Interview exclusive: Sylvain Takoué (écrivain) crache ses vérités au pouvoir Ouattara #interview
Abidjan, le 15-8-15 (lepointsur.com)-Dans cette interview, la première depuis son départ précipité de la Côte d’Ivoire, l’écrivain-pamphlétaire, Sylvain Takoué signe et persiste. “J’attends que tu étales tes failles pour te les faire savoir de façon cinglante… ». Lisez plutôt.
Lepointsur.com: Sylvain Takoué ne va pas du dos de la cuillère dans son œuvre « Le faux Messie ». Y-a-t-il des raisons particulières ?
Sylvain Takoué : Ce livre est un pamphlet. C’est à dire un genre littéraire particulier qui a dans sa nature est le phénomène même du satyre et de la dérision. Un peu comme la caricature dont se font fort les dessinateurs de presse accomplie, comme ceux de Charlie hebdo, par exemple. En ce qui me concerne, ce sont donc les raisons qui m’ont conduit à adresser ce livre au chef de l’Etat, avec les mêmes mots durs dont on se sert dans les pamphlets. En plus du fait que celui que je critique ainsi ouvertement et vertement m’en donnait l’opportunité en me prêtant le flanc de sa mal gouvernance.
A vous lire, l’on a l’impression que les Présidents qui se succèdent à la tête de la Côte d’Ivoire se ressemblent. Partagez-vous cet avis?
Un adage dit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Notre reggae star interplanétaire, Alpha Blondy le chante bien aussi. On a l’impression qu’une fois parvenus au pouvoir d’Etat, nos Présidents s’illustrent comme de piètres dirigeants politiques. Sinon, comment comprendre qu’après avoir combattu si sauvagement par les armes son prédécesseur Laurent Gbagbo, le chef de l’Etat Alassane Ouattara fasse pire que lui, en seulement 5 ans d’exercice? On ne peut pas se comporter exactement comme un paysan et un sous-fifre, quand on se vante d’avoir un PHD en Economie en poche et qu’on a été un haut fonctionnaire de la finance internationale, comme lui, au Fmi. Moi, je ne suis tout simplement pas d’accord que nos Présidents de la République se comportent comme des ignorants, alors que leur mission première est de conduire, en tant que dirigeants, la population dont ils ont la charge vers les meilleures destinées sociales et économiques possibles et imaginables. Et avec Alassane Dramane Ouattara, qui se vantait tant de le faire, c’est comme un berger sans torche, qui conduit un troupeau dans les ténèbres. Ou va-t-on réellement avec la politique aveugle d’austérité généralisée dans laquelle, nous sommes plongés en Côte d’Ivoire, depuis son arrivée au pouvoir? On n’en sait rien, pendant que lui, nous dit: Allons seulement. Quels idiots peuvent suivre un tel étrange guide dans des sentiers perdus? Si vous connaissez de tels idiots, montrez-les-moi. Moi, je ne veux pas être de ceux-là.
Ecrire contre Gbagbo ne pouvait pas surprendre, vu la ligne éditoriale du journal « Le Nouveau Réveil » où tu étais journaliste, mais aller aussi fort contre le pouvoir actuel est étonnant. Selon vous, comment M. Ouattara devrait diriger la Côte d’Ivoire?
Qu’est-ce qui est étonnant? Je suis un libre-penseur, au cas où les gens l’auraient carrément oublié. Nous sommes, nous autres, des intelligences libres dotées de conscience critique. Je suis comme cela, moi, et on ne peut pas m’enlever cela. Je n’ai pas d’état d’âme quand il s’agit de critiquer ouvertement les dirigeants politiques de notre pays. Et le meilleur moyen, pour moi, de le faire pour que le monde entier en soit témoin, c’est d’écrire des livres poignants. Vous comprenez? Le dirigeant politique qui ne comprend pas que de tels lanceurs d’alerte devraient exister dans le pays qu’il gouverne, n’aura rien compris à la politique et à la démocratie. On ne peut plus passer son temps à caresser nos dirigeants dans le sens du poil, parce que c’est ce qui fait d’eux de mauvais dirigeants politiques. Monsieur Ouattara devrait gouverner la Côte d’Ivoire de façon exemplaire et irréprochable. Il ne le fait pas et c’est la raison de la publication de ce pamphlet.
Selon vous, M. Ouattara ne se fixe-t-il pas les mêmes ambitions que le père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, Félix Houphouët-Boigny dont il se réclame ?
Ne me faites pas rire. Soyons sérieux, il ne le peut pas. L’intention n’est pas mauvaise, d’être l’émule du Président Félix Houphouët-Boigny, mais la méthode utilisée fait franchement à mourir de rire. Vous savez qu’une piètre copie ne peut être l’original. Alassane Dramane Ouattara souffre de ce handicap qui hante sa vie de dirigeant politique qui s’essouffle à vouloir ressembler à celui dont il n’a même pas la carrure. Est-ce un acte d’autodafé de sa part ou de vœu pieux? Je n’en sais rien. Ce que je sais, par contre, c’est que Alassane Dramane Ouattara est un mauvais homme politique dont on ne veut plus. Le vote-sanction qui l’attend, d’ailleurs, en octobre prochain sera la matérialisation du refus collectif de le revoir au pouvoir.
