétique oraliste qui englobe les œuvres d’auteurs comme Massa Makan Diabaté, Pacéré Titinga, Bohui Dali, Souleymane Koly et Adiaffi Jean-Marie. Ce dernier décrivait sa poétique par un ensemble de préceptes qu’il présente ainsi :

« …de la tradition j’ai créé mon style appelé « N’Zassa » « genre sans genre » qui rompt sans regret avec la classification classique, artificielle de genre : roman, nouvelle, épopée, théâtre, essai, poésie. Selon l’émotion, je choisis « le genre », le langage qui m’apparait exprimer avec plus de force, plus de puissance ce que je ressens intimement dans mon rapport érotique-esthétique avec l’écriture. Le « N’zassa » est un pagne africain, une sorte de tapisserie qui rassemble, qui récupère des petits morceaux perdus chez les tailleurs pour en faire un pagne multi-pagne, un pagne caméléon qui a toutes les couleurs. Voici donc le « N’zassa », « genre sans genre » qui tente de mêler harmonieusement épopée, poésie et prose, donc essai »[2]

Ces deux regards se complètent et décrivent la même esthétique ; ils confirment une rupture manifeste d’avec la Négritude dans le recours strict à l’approfondissement de l’écriture de l’oralité. Comme on le voit, le besoin de rompre, du moins, la nécessité de recentrer les intérêts du moment sur les valeurs culturelles strictement négro-africaines, loin de l’influence surréaliste dont se réclamait Senghor, était plus visible dans ces initiatives que dans tout le courant de la seconde génération. Par ces prescriptions, ces deux auteurs s’écartent visiblement du prolongement servile des dogmes négritudiens et du courant de la seconde génération marqué par la volonté de rupture thématique depuis 1955. C’est eux que nous avions considéré comme « oralistes ».

Partant d’eux donc, le courant « indépendantiste » semble n’avoir d’originalité que dans sa volonté de donner un nom et un alibi de rupture idéologique en fonction des besoins de notre époque, c’est-à-dire par cette vision doctrinale que motive notre acception du terme. C’est cette vision qui nous met face, par cette annonce, à la Négritude. Sur le plan esthétique, nous opérons naturellement avec tout le courant de la seconde génération et surtout des oralistes que nous y avons distingués, sur ce champ ouvert de la même esthétique orale de base qui, pensons-nous, ne pourra que se bonifier au fil du temps.

En d’autres termes, si le combat de la Négritude a débouché sur les indépendances parfois plus objectivement qualifiées de « politiques » jusqu’ici, il s’impose de les rendre opérantes aujourd’hui, dans les états d’esprit. Aussi, s’agirait-il, indirectement, d’inviter notre génération à reconsidérer le rapport au colonialisme pour créer ce bon qualitatif vers le développement attendu. Au plan de la réception littéraire, cette détermination, couplée à la vocation oraliste, impose d’engager ouvertement le débat sur la crédibilité des méthodes littéraires utilisées jusqu’ici pour décrypter ces textes poétiques négro-africains dont l’authenticité et la spécificité ne sont plus à démontrer ; cela, pour la simple raison que l’expérience d’usage de la langue est toujours une expérience unique en son genre, selon les époques, et donc a fortiori, d’une civilisation à l’autre. On comprendra donc que ce qui est en cause, c’est la problématique de la correspondance éthique de nos cultures à nos arts d’une part et, de l’autre, de notre vision sociale aux visions politiques et sociales en tant que définissant à leur tour, le rapport au monde que nous espérons pour nos sociétés négro-africaines.

Mais vu que nos États sombrent de plus en plus dans le doute face aux tragédies, il importe aussi que nous nous arrêtions brièvement sur l’une des questions les plus récurrentes aujourd’hui sur l’utilité des Arts et des Lettres en général dans le développement de l’Afrique. Il s’agit en effet de la question, non plus seulement parnassienne mais toute aussi existentielle du « que peut le Beau ? » qui pourrait être reformulée en un « que vaut le Beau ? ».

