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[Entretien] M. Koffi Yao Daniel (infirmier spécialiste option dermato ulcère de buruli et de la lèpre) : « La lèpre et la gale sévissent à Zouan-Hounien »


Abidjan, le 11-07-2021 (lepointsur.com) Monsieur Koffi Yao Daniel est infirmier spécialiste, option dermato ulcère de buruli et de la lèpre, par ailleurs, coordonnateur et point focal du Programme national de lutte contre l’ulcère de buruli (Pnlub) à l’hôpital général de Zouan-Hounien. Nous nous sommes entretenu avec lui sur la lèpre, l’une des maladies tropicales négligées (MTN), maladie infectieuse à laquelle s’ajoute la gale. Ces deux maladies infectieuses sévissent, encore dans la région du Tonkpi, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Entretien…

Monsieur Koffi, c’est quoi la lèpre ?

La lèpre est une maladie infectieuse due à des microbes, dont l’agent pathogène se nomme mycobactérie leprae ou bacille de Hansen.

Quel est son mode de transmission ? 

Elle se transmet d’un individu à un autre par des gouttelettes salivaires. Ces gouttelettes sont appelés gouttelettes de Pfludg. Il faut avoir des contacts fréquents avec ces gouttelettes pour être contaminé. Seulement, chaque être humain dispose d’une immunité naturelle pour ne pas contracter la maladie. Sur 100 personnes, par exemple, il n’y a que 5 qui peuvent faire la maladie. Raison pour laquelle, on dit que la lèpre est peu contagieuse. Il faut aussi dire que tout le monde ne peut pas faire la maladie, mais ceux qui la contractent sont contagieux.

La transmission est interhumaine, c’est-à-dire entre les hommes. Quand on est en contact du microbe de la lèpre, après contagion avec un malade, l’incubation dure 5 à 20 ans avant de faire la maladie. Autrement dit, avant la manifestation clinique de la maladie.

Comment peut-on savoir qu’on a la lèpre ?

Concernant les symptômes, il faut dire qu’ils sont cliniques. Ils ne sont pas biologiques. Ils se manifestent par des tâches plus claires que la peau normale et sont insensibles au toucher.

Par rapport à la quantité, au nombre des tâches qu’on identifie sur le corps, on définit deux types de lèpre : la lèpre paucibacillaire (PB), non contagieuse, a un nombre de tâches insensibles sur la peau compris entre 1et 5; la lèpre multibacillaire (MB), elle, est contagieuse avec un nombre de tâches insensibles sur la peau compris entre 6 et plus. A ces types de lèpres correspondent des traitements appropriés. Pour diagnostiquer la lèpre, il faut observer des tâches insensibles sur la peau d’un individu.

Quel est le traitement ?

Le traitement repose toujours sur trois antibiotiques. Pour le traitement de la lèpre paucibacillaire (PB), c’est 6 mois d’affilée, sans interruption pendant trois mois. Pour le traitement de la lèpre multibacillaire (MB), c’est 12 mois, sans interruption pendant 3 mois. Lorsqu’un patient commence son traitement et qu’il interrompt, on reprend le traitement à zéro.

Quelles sont les complications de la lèpre ?

Avant, au cours ou après le traitement, le malade peut faire une réaction de type 1 ou de type 2. Pendant ces réactions, on peut assister à des dommages nerveux, avec des maux perforants, plantaires ou palmaires (MPP), c’est-à-dire la peau ou les pieds. Il peut avoir souvent aussi des résorptions osseuses. Lorsque le malade ne sent plus sa peau à cause des tâches, la mélanine disparaît en même temps, les nerfs tendent à se paralyser. Or, le nerf joue trois rôles : le rôle nourricier, sensitif et la forme.

‘’De nos jours, cette maladie est de plus en plus rare en Côte d’Ivoire, sauf dans la région du Tonkpi (Man, Zouan-hounien et Danané) où elle reste toujours endémique.’’

Donc, quand la peau ne vit pas, elle devient sèche et noire. Le malade perd donc la sensibilité de ses pieds. Il peut être assis et les pieds sur du feu, mais il ne va rien sentir. La lèpre provoque l’insensibilité au niveau des parties atteintes.

C’est aussi cette absence de douleur qui est à l’origine des consultations tardives. Quand bien même les signes existent, ils accusent la tradition, ils disent que c’est une punition de Dieu ou un sort. En un mot, la lèpre peut provoquer des infirmités.

Comment se fait la prise en charge des malades ?

La prise en charge se fait à l’hôpital. Dans des cas, il peut arriver que le malade soit hospitalisé s’il y a un dommage physique. Il faut dire que la prise en charge se fait par l’Institut Raoul-Follereau qui prend en charge entièrement les frais des soins. Mais le traitement est gratuit.

Il faut dire que le suivi du traitement est une véritable préoccupation parce que les malades sont souvent indisciplinés, à cause de la durée du traitement. On doit faire face à ces malades très indisciplinés, malgré l’éducation que le spécialiste leur donne.

Y-a-il des cas de la lèpre à Zouan-Hounien ?

