Point Sur

[Interview/Charles Koffi, président du RENADVIDET CI] «La SGBCI cache depuis le 31 mars 2010 à ce jour 4 294 507 321 milliards de F CFA destinés à l’indemnisation des victimes des déchets toxiques»


Abidjan, 16-04-2020 (lepointsur.com) Embarqué dans une “guerre’’ judiciaire sans merci contre la SGBCI, l’administrateur Civil et président du Réseau National pour la Défense des Droits des Victimes des Déchets Toxiques de Côte d’Ivoire (RENADVIDETCI), Koffi Hanon Charles, fait la lumière sur la plainte posée récemment contre la présidente de la Cour de Cassation d’Abidjan, Camara Nanaba Chantal. Dans l’interview qui va suivre, il a également révélé que la SGBCI cache depuis le 31 mars 2010 à ce jour 4 294 507 321 milliards de F CFA destinés à notre indemnisation.

Charles Koffi, président du RENADVIDET CI

Bonjour Monsieur le Président. Naguère, nous avons reçu un document du   bureau exécutif du Réseau National pour la Défense des Droits des Victimes des Déchets Toxiques de Côte d’Ivoire) (RENADVIDETCI), faisant état d’une plainte portée par l’association que vous dirigez contre madame Camara Nanaba Chantal. Malgré cela, elle vient d’être confirmée par décret présidentiel au poste de présidente de la Cour de Cassation. De quoi s’agit-il exactement ?

Merci de me permettre d’éclairer la lanterne de l’opinion sur l’objet de notre plainte contre la présidente de la Cour de cassation d’Abidjan. Il s’agit d’une plainte déposée le mardi 31 mars 2020 devant le président de la République en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature contre madame Camara Nanaba Chantal pour suspicion légitime et obstruction à l’exécution d’une décision de justice.

Ce qu’il faut retenir ici, la Présidente de la Cour de cassation est un magistrat donc un citoyen comme tous les autres. En tant que Magistrat, elle est chargée de faire appliquer la loi. Ce qui signifie qu’elle n’est pas au-dessus de la loi qu’elle a vocation de faire appliquer.

Expliquez-nous clairement le contenu de cette plainte ?

En effet, nous avons été bénéficiaires d’un arrêt civil contradictoire rendu le 19 Juillet 2019 par la chambre présidentielle de la Cour d’appel du Plateau. Cet arrêt faisait injonction à la SGBCI de nous communiquer tous les documents des victimes qu’elle a déclaré avoir indemnisées du 1erMars 2010 au 21 Mars 2010 date de l’arrêt brusque et définitif du processus d’indemnisation à l’initiative du Cabinet anglais dénommé LEIGH DAY&CO dans l’affaire déchets toxiques.

Ce même arrêt enjoignait-il aussi à la SGBCI de nous communiquer l’identité complète de tous les bénéficiaires des fonds figurant sur les documents bancaires communiqués. L’exécution de cet arrêt par la SGBCI était assortie d’une astreinte comminatoire de 10 millions de francs CFA par jour de retard d’exécution à compter de sa signification à cette banque.

Pourquoi donc une astreinte comminatoire pour exécuter une décision de justice dont l’exécution doit en principe aller de soi ?

Comme vous le dites si bien, l’exécution d’une décision de justice va de soi.

Et si celui contre lequel cette décision est prise refuse volontairement de l’exécuter ? Quelle attitude, la Justice doit-elle avoir pour l’y contraindre ?

En effet, l’astreinte a pour objet de vaincre la résistance d’un débiteur à exécuter l’obligation mise à sa charge. Cette astreinte contre la SGBCI se justifie dans la mesure où elle s’est opposée à exécuter une ordonnance du Tribunal d’Abidjan confirmée par l’arrêt indiqué plus haut. Alors même qu’elle n’a pas fait appel de celle-ci. Dans ces conditions, cette décision est devenue définitive donc exécutoire de droit. Elle a acquis autorité de la chose jugée.

 Pouvez-vous être un peu plus précis ?

Le 06 mars 2018, nous avons saisi le président du Tribunal de première instance du Plateau d’une action contre la SGBCI en vue d’obtenir qu’elle nous communique tous les documents des victimes qu’elle avait déclaré avoir indemnisées et l’identité complète de celles-ci. Cette décision nous autorisait également à recourir au dit Tribunal en cas de difficulté d’exécution de cette décision à intervenir.

Le 09 avril 2018, le Tribunal a fait droit à notre requête à travers l’ordonnance de référé N°1979/2018, RGN°3238/2018. Cette ordonnance a été signifiée à la SGBCI le 30 Avril 2018. La SGBCI n’a pas fait appel de cette ordonnance, cependant, elle ne l’a pas exécutée.