Ces questions, au-delà du jeu cacophonique, s’imposent surtout à un moment où l’Afrique semble avoir tout essayé : révolutions, coups d’États, rebellions et différentes formes de démocraties expérimentées d’un pays à l’autre. Mais si Kant définit le « Beau pur » comme un sentiment universel qui éveille en nous un être moral, cela n’est pas sans soulever des inquiétudes légitimes. La question se pose surtout quand on sait que certains gouvernements négro-africains se rendent de plus en plus coutumiers d’affirmations des plus surprenantes. En effet, un ministre ivoirien, avouant citer le Président Félix Houphouët-Boigny, n’affirmait-il pas récemment qu’on ne peut rendre un pays émergent avec de la littérature ? Devant une telle affirmation, doit-on s’étonner qu’un concept –celui de l’« ivoirité »-, de bonne ou de mauvaise intention, ait pu provoquer la plus grave crise sociopolitique du pays, suite à un simple quiproquo entre deux acteurs politiques, tous deux économistes de formation ?

Mais de telles pensées justifient surtout deux choses: l’imposition des enjeux économiques dans ce monde de grande consommation où la mondialisation déshumanisante héritée du colonialisme sert trop souvent d’alibi à la productivité et à la croissance, là où devraient se poser des questions de bilan, en tout genre, sur les différents modèles de société appliqués à nos États depuis les indépendances et, l’impact idéologique des effets retors de ce colonialisme dont les thèses sont connues depuis Jules Ferry. La question est donc : quelle est l’utilité de la croissance économique entre les mains d’une société dépersonnalisée, sans culture, sans identité et sans idéal de base ? Il est clair que la pauvreté, elle aussi croissante sur le continent, force tout de même à recentrer cette question : quel est ce qui crée dans la vie d’une nation, voire d’une civilisation, le déclic d’une affirmation cohérente comme renvoyant, à son tour, au mythe du développement ? L’indépendance dans ses principes mêmes, ne peut s’octroyer. Elle s’acquiert et s’affirme incorruptible à tous égards.

J’ai été frappé par l’attitude de certains Africains au cours d’un colloque en Europe. Apeurés et impuissants devant la flambée du racisme dont ils étaient victimes, ils étaient tous comme cherchant une réponse venant d’ailleurs. Sans avoir compris Fanon, ils s’autorisaient à oublier encore une chose fondamentale ; à savoir que le racisme est un sentiment ; rien que ça, un sentiment « de supériorité ou d’infériorité », peu importe du reste où l’on se range, pourvu qu’on s’en donne les arguments. Ce qui est curieux, c’est que ce sont majoritairement les Africains qui s’en jugent victimes, partout et tout le temps ? Mais la liberté ou l’absence de racisme dans un monde idéal, n’est-ce pas ce mythe d’un monde idéal et illusoire quand il a servi à définir ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas. Le narcissisme individuel ou collectif n’est-il pas la base du racisme qu’on rencontre en toute société ? N’ont-ils pas servi tous les deux à dépeindre la pauvreté et le manque d’imagination des Africains à en sortir ? C’est pourquoi, je considère que la question de la couleur de la peau, dans ce cas, n’est pas suffisante à justifier un tel état d’esprit. Elle est même erronée. Sans prétendre faire un sondage ici et maintenant, sait-on au moins combien sont-ils, ces Blancs, ces jaunes ou rouges qui se sentent mal dans leur peau ou qui vivent une situation manifeste de précarité en marge des essors économiques en Occident, en Asie et aux Amériques ? La vraie justification est que le continent d’origine des Noirs sombre depuis des millénaires dans une négation systémique de sa fierté, de son orgueil parce que ce continent a toujours été le théâtre malencontreux de tragédies et de compromissions de toute sorte. Autrement dit, le jour où cette image que nous renvoyons au monde aura changé, la victimisation raciste chez les Noirs d’origine africaine disparaitra.

