De l’esprit de la révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire #constitutionciv
Abidjan, 29-02-16 (lepointsur.com)-Je n’écris point, disait Montesquieu dans « De L’Esprit des Lois » (1748), pour censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit ; chaque nation trouvera ici les raisons de ses maximes. Si je pouvais faire en sorte que tout le monde ait de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois ; qu’on put mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque poste où l’on se trouve, je me croirais le plus heureux des mortels. Comme quoi, chaque Constitution a un esprit et cet esprit est l’intérêt général du peuple. La Constitution la plus conforme à la nature humaine est celle qui se rapporte le mieux à la disposition du peuple et à son intérêt général pour lesquels elle est établie, tenant compte des défis du Temps et des évolutions de l’Histoire.
La Constitution, en effet, est un ensemble de textes juridiques qui définit les différentes institutions composant l’État et qui organise leurs relations. Une Constitution écrite est généralement organisée en plusieurs parties appelées titres, eux-mêmes divisés en articles et alinéas. Elle peut comporter également une charte des droits fondamentaux. Quelle que soit sa présentation et son contenu, la Constitution est considérée comme la règle la plus élevée de l’ordre juridique de chaque pays. Certains États, comme le Royaume-Uni, n’ont pas de Constitution écrite ; c’est la coutume qui prévaut pour organiser les relations entre les institutions. L’Angleterre en tant qu’unité territoriale n’a pas de constitution particulière, ni écrite, ni implicite. Il n’existe, pour le Royaume Uni, qu’une constitution dite « non-codifiée »: la « Constitution Britannique », seule dont on peut parler, est constituée par le corpus des lois, de la jurisprudence et des traités qui gouvernent la vie dans le pays. On peut dire néanmoins que la constitution non-codifiée du Royaume Uni est une constitution anglaise dans la mesure où elle est ancrée dans l’histoire de l’Angleterre, bien avant la naissance du Royaume Uni. D’autres, comme les États-Unis, ont une Constitution qui se présente sous la forme d’un texte unique, comportant à la fois la liste des droits fondamentaux reconnus aux citoyens et la définition des différents pouvoirs.
La rédaction d’une Constitution doit alors permettre de garantir à chacun le respect de ses droits et est nécessaire pour garantir les droits fondamentaux des citoyens. Elle pose, par exemple, le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, fait du suffrage universel la source de la légitimité et accorde à chacun le droit de faire entendre sa cause devant un tribunal indépendant. Elle permet ainsi d’écarter l’arbitraire en donnant à tous les citoyens la possibilité de connaître les différents organes de l’État; définir les différents organes de l’État selon le principe de la séparation des pouvoirs : la Constitution organise les pouvoirs publics composant l’État en séparant le législatif, l’exécutif et le judiciaire afin de permettre l’équilibre des différents pouvoirs. Dans ce cadre, la Constitution définit les compétences des différents organes de l’État et la manière dont ils sont désignés, règle les rapports entre les différents pouvoirs en leur donnant la possibilité de se contrôler mutuellement et fixe la répartition des compétences sur l’ensemble du territoire en définissant l’organisation de l’État qui peut être unitaire et centralisé ou fédéral.
Toutes les Constitutions prévoient les modalités selon lesquelles elles peuvent être modifiées : on parle de procédure de révision. Il peut s’agir de corriger des imperfections ou de modifier des règles de fonctionnement du régime. Cette procédure peut être plus ou moins complexe. On parle de Constitution « souple » lorsqu’elle peut être révisée par les mêmes organes (assemblée législative ordinaire) et selon les mêmes procédures servant à l’adoption des lois ordinaires. L’intérêt de cette procédure est de pouvoir adapter la Constitution aux circonstances sans formalisme excessif et sans blocage politique. Mais elle risque cependant d’aboutir à une instabilité du texte constitutionnel, qui peut être modifié au gré des circonstances et des rapports de force, alors même qu’il a pour fonction de mettre en place un cadre institutionnel permettant de surmonter les crises. La Constitution perd ainsi de sa portée symbolique et sa suprématie par rapport aux autres textes juridiques. Les Constitutions « rigides » ne peuvent être révisées que par un organe distinct (ex : Congrès du Parlement) et/ou selon une procédure différente (ex : référendum) de celles servant à l’adoption des lois ordinaires. La Constitution est alors préservée des modifications trop fréquentes. Elle conserve ainsi un statut spécifique et sa primauté par rapport aux autres règles de droit correspondant à son rang de « pacte fondamental » de la Nation. En revanche, la contrainte de telles procédures peut engendrer des blocages difficilement surmontables.
