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[Coups d’Etat en Afrique noire francophone] Petit bréviaire pour comprendre leur réussite


Abidjan, 02-08-2023 (lepointsur.com) A l’approche de la fin du premier car du XXIe siècle, l’Afrique noire francophone est à nouveau frappée par les coups d’Etat, après ceux de l’ère post coloniale. De la Guinée Conakry (2021) au Niger (2023), en passant par le Mali (2021), le Burkina Faso (2022) et, depuis peu le Gabon (2023), on assiste à des « révolutions des œillets » à l’africaine, des coups d’Etat sans effusion de sang, comme le fit le Général Robert Guei en Côte d’Ivoire, à l’aube du XXIe siècle (décembre 1999). Ces pronunciamientos, sont applaudis par les populations. Face à cette situation de nature révolutionnaire, on est en droit de se demander comment procèdent ces militaires dits « patriotes » ou « panafricanistes » pour réussir aussi aisément leur coup de force ?

L’on peut dire, sans risque de se tromper, que ces bruits de bottes, sonnent la mise en marche de la seconde décolonisation réclamée par les peuples africains des anciennes colonies françaises. Décolonisation qui s’apparente d’une part, au rejet de la France-Afrique, d’où le soutien des masses populaires aux catilinaires. Et d’autre part, à la misère grandissante dans ces ex-colonies françaises où le coût de la vie prend l’ascenseur et les élites dirigeantes s’embourgeoisent, pendant que les revenus des masses laborieuses prennent l’escalier.

Certes, nul ne peut réfuter ces vérités. Mais, pour mieux comprendre la facilité avec laquelle ces militaires réussissent leur coup, il faut aussi lire leurs actions à la lumière des travaux d’un écrivain Italien du début du XXe siècle. Cet auteur nommé, Curzio Malaparte, née en 1898 et décédé en 1957, a écrit un livre paru en 1931, dans lequel il envoie un avertissement à l’état moderne, le nôtre : se reposer sur la technique, c’est risquer d’offrir le flanc à une petite armée technicienne qui pourrait réussir un coup d’état. Le titre de cet œuvre à lui tout seul est évocateur : « La Technique du Coup d’Etat ».

A travers un aperçu de cette œuvre que nous livre le site en ligne  « 1000 idées de culture générale », nous vous donnons un outil pour comprendre l’aisance avec laquelle les nouveaux militaires révolutionnaires d’Afrique noire francophone, tombent des régimes impopulaires et dépassés.

En effet, la technique du coup d’État a changé depuis l’Antiquité. Curzio Malaparte montre dans « Technique du coup d’État » que les circonstances favorables à un coup d’État ne sont pas nécessairement de nature politique et sociale et qu’elles ne dépendent pas de la situation générale du pays. Témoin privilégié des cataclysmes de son époque et doué d’un génie visionnaire sans précédent, son livre était redouté, voire interdit par les gouvernements des années 1930, qui craignaient qu’il n’inspire de nouvelles révolutions plus efficaces.

Dans son livre, Malaparte soutien qu’un coup d’État est désormais une opération technique. Curzio Malaparte affirme que le temps des révolutions populaires est terminé. Il n’est plus nécessaire de mobiliser le peuple afin de conquérir le pouvoir. Pour renverser un régime, il suffit d’une organisation technique et tactique, d’un nombre restreint d’individus capables de paralyser, pendant quelques heures, les administrations. L’écrivain italien étaye sa thèse en analysant la tactique mise en place par Trotski dans le coup d’État bolchevique. Si Lénine a été le stratège, l’idéologue et l’animateur de la révolution, il admet lui-même que c’est Trotski qui l’a organisée et dirigée d’après sa conception. Voici comment Malaparte la résume : « L’insurrection est une machine, dit Trotski : il faut des techniciens pour la mettre en mouvement, et seuls des techniciens peuvent l’arrêter. La mise en mouvement de cette machine ne dépend pas des conditions politiques, sociales, économiques du pays. L’insurrection ne se fait pas avec les masses, mais avec une poignée d’hommes prêts à tout, entraînés à la tactique insurrectionnelle, exercés à frapper rapidement, durement, les centres vitaux de l’organisation technique de l’État. Cette troupe d’assaut doit être formée d’équipes d’ouvriers spécialisés, mécaniciens, électriciens, télégraphistes, radio-télégraphistes, aux ordres d’ingénieurs, de techniciens connaissant le fonctionnement technique de l’État » (Technique du coup d’État, 1931). Malaparte décrit comment Trotski a lancé l’attaque contre le gouvernement une fois que toute l’infrastructure technique était aux mains des bolcheviks.

