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LA LETTRE A COLETTE/ Toutes nos valeurs se sont transformées en cendres


En l’absence du Président de la République qui, chaque fois, tape du point sur la table et procède à des réajustements face  aux dysfonctionnements des actions du Gouvernement, c’est Madame Dominique Ouattara en personne qui, comme Khrouchtchev (ancien Président de l’URSS), a donné un coup de talon au guéridon. Et il a suffit de ce geste pour que tout le système étatique se mette en branle : Kandia, Paul Koffi, Duncan le ‘’beau’’ du président, et même le ‘’bébéchou’’ du Président,  Mr Ahmed Bakayoko,  1.500 hommes déployés, l’ONUCI,  dotations des Force de l’ordre et de Sécurité en moyens conséquents pour renforcer les patrouilles dans certaines zones criminogènes. Donc, depuis deux mois, et avant 25 cas d’enlèvements avérés ou pas, l’on pouvait se mettre en branle pour endiguer ce phénomène ? Au-delà de ces comportements qui semblent plus découler d’une volonté de ne pas attiser encore le courroux du CHEF, nous avons décidé de mettre l’accent ce matin sur l’une des causes non moins négligeables de ce phénomène de disparition d’enfants, de femmes enceintes, d’albinos, de jumeaux, d’estropiés : la mutation dans les modèles de la réussite sociale.

Lorsque que nous avons eu la chance d’accéder au collège, au début des années 90, plusieurs types de modèles tendant vers la réussite sociale étaient objets de tous nos rêves et nos ambitions : l’élèves militaire à l’EMPT (Ecole Militaire Préparatoire Technique), ou en Seconde au lycée classique, l’enseignants admiré et vénéré, et enfin le gouvernant. Toutes ces images nous étaient balancées chaque soir au début du JT (Journal Télévisé). Que pouvait être à cette époque la nature de nos distractions : la télé avec SSS (Super Star Station), Variétoscope, Comment ça va ? Qui  n’a encore pas en mémoire « I call  your name », « blue night shadow », « me voy pamoron », les ‘’cassements’’ de Ziké, Yves Zogbo, etc…

            25 ans plus tard, comme le fer sous l’effet du vent  marin, toutes ces valeurs se sont transformées en cendre. Haro sur le gamin en tenue vert treillis, haro sur l’enseignant et le « Dieu-président » parce qu’il ne sert à rien «  de se procurer une louche pour fouiller dans la sauce, si ce qu’on y cherche se trouve déjà à notre portée, sur le couvercle ». Le raccourci se justifie par le fait que près de 90% des accensions sociales,  politiques ou des nominations prennent leurs sources dans le déviationnisme, dans la quête de la voie la plus courte, la plus ‘’ simple ‘’ QUEL QU’EN SOIT LE PRIX A PAYER. La fin justifie les moyens. Un exemple : Hubert Lucien Volzian a fréquenté l’Ecole Secondaire Militaire de Bangoss, il y a 20 ans. Aujourd’hui, il est Lieutenant-colonel. Son patron, est le Général Béatingar N’dingamodji, ancien blanchisseur à Zomoville, le tueur de la rébellion lors de la prise de Bangoss. Général Béatingar n’a jamais fréquenté d’école militaire. Il sait à peine lire son nom. Il est le mieux payé des militaires de Bangoss. C’est ce qu’on appelle en 2015, le modèle 2.0 dans la réussite sociale. Depuis la fin de la rébellion, et en sa qualité de Ministre de l’éducation, c’est le Général qui sensibilise nos enfants sur l’intérêt qu’il y a à se consacrer aux études sans relâche, car seul le travail paie. Sachant le parcours du Général, les enfants interpréteront à juste titre le terme ‘’travail’’ comme user de tous les moyens pour gravir les degrés de la pyramide sociale. Voilà comment nous assistons en toute impunité  à la dévaluation du modèle classique de réussite au profit du succès. Et par encrage, on inculque à la matrice de nos progénitures l’envie de tuer pour s’affirmer, de commettre un meurtre pour émerger socialement.