En démocratie, il existe deux processus d’élaboration de la Constitution : la discussion parlementaire par une assemblée spécialement élue à cet effet ; la rédaction d’un texte par le Gouvernement ou un comité de spécialistes. Certaines Constitutions sont rédigées par des assemblées élues appelées « assemblées constituantes ». Celles-ci ont pour mission principale de rédiger un texte constitutionnel, mais peuvent aussi exercer simultanément le pouvoir législatif. Le travail de ces assemblées est le plus souvent organisé sur le même mode que celui des assemblées parlementaires classiques : des commissions spécialisées étudient des propositions qui sont ensuite discutées et adoptées en séance plénière. En général, le mandat de l’assemblée constituante cesse dès qu’elle a définitivement adopté le texte de la Constitution. La rédaction de la Constitution par le Gouvernement, ou un comité restreint désigné par lui, peut constituer une solution plus rapide. En effet, exceptionnellement, le pouvoir exécutif s’attribue ou se fait reconnaître le droit de rédiger un texte constitutionnel. Les comités restreints, qui l’assistent, sont le plus souvent composés de responsables politiques et de spécialistes du droit constitutionnel. Si cette méthode est plus rapide, elle souffre cependant d’une moindre légitimité. À la différence des membres de l’assemblée constituante, les comités spécialisés ne sont pas désignés par le peuple au suffrage universel. Aussi leurs propositions sont-elles le plus souvent soumises à l’approbation du peuple par la voie du référendum afin de donner au texte constitutionnel son caractère de norme fondamentale.
À la différence des États-Unis, qui disposent de la même Constitution depuis 1787, la France a connu des constitutions très différentes dans leur contenu et dans leur présentation. La Constitution des Etats-Unis est, selon ses propres termes, « la loi suprême du pays » et fondée sur une séparation stricte des pouvoirs. Elle a été acceptée le 17 septembre 1787 par une convention réunie à Philadelphie en Pennsylvanie, le 25 mai 1787 sous la présidence de George Washington et James Madison comme secrétaire de convention. Après vingt-sept amendements au terme de cette convention, la Constitution américaine s’applique depuis le 4 mars 1789 et elle est l’une des plus anciennes constitutions écrites encore appliquées. La longévité exceptionnelle de la constitution des États-Unis est généralement attribuée à sa très grande flexibilité. Au cours de ses deux siècles d’existence, elle a pu servir à la fois à une confédération de quatre millions d’habitants qui vivait d’agriculture et de commerce maritime et à un pays de plus de 320 millions d’habitants qui est, aujourd’hui, le plus riche et le plus puissant du monde.