Devant sa résistance abusive et injustifiée à exécuter cette ordonnance, nous nous étions vus dans l’obligation de revenir vers ledit Juge pour solliciter que l’exécution de cette ordonnance soit assortie d’une astreinte comminatoire de 30 millions de francs CFA par jour de retard d’exécution à compter de la signification de cette nouvelle décision à la SGBCI.

Le 04 juin 2018, ledit Juge a fait droit à notre deuxième requête à travers l’ordonnance de référé N°33440/2018, RGN°5662/2018.

Suite à cette deuxième décision, la SGBCI s’était-elle finalement exécutée ?

Oui mais partiellement. Elle nous a communiqué quelques documents de victimes sans aucune identité des supposés bénéficiaires des fonds y figurant.  Vous savez en droit, une exécution partielle équivaut à un défaut d’exécution. Face à ce constat, nous avons dû signifier le 25 Juillet 2018 cette deuxième ordonnance à la SGBCI et ce même jour, nous lui avons adressé un courrier au terme duquel nous lui avons rappelé l’impérium du Juge qui était de nous communiquer tous les documents des 23 mille victimes qu’elle avait déclaré avoir indemnisées et l’identité complète de ces dernières.

Alors que nous nous attendions à un complément de dossiers de sa part, elle a plutôt fait appel de cette décision qu’elle avait commencé à exécuter. Et le 19 juillet 2019, la Cour d’appel d’Abidjan-Plateau a confirmé cette ordonnance prise par le Tribunal d’Abidjan à notre profit. Toutefois, elle avait modulé le montant des astreintes de 30 millions de francs CFA les faisant passer à 10 millions de francs CFA par jour de retard d’exécution.

Cet arrêt a-t-il été finalement exécuté par la SGBCI ?

Non pas vraiment ! Le 02 septembre 2019, la SGCBCI s’était empressée de faire la même exécution, c’est-à-dire communiquer des documents bancaires sans aucune identité des supposés bénéficiaires des fonds y figurant.

Face à cet autre constat, nous avons non seulement signifié ledit arrêt à la SGBCI le 11 septembre 2019 pour faire courir les astreintes de 10 millions de francs CFA par jour de retard d’exécution mais aussi et surtout, nous lui avons adressé, le 1er novembre 2019, un autre courrier pour l’interpeller sur cette autre exécution partielle.

Suite à cette autre interpellation, qu’avez-vous fait ?

Nous avons saisi le 13 novembre 2019, le président du Tribunal de première instance du Plateau auteur de l’ordonnance de référé du 09 avril 2019 qui a acquis autorité de chose jugée entre la SGBCI et nous, à l’effet de liquider les astreintes contre la SGBCI à cette date-là, à la somme de 4 milliards de francs CFA.

Face à cette situation, quelle a été l’attitude de la SGBCI ?

La SGBCI a formé le 25 Novembre 2019, un pourvoi en cassation.

Quel était l’objectif dudit pourvoi ?

A travers ce pourvoi, la SGBCI espérait pouvoir faire suspendre les effets de cet arrêt.

Cela a-t-il été fait ?

Non pas du tout ! En matière civile, le pourvoi en cassation n’a pas un effet suspensif. En plus dudit pourvoi, il faut obtenir de la Cour de cassation, une ordonnance de suspension provisoire des effets soit d’un jugement civil rendu en dernier ressort par le tribunal dans le cas où l’ intérêt du litige n’excède pas 500 mille francs CFA, soit d’un arrêt de la Cour d’Appel  parce que toutes les décisions rendus par les Cours d’Appel sont rendues en dernier ressort.

Le président du Tribunal a-t-il donc fait droit à votre requête de liquidation de ces astreintes ?

Avant de répondre à cette questionil convient de faire noter qu’à l’occasion des échanges d’écritures avec la SGBCI, nous lui avons faire savoir que son pourvoi en cassation n’avait aucun effet suspensif de l’action en liquidation d’astreintes que nous avons initiée contre elle sur le fondement de l’arrêt de la Cour d’Appel sus visé.

S’étant donc rendue compte de cet état de fait, la SGBCI a saisi à nouveau madame Camara Nanaba Chantal, à l’effet de solliciter qu’elle lui délivre une ordonnance de suspension provisoire de l’exécution de l’arrêt dont nous avons été bénéficiaires.

La présidente de la Cour de cassation a-t-elle pris cette ordonnance au profit de la SGBCI ?