Parallèlement, la littérature d’un peuple, quand elle se fonde sur des valeurs claires, elle est inaccessible à la corruption parce qu’elle préserve et restaure la dignité de la société dont elle véhicule les valeurs ; et parce que la vérité littéraire est atemporelle, il est évident que les arts de la Parole demeurent l’essence de toute connaissance et de toute créativité scientifique. Cela n’est pas que valable chez le Négro-africain. L’exemple d’Archimède le démontre ; lui qui déboucha de façon accidentelle sur la théorie dite de la « poussée d’Archimède » alors qu’il cherchait à sonder un mythe rependu en Europe, qui rapportait que des génies, sous les eaux, repousseraient tout ballon qu’on y enfonçait. Il découvrit en réalité que la masse volumique de l’air contenue dans un ballon était tout simplement inférieure à celle de l’eau. Comme le montre bien souvent Mircea Eliade, là le mythe a bien joué son rôle de « réponse » à une question sans réponse. Et quand il débouche sur une théorie, puis à des inventions modernes qui défient les lois d’attractivité plus tard, ce mythe ne fait que jouer son rôle d’instigateur de l’esprit scientifique.

L’effet de la littérature échappe à certains regards mais demeure non moins dynamique dans la société. Victor Hugo, l’explique dans son discours à l’ouverture du Congrès littéraire international du 7 juin 1878 :

« Les peuples se mesurent à leur littérature. Une armée de deux millions d’hommes passe, une Iliade reste ; Xercès a l’armée, l’épopée lui manque, Xercès s’évanouit. La Grèce est petite par le territoire et grande par Eschyle. (Mouvement) Rome n’est qu’une ville ; mais par Tacite, Lucrèce, Virgile, Horace et Juvénal, cette ville emplit le monde. Si vous évoquez l’Espagne, Cervantes surgit ; si vous parlez de l’Italie, Dante se dresse ; si vous nommez l’Angleterre, Shakespeare apparaît. À de certains moments, la France se résume dans un génie, et le resplendissement de Paris se confond avec la clarté de Voltaire »[3]

Au vu de ce qui précède, mépriser la littérature dans l’espace négro-africain moderne, c’est se rendre tout aussi coupable de mépris à l’égard de l’œuvre exceptionnelle du mouvement négritudien qui, bien avant les révolutions armées, la science ou même les théories économiques qui ont d’ailleurs plus que complexé et acculturé nos États, a offert aux Africains les fondements de leur dignité. De plus, cela se justifie dans l’ordre de précellence des leviers d’une société. La littérature, en tant que matrice de la vision sans laquelle toute technique, toute science, toute économie est inutile a priori, a toujours servi, partout, à définir l’homme et la société humaine. De façon imagée donc, si par la colonisation nous avons été déshumanisés, par la littérature, nous recouvrons notre être profond et par la science, l’économie et la technique, nous traduisons ces rêves en aspirations puis en réalités pour justifier, en partie, la civilité dont nous pourrions nous réclamer.

L’évidence est que dans leurs formes et structures actuelles, ni la science, ni l’économie -africaines- n’ont apporté autant de lauriers par elles-mêmes, sinon en mimant un savoir-faire reçu ; cela, même s’il peut se prouver que la plupart de ces connaissances proviennent de l’Afrique préhistorique.

En conséquence, croire que le mouvement négritudien n’a été qu’un mouvement affectif, idéologique et culturel, c’est méconnaître outrancièrement les bouleversements qu’elle a opérés ; c’est méconnaitre tout aussi outrancièrement, la maxime du primat de la Parole dans toute initiative humaine, comme portant en elle-même, sa propre source de nivellement. Et cette Parole, déclinée pour le Négro-africain depuis « Légitime défense » en mythes fondateurs de la société négro-africaine moderne, aurait dû retentir dans tous les secteurs d’activité -y compris dans la science, dans l’économie et la technique. Faute d’avoir compris cela, on ne peut que donner raison à Stanislas Adotévi qui affirme :

« La négritude de Senghor, du Père Tempels, de l’Allemand Jahn (avec son Muntu) et de ces autres encore, est un bélier lancé contre les illusions de ces nègres fous qui croient que libérer le nègre des phantasmes du passé et surtout du présent est une des conditions premières de développement de l’Afrique et de notre orgueil » (Négritude et négrologues. Paris : UGE, p 62).