Cette flexibilité tient à plusieurs points. La constitution se concentre sur des questions d’organisation des pouvoirs, dans un esprit qui était à la fin du XVIIIè siècle totalement moderne, et qui reste conforme à la pratique des démocraties d’aujourd’hui. Dépourvus d’aristocratie dès leur origine, les États-Unis ont évité l’essentiel des crises politiques de l’Europe du XIXè siècle. Au-delà de l’organisation des pouvoirs, la constitution s’attache essentiellement à énumérer les droits des citoyens. Ces droits ont été peu à peu ajoutés à la constitution, là encore de façon comparable à ce qui est arrivé dans d’autres pays occidentaux, souvent, mais pas toujours, avant eux. Leur formulation négative (l’État ne peut faire certaines choses, plutôt que l’État doit assurer certaines choses) en limite la portée, mais en assure l’applicabilité. La constitution laisse jusque dans l’organisation des pouvoirs des points nombreux à décider par la loi. Ainsi, du moins dans sa version d’origine, elle ne dit pas qui est électeur, laissant ce pouvoir aux différents États. À l’origine presque partout censitaire, le suffrage est devenu universel, les amendements à la constitution dans ce sens (XIXe et XXVIe) ne faisant que confirmer une pratique déjà quasi générale. La constitution, tout comme les autres lois, s’applique dans la logique de la common law anglo-saxonne, c’est-à-dire qu’elle doit être comprise à la lumière des décisions des tribunaux, et tout particulièrement de la cour suprême des États-Unis, portant sur des affaires particulières. Au contraire de la tradition britannique, la cour suprême n’est pas liée par la règle du précédent, ce qui permet à l’interprétation de la constitution et donc à sa pratique d’évoluer considérablement. La capacité des tribunaux à interpréter la constitution, à la lumière des circonstances actuelles, est la source majeure de sa flexibilité. Il faut mentionner enfin une autre raison importante de la permanence de la constitution. Son adoption est un des moments majeurs de la naissance de la Nation. Tous les officiels prêtent serment à la constitution. Elle jouit d’un respect quasi-unanime, d’un caractère presque sacré. Lors de la plus grave crise qu’ait connue le pays, la guerre de sécession, les États Confédérés se dotèrent de leur propre constitution. C’était la copie presque conforme, souvent mot pour mot, de la constitution des États-Unis.
En Côte d’Ivoire, nous devons tirer les leçons des différentes crises pour réviser notre constitution dans l’esprit de la convention américaine de 1787 qui a imprimé une grande flexibilité à la constitution des Etats-Unis, ce qui lui vaut une longévité exceptionnelle. Il nous faut construire un texte prenant acte de la diversité des situations et donc aux antipodes des particularismes politiquement calculateurs. Il nous faudra bien cadencer les considérations ethnologiques et sociologiques voire anthropologiques, très souvent abusivement enflées et chauffées par les marmites noires des officines politiques, de sorte qu’elles ne parasitent pas l’applicabilité et la justesse de la future constitution. Il faut éviter le climat de comédie politique et de farces rhétoriques qui a prévalu à la naissance de la deuxième République. On a assisté à une danse d’ivresse belliqueuse de sorciers entre les conjonctions de coordination « Et » et « Ou » qui a, malheureusement, fini par emporter en overdose politique les pères de ce rituel référendaire. Tous les articles dits « confligènes » doivent être décomplexés afin de briser le lit de l’instabilité politico-sociale qu’a connu le pays depuis 2000. L’article 35 est l’article le plus indexé et qui est relatif aux critères d’éligibilité doit être traité avec un regard moderne et dans le sens de l’unité nationale. Il faut éviter la valse grammaticale et un débat de conjonctions. La loi fondamentale doit servir l’intérêt général, être impersonnelle et un gage de la cohésion nationale. L’article 132 qui accorde l’immunité aux auteurs du coup d’état militaire du 24/12/1999 doit sauter car il fait la promotion de l’impunité.
La nouvelle constitution doit rendre la séparation des pouvoirs réelle en modifiant les articles qui donnent des pouvoirs illimités au président de la République et lui permettent de contourner les autres pouvoirs en prenant des ordonnances. Alors que l’article 79 stipule que « l’Assemblée nationale vote le projet de loi de finances dans les conditions déterminées par la loi », l’article 80 dit ceci: « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée dans un délai de soixante-dix jours, le projet de loi peut être mis en vigueur par ordonnance ». Autant dire que c’est le président de la République qui arrête le budget puisqu’il peut le faire sans le parlement. La liste n’est certes pas exhaustive. La constitution doit être passée au peigne fin et dans un travail rigoureux, scientifique et sans aucune passion. La loi a, par nature, vocation à servir l’intérêt général. Il est donc impérieux que la Constitution, notre loi fondamentale, soit le reflet de cette volonté de servir l’intérêt général. Des ajustements doivent être apportés à notre constitution du 1er août 2000 en vue de nous rassembler, de renforcer notre cohésion et de nous conduire sur le chemin d’un Etat démocratique, moderne et respectueux des droits de l’Homme. Et cela doit se faire dans les meilleures conditions de transparence, en évitant tout quiproquo de façon que, lors du référendum, le pauvre ivoirien sache avec précision le contrat social qui lui est proposé.