Oui curieusement et pour cause : l’obligation mise à la charge de la SGBCI par l’arrêt de la Cour d’Appel est une obligation de faire. Une obligation de faire est un élément factuel. Or, la Cour de la Cassation n’est pas juge des faits, elle est juge de droit. En d’autres termes, elle n’a pas vocation à juger les faits d’une espèce mais à dire si le droit qui a été appliqué quant aux faits évoqués est celui qui devait s’appliquer. Si c’est le cas, le pourvoi en cause est déclaré irrecevable et rejeté par elle. Si ce n’est pas le cas, ledit pourvoi est cassé et l’affaire renvoyée devant une autre Cour d’appel ou la même Cour d’appel mais cette fois-ci composée d’autres magistrats pour connaître à nouveau de cette même affaire.

Or, comme je l’ai dit plus haut en tant que Juge de droit, elle ne peut valablement s’immiscer dans une obligation de faire qui est un élément factuel. Il s’agissait pour la SGBCI d’exécuter l’arrêt auquel elle a succombé et la Présidente de la Cour de Cassation avec tous ses pouvoirs ne pouvait pas juridiquement ordonner à la SGBCI de s’opposer ou d’arrêter ladite exécution.

 A votre avis qu’est-ce qui a dû se passer ?

C’est à ce niveau que nous avions à priori pensé qu’elle avait été induite en erreur par la SGBCI. Et ayant cru en cela, nous avons par courrier en date du 10 mars 2020 appelé l’attention du président de la République en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature sur la mauvaise foi particulière et coutumière de la SGBCI dans la gestion de cette affaire. Et aussi bien la présidente de la Cour de cassation que toutes les personnalités nationales et internationales, ont été en ampliation dudit courrier.

Vous savez, la SGBCI dans sa demande d’ordonnance de suspension provisoire a, devant la Cour de cassation, invoqué des moyens de droit à savoir que nous n’avions pas qualité et intérêt pour agir. En d’autres termes que nous ne sommes pas des victimes des déchets toxiques. Alors que paradoxalement, elle nous avait communiqué une partie des documents bancaires. Si tant est que ce moyen était vraiment justifié, par le simple fait que sachant cela, elle nous avait tout de même communiqué une partie des documents ordonnés par l’arrêt en cause, elle avait par là-même annihilé ce moyen et pour cause : «NUL NE PEUT SE PREVALOIR DE SA PROPRE TURPITUDE».

Aussi, pour que lesdits moyens eussent été pris en compte par la Cour de Cassation, il aurait fallu que la SGBCI l’eût évoqué devant le premier Juge, c’est-à-dire le Juge de référé auteur de l’ordonnance N°1979/2018 datée du 09 Avril 2018, laquelle a acquis autorité de chose jugée donc insusceptible de tout recours.

La SGBCI ne les a pas invoqués devant ce juge de sorte que ces moyens sont nouveaux. Or, en droit, un moyen nouveau invoqué dans la même affaire devant une autre juridiction ne peut être pris en compte que s’il «est soit connexe à l’action principale soit, il sert de défense à cette action ou il tend à compensation ou à réparation du préjudice né du procès». Ce qui n’est pas le cas et au regard de l’article 175 du code de procédure civile, cette demande de la SGBCI est considérée comme tardive. C’est à juste titre d’ailleurs qu’aussi bien le procureur général dans ses réquisitions écrites que la Cour d’appel dans son arrêt du 19 juillet 2018 ont rejeté lesdits moyens.

Suite au courrier d’interpellation du 10 mars 2020 adressé au président du Conseil supérieur de la magistrature dont la Cour de cassation a été en ampliation, nous avons déposé devant cette cour nos répliques avec les arguments développés plus haut.

En plus de ces arguments, connaissant la SGBCI et pour éviter des discussions puériles suite à son exécution de cet arrêt, nous avons saisi un Cabinet d’Audit et d’Expertise agrée, à l’effet d’expertiser les documents qui nous ont été communiqués par cette banque suite à l’exécution dudit arrêt.

Que dit le Rapport de ce Cabinet ?