Ses réalisations sont là implacables, alors que la Côte d’Ivoire sort de plus de dix ans de crise ?
Vous parlez des infrastructures vernies de cosmétique dont son régime se vante? Laissez-moi rire, cette fois-ci. Et vous dire que ces mêmes infrastructures auraient été faites par ses prédécesseurs, s’il ne les avait pas emmerdés comme il a réussi à le faire, d’abord avec le Président Bédié, suite au coup d’Etat de décembre 1999, ensuite avec le Président Gbagbo, renversé en avril 2010. Et tout cela, par le fait de ce loup déguisé en agneau, qu’est Monsieur Alassane Ouattara. Lisez-mon pamphlet qui vous en dira plus.
Aucun écrivain n’est officiellement poursuivi en Côte d’Ivoire pourquoi avez-vous choisi la clandestinité ?
Que pensez-vous alors du cas Tiburce Koffi? En Côte d’Ivoire, je suis bien le seul, avec Tiburce, qui ai eu le courage de contester ouvertement la politique dangereusement éreintante et ruminante du régime Ouattara. Il n’y a personne d’autre qui a réussi à le faire. Personne. Pourquoi? Eh bien, parce que les intellectuels de notre pays ont tous une peur bleue pour l’homme au pouvoir en Côte d’Ivoire et qui inspire diablement cette phobie de la critique objective qui sied pourtant aux démocraties dont nous aimons tant parler du bout des lèvres sans pouvoir en appliquer réellement le minimum de règles. Moi, j’étais obligé de quitter précipitamment, la semaine dernière, le pays, après qu’on m’ait signifié une interpellation policière à laquelle je n’ai, bien évidemment, pas répondu pour éviter d’être cueilli comme un lapin. Avec le fait que je recevais surtout aussi des appels téléphoniques qui menaçaient mon intégrité physique, de la part de ceux qui ont eu accès a mon livre et qui supportent très mal que je critique de cette façon, le chef de l’Etat qui est leur fétiche. Vous vouliez que je reste, dans ces conditions dangereuses pour moi, dans le pays, alors que je ne pouvais même plus sortir pour aller acheter du pain a la boulangerie? Juste quelques jours après la sortie, le 10 août 2015, de mon livre, je vous assure que je vivais carrément reclus dans mon terrier avant de m’organiser afin de prendre la clef des champs. J’étais un homme mort, si je n’étais pas parti ainsi du pays.
D’aucuns disent que le débat c’est ici en Côte d’Ivoire et non quand on est assis ailleurs pour le mener. Quelle analyse faites-vous de ce commentaire?
J’invite ceux qui tiennent de tels propos à venir se mettre, juste une seconde, à la place où nous sommes. Bien sûr, qu’ils ne le peuvent pas. Craindre pour sa vie quand on est dans notre situation d’écrivains engagés, est quelque chose de normal, d’humain. Nous avons en face de nous un tyran que tout le monde connaît, dont on sait la capacité de nuisance. Nous n’avons même pas les mêmes moyens que lui pour oser résister. Mais, ce n’est pas une raison de se taire quand les choses vont de mal en pis et que les intellectuels du pays gagneraient à dénoncer courageusement les travers vers lesquels le pays est conduit. Regardez le Siècle des Lumières en France. C’est tout un symbole. En plus, on ne mène pas une lutte d’opposition pour être un martyr. C’est en vivant qu’on le fait.
Quel est l’écrivain africain qui te guide dans ton inspiration dans tes écrits ?
Excusez-moi, mais il n’y en a aucun, pour le moment.
Certains écrivains choisissent de critiquer en faisant des propositions. Pensez-vous que vos critiques font office de cela?
Qu’on s’entende bien. Moi, je suis un pamphlétaire. Mon rôle n’est absolument pas de faire des propositions à qui que ce soit. Ce n’est pas moi qui ai demandé aux gens de gouverner le pays. Mais quand tu viens au pouvoir, parce que tu veux gouverner le pays et régner, moi, j’attends que tu étales tes failles pour te les faire savoir de façon cinglante afin que le peuple prenne, sur cette base, ses responsabilités pour prendre au collet, le dirigeant ainsi cloué au pilori. C’est tout. Chacun a son travail. Le mien, c’est d’être un lanceur d’alerte. Que les écrivains qui veulent faire des propositions de gouvernance le fassent, c’est leur droit.
Que voudrais-tu que l’opinion retienne de Sylvain Takoué et à quand la fin de sa clandestinité ?
Je suis un libre-penseur. Qu’on se le tienne pour dit. Quel que soit le régime politique en place, ce travail ne me fera pas défaut, s’il s’avère que ce régime s’écarte des normes de gouvernance et de gestion publique. Et vous savez que je suis déjà connu pour cela.
Réalisée via internet par Sériba Koné
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