Il faut lever les barrières qui freinent le retour d’une armée de cadres et d’étudiants de la diaspora, parce que binationaux ou plurinationaux, qui pourraient venir en renfort au fonctionnement de notre Administration balbutiante voire viciée et même occuper des postes électifs de premiers plans. C’est pourquoi le référendum constitutionnel prévu en 2016 doit prendre en compte l’exercice juridique de la double nationalité et ouvrir une circonscription législative pour les ivoiriens de la diaspora, tout en formalisant la mise en place d’un Haut Conseil des Ivoiriens de l’Extérieur avec un statut délibératif et une autonomie financière et d’actions. Tous ces mécanismes faciliteront, entre autres, le transfert réussi, efficace et bénéfique des diverses compétences des populations diasporiques au service socio-économique de la Côte d’Ivoire et la mise en synergie des pratiques innovantes nécessaires pour la modernisation des mentalités, de notre administration et des divers services étatiques.
La modernité ivoirienne en construction et qui serait centrée sur la satisfaction des besoins du peuple et des individus doit encore relever plusieurs défis majeurs. Les diasporas ivoiriennes, à travers le monde, pourront, par le canal de leurs députés, du Haut Conseil et par le plein exercice de leurs droits civiques, s’investir davantage en Côte d’Ivoire pour apporter leurs différentes expertises et construire ensemble une Nation réconciliée, paisible et émergente, dans sa diversité cosmopolite. Ce qui permettra de connaître, reconnaître, valoriser et vulgariser les bonnes pratiques des diasporas ivoiriennes, acquises dans les grandes nations du monde, au sein du tissu « Ivoire » pour le co-développement Côte d’Ivoire-Europe, Côte d’Ivoire-Asie, Côte d’Ivoire-Amérique, … , l’une des clés du développement propulsif et surtout dans la conception, le suivi et la mise en œuvre du projet de l’IVOIRIEN NOUVEAU. La Diaspora ivoirienne est un vivier important de cadres compétents et d’experts dans le secteur informel. Ils ont fait leurs preuves ailleurs et méritent confiance.
En Côte d’Ivoire, il nous faut forger une Constitution qui flirte avec la pérennité et donc limée sur un cadre institutionnel flexible permettant de surmonter les crises et de résister aux appétits fantaisistes et politiciens. C’est pourquoi, il nous faut prendre le temps juridique préparatoire nécessaire pour consulter et associer les intelligences et visions des différentes sensibilités politiques, des religieux, des chefs traditionnels, de la société civile et de nos experts dans le schéma rédactionnel et révisionniste de la Constitution de sorte à dégager une première mouture de large adhésion. Puis suivront la phase des débats publics (notamment au Parlement et des émissions télé et radio) et celle de la consultation populaire du peuple à travers l’organisation du référendum. Faisons en sorte que tous les ivoiriens aient de nouvelles raisons profondes d’aimer leurs devoirs, leurs différents princes, leur patrie, leurs lois et de jouir de leurs droits, en sentant mieux l’odeur du bonheur dans cette Côte d’Ivoire que nous aimons tous et diversement. Si nous voulons mettre notre Constitution à l’abri de modifications intempestives, il faut lui donner une grande flexibilité, à l’instar des Etats-Unis, puissance mondiale multisectorielle incontestée, comme base de longévité.
Docteur Pascal ROY
Philosophe–Juriste–Politiste–Coach politique–Analyste des Institutions, expert des droits de l’Homme et des situations de crises–Médiateur dans les Organisations–Enseignant à l’Université–Consultant en RH–Écrivain-Chroniqueur
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