Ledit rapport a fait ressortir que :

– sur la période du 07 au 22 octobre 2009, 77 chèques ont été payés par la SGCI pour un montant de Trois cents trente-cinq millions huit cents huit mille neuf cents soixante-treize (335 808 973) Francs CFA au profit de divers bénéficiaires et pour lesquels les noms desdits bénéficiaires n’ont pas été mentionnés sur les relevés bancaires,

– sur la période du 08 mars au 31 mars 2010, Treize mille trente-neuf (13 039) chèques ont été payés pour un montant global de Neuf milliards quatre cents soixante-dix-neuf millions trois cents cinquante-trois (9 479 353 000) Francs CFA au profit de divers bénéficiaires et pour lesquels les noms desdits bénéficiaires n’ont pas été mentionnés sur les relevés bancaires. Par ailleurs, nous signalons que sur cette période, le montant payé par victime de déchets toxiques est de 727.000 Francs CFA,

– sur la période du 19 au 25 mars 2010, Quatre mille cent-quatre-vingt-neuf (4.189) chèques ont été payés pour un montant global de Trois milliards zéro quarante-cinq millions quatre cents trois mille francs (3 045 403 000) Francs CFA au profit de divers bénéficiaires et pour lesquels les noms desdits bénéficiaires n’ont pas été mentionnés sur les relevés bancaires. Par ailleurs, nous signalons que sur cette période, le montant payé par victime de déchets toxiques est de 727.000 Francs CFA…….

Après analyse des opérations bancaires, nous avons dénombré Dix-sept mille deux-cent-vingt-huit (17 228) victimes de déchets toxiques indemnisées à hauteur de 12.524 756 000 Francs CFA soit 727.000 francs par victime…

En outre, un montant de 4 658 000.000 francs CFA a été versé à la CNDVT-CI en date du 24 mars 2010 pour l’indemnisation des victimes des déchets toxiques.

Par ailleurs, l’identité des bénéficiaires des chèques ci-après ne figure pas sur les relevés bancaires communiqués par la SGBCI :

-11/06/2010 : émission chèque à payer 765 de 50 millions F CFA ;

-06/08/2010 : émission chèque à payer de 50 millions F CFA ;

-20/08/2010 : émission chèque à payer : 44.981.671 F CFA ».

 L’Expert conclut que : «L’absence de l’identité des bénéficiaires des chèques payés par la Société Générale de Banque en Côte d’Ivoire sur les relevés bancaires et l’absence de certains numéros de chèques n’ont pas permis le traitement efficient des données mises à la disposition du collectif des victimes des déchets toxiques. Pour la manifestation de la vérité, il serait judicieux de demander au juge de commettre une expertise judiciaire afin d’apporter des réponses à des interrogations. Qu’il rappelle pour mémoire que le nombre de victimes indemnisées est de 17 228 et non de 23.000».

C’est devant un tel aveu de culpabilité que la présidente de la Cour de cassation a son audience du 05 Mars 2020 a ordonné l’abandon de notre poursuite engagée contre la SGBCI ce, en ce qui concerne l’action en liquidation d’astreintes initiée contre elle.

C’est à la suite de cela, qu’avant sa confirmation au poste de présidente de la Cour de cassation, nous avons saisi le président de la Cour suprême, à l’effet de la récuser dans cette affaire.

Aussi, avons-nous saisi le président du Conseil supérieur d’une plainte contre elle pour suspicion légitime et obstruction à l’exécution de l’arrêt précité. Par la prise de cette ordonnance de suspension provisoire, elle empêche le président du Tribunal de vider son délibéré relatif à notre action en liquidation d’astreintes.

Enfin, à son audience du 05 mars dernier, elle a renvoyé ladite affaire au jeudi 04 juin 2020.

C’est pour toutes ces raisons que les victimes ont déposé le 31 mars 2020, une plainte régulière devant le président du Conseil supérieur de la magistrature contre la présidente de la Cour de cassation pour suspicion légitime et obstruction à l’exécution d’une décision de justice.

Pour finir, il faut faire observer que la SGBCI avait le 25 mars 2010 et ce, après le transfert irrégulier fait par elle à ACCESS BANK CÔTE D’IVOIRE devenue AFRILAND FIRST BANK CÔTE D’IVOIRE de la somme de 4.815.648 milliards de F CFA sur le compte de la CNDVT-CI dirigée par Gohourou Claude, soutenu ne plus rien détenir relativement à notre indemnisation. Suite à son exécution partielle de l’arrêt sus visé, on s’est rendu compte que la SGBCI cache depuis le 31 mars 2010 à ce jour 4.294.507.321 milliards de F CFA destinés à notre indemnisation. Et ce montant correspond à la différence entre les 17.228 documents qu’elle nous a communiqués et les 23 mille victimes qu’elle a déclaré avoir indemnisées. Et les intérêts de cette somme seraient utilisés par elle depuis 2010 à ce jour pour soudoyer certains Magistrats dans le but soit de se faire tailler des décisions de justice sur mesure, soit faire du dilatoire en espérant que les victimes soient découragées ou bien que cette affaire ne meure de sa propre mort.

Interview réalisée par la rédaction

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