De nos jours, cette maladie est de plus en plus rare en Côte d’Ivoire sauf dans la région du Tonkpi (Man, Zouan-hounien et Danané) où elle reste toujours endémique. Pour éradiquer la maladie de la région, nous avons le soutien régulier du Programme national d’élimination de la lèpre (PNEL) qui fait beaucoup de sensibilisations et de dépistages chez nos populations vivant dans les contrées et hameaux.

Quel est l’état des lieux de la maladie dans la région du Tonkpi?

Dans mon département, c’est-à-dire dans la sous-préfecture de Banneu, plus précisément dans le village de Gnankanzou, nous observons des cas fréquents. Chaque mois, nous dépistons 1ou 2 malades dans cette localité.

Il faut dire que c’est un programme bien structuré qui a l’expérience du terrain avec le soutien de l’État. En cas de complications graves, difficiles à gérer localement, le malade est transféré à l’Institut Raoul-Follereau d’Azopé où ils font la prise en charge correcte.

En tout cas, il faut dire que le bilan de la lutte contre la lèpre dans la région est satisfaisant par rapport à l’ulcère de buruli. Même si nos malades ne réagissent pas automatiquement, il faut dire qu’ils réagissent toujours, avec un peu de retard, bien sûr. Mais cela est déjà bon.

À vous écouter, vous n’avez pas de préoccupations majeures…

Si, nous avons des préoccupations liées à la sensibilisation des populations. À ce niveau, il faut dire qu’il y a un véritable problème, qui est le manque de prise de décision malgré l’intensification de la sensibilisation. On a beau les sensibiliser, mais au final, ils ne viendront pas se faire dépister. Pour cela, nous voulons instaurer une fête mondiale des lépreux, qui sera célébrée chaque dernier dimanche du mois de janvier.

À cette fête, nous attendons le soutien moral, matériel et financier des autorités administratives de la région parce que, pour nous, c’est très important. Nous, nous sommes prêts à faire de la sensibilisation, mais il faut que les lignes bougent.  Voilà pourquoi nous comptons sur le soutien de nos autorités afin d’atteindre notre objectif.

Aussi, cela va permettre d’aider nos patients, de suivre correctement leur traitement car, souvent, il y a certains qui interrompent le traitement parce que ne pouvant pas se déplacer jusqu’au centre de santé à cause du manque d’argent.

Si cette journée peut avoir lieu, nous allons inviter les malades qui seront accompagnés par leurs parents et ce sera une très belle occasion pour nous de leur expliquer tous les contours de l’importance du dépistage et du traitement de la lèpre.  C’est pourquoi nous demandons l’apport de ces autorités. Quoi qu’on dise, la lèpre est une maladie guérissable et, avec la volonté, nous pouvons l’éradiquer totalement de la région.

Nous voulons aussi avoir des dotations régulières pour les pansements, car en ce qui concerne les médicaments, il n’y a rien à signaler. Mais sans les pansements, on ne pourra rien faire.

J’ai entendu dire que l’État déboursait la somme de mille cent francs par jour pour chaque malade hospitalisé. Qu’en est-il exactement ?

Je ne maîtrise pas bien ce dossier. C’est mon prédécesseur qui en parlait ici. Au moment où je prenais fonction, tous ces droits n’existaient plus. En réalité, les malades hospitalisés ont droit à cet argent. Il y a eu des retards dans le versement de ces sommes aux patients, mais le nouveau directeur central est en train de rétablir les choses pas à pas. Cet argent est versé par le service financier de l’Institut Raoul-Follereau qui, pour l’heure, doit beaucoup aux patients.

Nous, notre combat actuellement, c’est de permettre aux malades hospitalisés qui sont extirpés de leurs familles, dans le but d’éviter les contaminations, de pouvoir avoir quelque chose pour leur besoin. Ce n’est toujours pas facile pour eux de vivre sans rien faire pendant la période d’hospitalisation. Moi, par exemple, je ne peux pas garder quelqu’un contre son gré sans lui donner à manger. C’est une question de conscience professionnelle.

L’administration fait déjà ce qu’elle peut, mais à nous de redoubler d’effort pour éradiquer la lèpre dans le Tonkpi. Souvent, nous sommes face à des cas vraiment étonnants.

‘’La gale est une maladie qui touche environ 80% de la population du département. Elle est due au manque d’hygiène vestimentaire et comportementale, à l’absence d’eau, en général.’’

En tant que dermatologue, ce que j’ai pu constater comme maladie à côté de la lèpre, c’est la gale. C’est la première maladie de peau dans le département de Zouan-hounien, zones rurales comme urbaines, tout le monde est concerné. C’est une maladie qui touche environ 80% de la population du département. Elle est due au manque d’hygiène vestimentaire et comportementale, à l’absence d’eau, en général.

J’ai déjà fait une présentation devant le préfet et il m’a dit de trouver des solutions. Mais, voyez-vous, une maladie qui touche jusqu’à 80% de la population, si nous voulons les soigner ce sera complexe. Il faudra des actions de masse. Il faudra donc intensifier la politique d’adduction d’eau potable à Zouan-hounien, c’est la première solution. La lutte doit commencer par-là et le traitement étiologique vient par la suite.

Entretien réalisé à Zouan-Hounien par Sériba Koné

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