Malaparte illustre, dans son livre, la technique du coup d’État en relevant que la police est impuissante contre la technique du coup d’État. En effet, Malaparte explique que le système traditionnel de police n’est pas adapté à la tactique insurrectionnelle. Dans l’exemple de la révolution bolchevique qu’il donne, il démontre que les autorités ont été aveugles aux objectifs réels de l’organisation de Trotski. A cet effet, voici ce que Malaparte en dit : « La police de Kerenski (le chef du gouvernement provisoire de Russie) et les autorités militaires se préoccupent avant tout de défendre l’organisation bureaucratique et politique de l’État, les ministères, le Palais Maria, siège du Conseil de la République, le Palais de Tauride, siège de la Douma, le Palais d’Hiver, l’état-major général. Trotski, découvrant cette erreur, s’attaquera aux seuls organes techniques de la machine gouvernementale et municipale » (Technique du coup d’État, 1931).

Malaparte précise que l’aveuglement des autorités est un des effets de la tactique des « manœuvres invisibles » de Trotski. Le désordre qui régnait à Pétrograd (Saint-Pétersbourg) empêchait la police de remarquer les groupes de trois ou quatre gardes rouges de la troupe de choc qui s’entraînaient en plein jour près des points stratégiques de la défense de l’État. L’inefficacité des mesures de police sera également patente lors du coup d’État de Kapp (dans la nuit du 12 au 13 mars 1920 à Berlin) et lors de la prise de pouvoir de Mussolini, notamment parce que des policiers ne peuvent pas combattre des soldats aguerris. Seul Staline saura résister à la technique du coup d’État, reconnaît Malaparte, lorsqu’il empêchera Trotski de reprendre le pouvoir lors du 10ème anniversaire de la Révolution d’Octobre.

Toutefois, dit Curzio Malaparte, si la technique du coup d’État est fiable, elle  présente tout de même des limites. Malaparte souligne tout d’abord la question de la légalité. Les partisans de la conception moderne du coup d’État craignent d’être déclarés hors la loi et de perdre par-là, l’autorité de la puissance publique dont ils ont besoin pour installer leur pouvoir dans les meilleures conditions. L’écrivain italien explicite cet enjeu à partir de l’exemple du premier coup d’État moderne, le 18 Brumaire de Bonaparte. Il estime que le respect de la légalité est l’erreur fondamentale du plan du général français. Pour autant, cette erreur restera dans la conception moderne du coup d’État. « Kapp, Primo de Rivera, Pilsudski et, sous certains rapports, Hitler lui-même, écrit Malaparte, sont des hommes d’ordre, des réactionnaires, qui se proposent de s’emparer du pouvoir afin d’accroître leur prestige, leur force et leur autorité, et qui se préoccupent de justifier leur attitude séditieuse en se proclamant non pas des ennemis, mais des serviteurs de l’État » (Technique du coup d’État, 1931).

Or, conquérir le pouvoir à travers le Parlement est une mauvaise décision, car ce faisant les révolutionnaires font le jeu des défenseurs de l’État, dont l’intérêt est de gagner du temps. La seconde limite de la technique du coup d’État est le risque de grève : la paralysie du pays empêcherait l’installation effective du nouveau pouvoir. Si Mussolini a évacué ce risque en brisant les syndicats ouvriers, Hitler, lui, renonce à l’insurrection. Ainsi, Malaparte prédit que le chef nazi arrivera au pouvoir par les élections. Et ce fut chose faite en 1933.

Comme on le voit, Curzio Malaparte, démontre que prendre le pouvoir, renverser celui qui est en place, n’est pas tant une affaire d’idéologie que de technique. Il montre qu’au fond peu importent les idées, ce qui compte est de prendre en main les moyens de paralyser le pays, sur le modèle de Trotski en octobre 1917, qui déclarait par la suite : « Pour s’emparer de l’État moderne, il faut une troupe d’assaut et des techniciens : des équipes d’hommes armés, commandées par des ingénieurs ». Les premières ont ainsi pour fonction d’ouvrir les portes aux seconds, qui peuvent pousser sur les bons boutons, sans faire appel aux masses, « puisque l’insurrection ne pouvait compter que sur une minorité ». (Didier Smal)

Offrez-vous donc ce livre(en ligne), et abreuvez-vous-en. Car son propos reste toujours d’actualité au XXIe siècle. Surtout en Afrique francophone où l’hyper-présidentialisme dont le corolaire est la mauvaise gouvernance et l’enrichissement rapide et illicites des élites dirigeantes est toujours prépondérant, depuis plus de 60 ans.  Nous sommes au XXIe siècle. Le siècle de la connaissance. L’ère du verseau. Ne l’oublions pas. On ne peut plus rien caché au peuple.

Par Diomandé Gouesse

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