En effet, la décolonisation n’a pas suffit à engager le développement du continent. Ce qui veut dire que le non-renouvellement idéologique du discours a été d’une conséquence toute aussi catastrophique sur l’histoire des sociétés négro-africaines que les guerres, fléaux ou catastrophes qui ont défiguré tout ce cinquantenaire. Il en est ainsi parce que ce combat devrait s’envisager dans un militantisme d’éveil progressif. C’est pourquoi, dans l’étude des littératures négro-africaines, la critique doit éviter de tout réduire comme par le passé, à une étude thématique ou historique, unilatérale. C’est d’ailleurs au nom malheureusement de telles approches que Michel Hausser a tenté de réduire ce mouvement à des clichés dans son Pour une poétique de la Négritude[4]. La raison en est que cette littérature posait les jalons d’une culture dont les aspérités n’étaient que secondaires à l’époque. Aujourd’hui, nous pouvons le dire, nos indépendances doivent être vues comme le témoignage des luttes existentielles qui doivent se convertir en une vision qui doit nécessairement inventer l’avenir.

Ici avec Wandi bla, c’est un tam-tam qui parle ; chez Bernard Zadi, c’est le dôdô ou arc musical, chez Adiaffi, ce sont les mêmes sons de tam-tam, mais aussi de balafon ; chez Bohui Dali, ce sont des rituels du mythe de Maïé ; chez Pacéré Titinga et Massa Makan Diabaté, c’est l’art ancestral des griots. Bref, l’initiative oraliste en tant qu’encrage du discours dans les canons spécifiques de l’oralité, est bien lancée. Mais l’idéal, quoiqu’identique, nous différentie. Ils l’espéraient, nous l’affirmons. Et tant que l’on n’aura pas établi le continuum idéologique qui les mène à nous et nous à eux, nous serons différents. Ce que nous souhaitons, c’est que dorénavant, comme nouvelle éthique de création, l’écriture supposée de l’oral ne soit plus un alibi de réaffirmation d’authenticité mais une volonté négro-africaine de parfaire un modèle social ; modèle sans lequel toute initiative pourrait être inadaptée ou inadéquate parce que loin de nos aspirations profondes. Sans cet engagement socio-idéologique, tout discours post-négritudien ne serait que veule propos ; toute chose qui motive que nous nous appuyons sur cette nécessité pour ouvrir un regard nouveau sur nous-mêmes aujourd’hui.

De l’indépendantisme négro-africain.

Au vu de ce qui précède, la question des indépendances pourrait bien être une métaphore si l’actualité pouvait se voiler de fioritures ! Les indépendances politiques restent en effet, pour les États, comme pour les citoyens négro-africains -au risque de devoir relire Kourouma-, ce mythe de Sisyphe par lequel, ils observent chaque jour que l’espoir est des plus incertains. Et pour cause, notre propre naïveté à croire que notre génie peut jaillir dans toutes les circonstances, même dans les formes d’avilissement les plus négatrices. C’est pourquoi, notre vision s’articule sur le fait qu’en tant que courant littéraire, politique et idéologique, ce mouvement doit se poser comme un appel :

