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Crise ivoirienne : Roxane a vu sa famille mourir à Guitrozon


« Laisse-la ! Si elle n’est pas morte, elle va rendre témoignage. » C’est la phrase qu’a lancée un chef dozo à Roxane Yoro. Cette habitante de Guitrozon, près de Duékoué, a vu sa vie basculer le 31 mai 2005. Une partie de sa famille est morte devant elle. Neuf ans plus tard, sans pouvoir oublier ce que ses agresseurs lui ont fait, elle pardonne. Roxane Yoro raconte ici son histoire.

crise ivoirienneJe vivais avant à Abidjan. Je faisais mon commerce de vêtements pour enfants, jusqu’en 2005. Je faisais la navette entre Abidjan et Duékoué. Le 15 mai 2005, je suis arrivée au village pour écouler mon stock de marchandises. J’ai vendu mes marchandises pendant deux semaines. Le 31 mai 2005, ayant écoulé mon stock, je décide d’aller réserver mon ticket de car pour Abidjan. Le départ étant prévu pour le premier juin. C’est durant cette nuit du 31 mai que mon village, Guitrozon, fut attaqué par les assaillants.

Ils sont arrivés à deux heures du matin, une partie du village était endormie et l’autre moitié était à des funérailles. Moi, j’étais de ceux qui étaient endormis. Ils sont arrivés et ont commencé à tirer. Mes parents et moi pensions que c’était les Forces de défense et de sécurité (FDS), puisqu’il y avait un couvre-feu. Mais le temps de se rendre compte que ce n’était pas les FDS, les assaillants avaient investi notre village et encerclé notre maison. Ils ont alors commencé à tirer sur toutes les âmes qui bougeaient. Dans la maison, ma famille et moi, n’ayant rien pour nous défendre, nous nous sommes rués sur la porte pour empêcher les assaillants d’entrer dans notre demeure. Mais rien n’y fît. Leur acharnement aura eu raison de nous.

Ils ont aspergé la maison d’essence et ils y ont mis le feu

Ils ont fracassé la porte et sont entrés. C’est ma grand-mère, ma tante ainsi que ses deux enfants qu’ils ont trouvés au salon. Sans aucune forme de procès, ils ont été égorgés sur-le-champ. Après leur forfait, ils sont sortis de la maison et ils ont aspergé la maison d’essence et ils y ont mis le feu. Ils attendaient dehors armes aux poings. Les survivants qu’ils n’avaient pu égorger devaient mourir par le feu.

À défaut, quand ces derniers fuyaient la fureur du feu, ils étaient purement et simplement exécutés. Ils ont ainsi refroidi tous les habitants de la maisonnée. Il ne restait plus que mon frère cadet et moi.

Ne pouvant plus supporter la chaleur suffocante du feu, mon frère et moi, nous sommes sortis de la maison pour nous échapper. En fuyant, l’un des assaillants a dit en dioula « Bakôrôni do flè ni yé ! », pour dire « Voilà un cabri qui va là ! »

Automatiquement, l’un d’entre eux m’a tiré dessus. La balle m’a touché au bras. Je ne suis pas tombée et il a encore dit en dioula : « A ma sôrô ! » Et il a chargé une deuxième fois. Là, je suis tombée, mais je continuais de ramper jusqu’à une autre maison. Pendant ce temps, il tirait sur tout ce qui passait là. Il y a un assaillant, habillé en tenue dozo, qui m’a suivi dans la maison où j’avais rampé pour me cacher.

« Elle respire encore »

Lorsqu’il est arrivé, il a enlevé sa chaussure et il a appuyé son pied dans mon dos pour voir si j’étais morte. Je respirais encore, il a dit à son chef : « Elle respire encore. » Ce dernier lui a répondu : « Laisse-la ! Si elle n’est pas morte, elle va rendre témoignage. »Cette phrase, il l’a dite en français cette fois. Pendant leur échange, il y a eu un coup de feu venant du corridor. C’est là que les dozos ont arrêté de tuer.

Deux cargos de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire venaient de rentrer dans le village, pendant que les dozos partaient d’où ils étaient venus. Quand les deux groupes se croisaient, ils se disaient : « As-salâm ‘aleïkoum ! As-salâm ‘aleïkoum ! » Je ne sais pas si c’est une salutation ou un code, mais j’avoue que cela m’a intrigué.

Cinq minutes après, les FDS sont arrivées et ont transporté les blessés à l’hôpital. Après décompte : sur 11 personnes, seulement mon frère cadet et moi avons survécu à la furie des assaillants. Nous étions totalement orphelins.

J’ai été transportée à l’hôpital à cinq heures du matin, mais c’est seulement à 17 heures que j’ai reçu les premiers soins. Les blessés étaient si nombreux, les cas plus graves les uns que les autres. C’est Médecins sans frontières qui s’occupait d’eux. Durant ce temps d’attente, la vie n’avait plus de sens pour moi, puisque je venais de perdre tous ceux que j’aimais et que j’avais de plus cher. Brûlée, ayant une balle dans le bras et une autre au pied, saignant, je n’attendais que la mort.

Je souhaite dire aux uns et aux autres de pardonner

Aujourd’hui, je suis guérie, mais cet épisode de ma vie, je ne peux jamais l’oublier. Il est comparable à une femme qui accouche et qui perd son enfant sur le champ. Voir neuf membres de votre famille sur onze mourir en moins de quelques minutes, c’est trop choquant.

Nous sommes en 2014. Des années ont passées, Gbagbo est en prison et la Cour pénale internationale a confirmé les charges de crimes contre l’humanité contre lui. Toute personne qui passe à la justice doit être jugée. Mais moi, je prie Dieu afin que Gbagbo soit libéré. Je sais qu’il va revenir, car cet homme est un grand homme. Quand nous avons été attaqués, il est venu en personne à notre chevet pour payer nos soins. Si ce n’était pas Gbagbo, nous serions morts. Gbagbo pense aux Ivoiriens, il doit être libéré. On nous parle toujours de réconciliation, et pourtant le pouvoir en place passe son temps à emprisonner les hommes du camp Gbagbo.

Pour ma part, je souhaite dire aux uns et aux autres de pardonner. Si Jésus a pardonné nos péchés sur la croix, pourquoi nous ne pouvons pas en faire autant. Moi, j’ai perdu ma famille entière, J’ai pardonné à moi-même ainsi qu’à mes agresseurs. Je demande aux dirigeants du pays, de quelque bord politique qu’ils soient, de faire preuve de dépassement et de pardonner.

Ivoire Justice

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