Cette volonté de s’affirmer par le sang, hors des normes civilisées, prend aussi sa source dans la diffusion à profusion des films made in ‘’Naija’’. Loin de l’ère ‘’varietoscope’’ où on parlait de danse, on aura cette fois, des films. Si l’objectif semble être la distraction, l’enjeu est la justification du prosélytisme et de la  prolifération des églises pentecôtistes. Jusque-là, ‘’so far so good’’. D’ailleurs, le canal choisi pour véhiculer le message coulisse avec les réalités africaines : sorcellerie, violence urbaine, crise familiale, étanchéité entre classes sociales. ‘’So far so good’’. Hélas, au rôle de l’héros, s’associe celui du criminel, du sanguinaire qui ne jure que par la course effrénée au succès. C’est le crime rituel. Comme indiqué dans le scénario, après le du sang versé, les quatre V sont à la portée du signataire de pacte : villas, voitures, vidéos, virements, associés à la belle femme, au luxe insolant, sans oublier du champagne. « Ce qui est mis en spectacle, c’est bel et bien une guerre de moralités concurrentes autour des puissances occultes et de l’argent, et un bouleversement des critères de la réussite légitime au sein des classes moyennes urbaines» dixit J-P Warnier.L’évidence est que ces productions cinématographiques ont favorisé l’accentuation de la facilité, du meurtre et de la tricherie dans l’accumulation rapide du bien matériel. L’inconscience des jeunes est telle qu’on se moque du déclin des pratiquants de cette méthode, à la fin de ces films.

Coco, le dernière modèle qui a lourdement agi sur ce mode de réussite sociale, est ce jeune plein de notoriété, apparu au milieu des années 2000. Il est revenu de France avec une seule chose dans sa valise : le coupé-décalé. Il n’a jamais été un fils à papa, n’a aucun diplôme, n’a jamais exercé d’activité professionnelle mais, il distribue le fric au cours des soirées mondaines d’un luxe révoltant. Son apologie est faite par les médias. Il roule toujours de grosses cylindrées qu’il change chaque semaine. Il habite un studio situé au 3ème étage de l’immeuble les Phalènes. Il rentre chez, tous les jours à 03 heures du matin, et en  ressort le lendemain à 13 heures. Comment procède t-il pour payer toutes ses factures ? D’où tire-t-il autant de sous qu’il distribue ? N’ayant aucune réponse rationnelle,  on s’est contenté de « on dit ». Raccourci : sacrifice : humains. Et nos progénitures se rendent brusquement compte qu’on leur a menti durant toutes ces années, lorsqu’on leur a enseigné l’étude corsée comme voie royale pour la réussite sociale. Ils ont ôté leurs pieds des sillons ordinaires de réussite au profit du succès. Mais que représente le succès face à la réussite ? En d’autres mots, entre d’une part, celui qui a suivi une trajectoire classique partant de l’Ecole Secondaire Militaire de Bangoss, a obtenu son Bac F4, est rentré à polytechnique pour devenir ingénieur militaire en génie civil avec le grade de Lieutenan-colonel, et d’autre part, celui qui, à la suite de la rébellion, est passé brusquement de blanchisseur à rebelle sanguinaire puis à Général, qui représente le symbole de la réussite sociale? Evidement, c’est l’ingénieur. Tant qu’on passera le temps à Bangoss, à faire l’apologie du succès au détriment de la réussite, les crimes, disparitions, et enlèvements ne cesseront jamais.

Voilà donc présentée à travers trois tableaux, la racine du mal. Un constat s’impose : on ne parle que de mort d’hommes. Mais, pourquoi les génies sont devenus si exigeants ? Dans un passé récent, les génies n’exigeaient de nous que des biens anodins pour que nos vœux soient exaucés : 2 œufs, un cauris, un poulet,  un chat noire, le gravier des fonds de mer, etc… Brusquement, comme s’il s’agissait de passer de XP à Windows 8, toutes les fonctionnalités que dis-je tous ces biens sont devenus caducs. On ne parle plus que d’hommes à sacrifier. Enfin, nos autorités devraient arrêter de donner dans l’amateurisme en arrêtant et ne condamnant que les auteurs directs d’enlèvements. Agir contrairement, c’est se comporter comme la police des stupéfiants qui traquent les petits dealers, sachant très bien qu’il y a un gourou intouchable qui gère le cartel. Si l’enjeu de toute cette mobilisation est d’endiguer le mal à la racine, il faut nécessairement employer toutes les méthodes vigoureuses et raisonnables pour que les criminels dénoncent les commanditaires. Dans le cas contraire, tout le reste ne sera que cirque. Et comme nous sommes habitués au cirque sous les tropiques,  allons seulement.

            Discutant hier avec ma voisine nigériane, au sujet des enlèvements d’enfants, elle s’est, une fois de plus, moquée de moi en disant que la Côte d’Ivoire accusera toujours un retard face au Nigeria, sur tous les plans. Là-bas, on ne parle plus d’enlèvement depuis 10 ans. Les trafiquants ont industrialisé le phénomène. Des jeunes filles fécondes sont rassemblées dans des usines de reproduction humaine. Elles sont ‘’très’’ enceintées et avant même qu’elles n’accouchent, les bébés sont vendus à échéance. A chaque acquéreur de sacrifier l’organe qu’il souhaite, selon l’objectif recherché. Sur le champ, j’ai ouvert le coran et je suis tombé sur la sourate 102, verset 1 et 2.  

A lundi inchallah.

 

 

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