  • à assumer dorénavant un existentialisme négro-africain comme un idéal continuel par l’exercice effectif de notre indépendance ;
  • à poursuivre ainsi la conquête de notre dignité en profitant de cet effort prodigieux de la Négritude ;
  • à nous convaincre qu’il est possible de sortir du cycle infernal des tragédies politiques et de leurs conséquences socio-économiques, scientifiques et techniques ;
  • à nous approprier les langues coloniales, en créant des académies autonomes, capables d’y intégrer notre génie ;
  • à envisager la rédaction de dictionnaires et d’encyclopédies des usages négro-africains (francophones, anglophones et lusophones) et des pôles industriels et technologiques basés sur l’imaginaire négro-africain ;
  • à ne point hésiter à solliciter nos fils et filles de la diaspora, des Amériques aux Antilles, et donc à assumer officiellement notre part de responsabilité, de passivité, voire d’indifférence face aux fléaux contre lesquels ils se sont battus seuls et héroïquement jusqu’ici ;
  • à établir la littérature et la culture dans le rôle de fondements des visions qui se réalisent en la politique.

Pour ces raisons, ce concept doit retentir comme un nouvel appel lancé aux Négro-africains pour la mise en facteur des acquis historiques et civilisationnels actuels dans notre volonté de renaître à nous mêmes. Autrement dit, en adaptant la vision négro-africaine aux modulations sociales et historiques, nous ne faisons qu’ouvrir une voie nouvelle et sûre pour notre époque. Nous nous assumerons ainsi, à nouveau, sans basculer dans la dépendance et le fixisme régressif dans lequel s’enferment tragiquement certains auteurs, certains critiques voire, certains États négro-africains.

Nous défaire du sens commun

Pour ces raisons, si le sens commun perçoit le mot d’« indépendantisme » comme un mouvement s’employant bien souvent, sous certains cieux au « terrorisme » et à la volonté de sécession au sein d’un même État, pour nous, ce n’est ni l’un, ni l’autre. Il ne s’agit là que d’un mouvement transnational qui vise à nous recentrer sur la nécessité de nous réinventer sur des bases assainies et non plus sur des contrastes socioculturels et historiques déconstructifs. Pour cela, l’espace ouvert par la Négritude est tout encore opérationnel, nous ne ferons que le consolider.

En clair, notre « indépendantisme » sera autant l’affirmation, la réclamation de la mise en fonctionnement de nos cultures, de notre civilisation, que la nécessité de les voir résister ou collaborer, quand il le faut, avec d’autres. C’est aussi une nouvelle vocation économique et scientifique à insuffler désormais à partir de notre culture. Il s’agit ainsi d’une sorte de transgression des barrières affectives et psychologiques installées en nous par le colonialisme. Cette volonté, de toute évidence, se justifie dans l’écriture comme une initiative éthique, littéraire, culturelle et politique.

C’est pourquoi, en appelant à un colloque en 2008 sur le thème de « bilan de la négritude » (non tenu), il nous apparaissait opportun de situer dans notre argumentaire, le cadre actif qui prouve que le militantisme littéraire et politique post-négritudien a devoir de se justifier comme une succession de leviers générationnels. Ainsi, sans sombrer dans un anti-mondialisme ou un nouvel intégrisme –même intellectuel-, ce concept renverra à cette sacro-sainte perception de l’ordre des choses et du monde, à l’encontre de préceptes qui ne nous conviennent pas. Il ne s’agit certes pas de refaire le monde, mais d’envisager les résolutions aux problèmes qui se posent au Négro-africain aujourd’hui, en partant de son essence culturelle, historique et sociétale comme l’expression manifeste de la concrétisation de son indépendance à tout point de vue.

                                     Konan Roger Langui

[1] Bernard Zadi. « Qu’est-ce que le Didiga » in, Annales de l’Université d’Abidjan, série D, t. XIX, 1986, p 155-156.

[2] Adiaffi Jean-Marie. Couverture verso de Les naufragés de l’intelligence. Abidjan : CEDA, 2000.

[3] PDF version Ebook ILV 1.4 (mars 2014)

[4] Cf. Pour une poétique de la négritude, Paris : Silex, 1988, tome 1.

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