Du rapport de Force entre la Presse et les autres Pouvoirs(Publics et Privés).MEDIAPART ,par ses révélations,oblige un des conseillers les plus puissants de l’ELYSEE ,à la démission.
Edwy Plenel – Mon problème, ce ne sont pas les hommes, ce sont les institutions qui façonnent, modifient ou transforment les hommes. Je suis fidèle aux historiens de l’école des Annales qui ont combattu cette histoire qui n’est faite que de grands hommes et de grandes dates, c’est-à-dire au fond cette histoire des vainqueurs, qui oublie le peuple, les potentialités des vaincus et les espérances portées par les défaites.
Dans Le droit de savoir, publié l’an dernier, vous proposiez une défense et illustration deMediapart, de son positionnement éditorial, de ses méthodes d’enquête, de son modèle économique et de sa vocation démocratique. Peut-on dire qu’après l’enquête sur l’affaire Bettencourt, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les révélations de Mediapart sur l’affaire Cahuzac en 2013 ont définitivement prouvé l’indépendance d’esprit de votre rédaction et qu’elles vous ont en quelque sorte propulsé comme un véritable « contre-pouvoir » médiatique, quel que soit le pouvoir en place ?
L’indépendance, ça se vérifie tous les jours et c’est une conquête permanente. Et je ne me risquerais jamais à dire que l’indépendance de Mediapart est définitivement acquise. Mediapart a toujours rendez-vous avec son indépendance, même si, mieux que d’autres, plus que d’autres, de façon plus entêtée et plus cohérente, nous nous sommes donnés les moyens de cette obsession de l’indépendance, c’est-à-dire le fait de n’avoir aucun fil à la patte, aucun mécène intéressé, aucun industriel manipulateur, ni publicité qui nous dévorerait ni subvention étatique. Notre seule obsession, c’est de faire ce métier de journaliste en toute indépendance.
Votre itinéraire personnel, depuis les enquêtes que vous avez menées au Monde pendant les années Mitterrand sur l’affaire des Irlandais de Vincennes ou du Rainbow Warrior (relatées dans votre livre Le journaliste et le Président), jusqu’aux dernières années au sein deMediapart, témoigne d’une relation particulière aux institutions et à l’Etat – ou plus exactement d’un refus de ce que l’on appelle communément « la raison d’Etat ». Or, dansDire non, qui est peut-être, avec Secrets de jeunesse, votre ouvrage le plus personnel, notamment dans un beau chapitre de témoignage et de fidélité, vous placez d’une certaine manière votre refus de la raison d’Etat dans le sillage de l’itinéraire de votre père, Alain Plénel, rétrogradé de l’administration française en raison de ses engagements anti-colonialistes alors qu’il était inspecteur d’académie et vice-recteur en poste en Martinique de 1955 à 1960. Puisez-vous dans ces souvenirs d’injustice lorsque vous mettez tant d’énergie pour lutter contre les scandales qui on trait à la « raison d’Etat » ?
Sans aucun doute, c’est une empreinte, qui est indissociable de ce que j’essaie de faire. J’ai intitulé ce chapitre « La trace », ce qui comporte deux sens : à la fois ce qui reste, et aussi, en reprenant une image qui est propre à mon pays d’enfance, la Martinique, ce sentier par lequel le nègre marron, ce nègre qui s’émancipe, sort du système totalitaire de la plantation. A la fois l’empreinte qui marque à jamais et le chemin qu’on emprunte.
Dans plusieurs chapitres du Droit de savoir, vous critiquez avec force le journalisme politique tel qu’il existe aujourd’hui sous la forme d’un « éditorialisme » en vogue, marqué par le règne de l’opinion plutôt que par l’information brute. Vous opposez à cette manie du commentaire perpétuel et intempestif un journalisme rigoureux qui vise à enquêter et à rechercher ce que vous appelez des « vérités de faits » (en vous référant notamment aux travaux pionniers et courageux d’Albert Londres, en particulier Terre d’ébène au sujet du colonialisme en Afrique). Or, avec le très respecté (et redouté) Canard enchaîné, mais dans un autre registre, Mediapart est sans doute l’un des seuls médias qui propose une forme d’investigation dont se méfient les pouvoirs en place. Cet isolement n’est-il pas d’une certaine manière une forme de contentement personnel, dans la mesure où cette rareté peut être une manière efficace de vous démarquer des autres formes de journalisme ? Pensez-vous au contraire que ce positionnement journalistique « indépendant mais engagé » devrait se développer davantage au sein du monde médiatique français ?
L’idée de Mediapart n’est pas d’être un petit village gaulois, dans sa fierté, face à tous les autres journalistes qui auraient renoncé – ce que, de plus, nous ne croyons pas. Notre idée est plutôt de faire école, d’aider tout le monde et de constituer un laboratoire utile à tout le monde.