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[Côte d’Ivoire] Quand l’ethnocentrisme domine le champ politique


Abidjan, 07-12-2023 (lepointsur.com) La politique ivoirienne est-elle ethnocentrique ? C’est une question que se pose beaucoup d’ivoiriens après l’exclusion de Monsieur Guikahué de la course à la succession du président Henri Konan Bédié à la tête du PDCI.

“ De sorte que depuis 60 ans, les cinq chefs d’État que la Côte d’Ivoire a connu, ont tous gouvernés avec les hommes et femmes issus de leur ethnie, région, tribu et clan. Tout a commencé avec le premier Président de la République. ’’

À cette question je réponds par l’affirmative. Oui, la politique ivoirienne est non seulement ethno-centrée, mais elle est aussi tribale et régionale. Pourquoi, est-ce ainsi ? Parce que notre démocratie est jeune. Elle balbutie, oscille entre Barbarie et ploutocratie parentocratie. Elle n’a que 60 ans. Dont 40 ans de parti unique, 10 ans de barbarie démocratique et 10 ans de pseudo-multipartisme. De toutes ces 60 années d’initiation à la démocratie, notre classe politique, très conservatrice, a gardé dans son subconscient, les vieux démons du parti unique. Démons qui priorisent le clan, l’hégémonie de l’ethnie du leader, le tribalisme comme mode de promotion social et le régionalisme doxastique. De sorte que depuis 60 ans, les cinq chefs d’État que la Côte d’Ivoire a connu, ont tous gouvernés avec les hommes et femmes issus de leur ethnie, région, tribu et clan. Tout a commencé avec le premier Président de la République.

En effet, Houphouët Boigny a dirigé ce pays avec les Akan. Il a fait une géopolitique à l’ivoirienne en nommant ici et là des personnalités venues d’autres ethnies du pays. Mais, le cœur de son pouvoir était entre les mains de ses parents Akan. Il a tellement structuré son pouvoir autour de l’Akanité qu’il a fait trois choses clés qui symbolisent l’hégémonie Akan de son règne.

La première chose qu’il a faite est de construire un palais présidentiel dont l’architecture renvoie au tabouret royal Akan. Cette façon de recourir à la symbolique du pouvoir chez les Akan a fini par convaincre les opposants à Houphouët Boigny qu’il avait transformé la République en « royaume Akouê ». Les Akouê étant sa tribu d’origine.

“ Lorsque Henri Konan Bédie prend la succession d’Houphouët, il ne tient pas compte des mises en garde du vieux. Bien au contraire, il ne déroge pas à la règle. Héritier du père, il a maintenu l’hégémonie Akan sur le pays. ’’

La seconde chose est l’érection de son village, Yamoussokro, au cœur du pays Akan, au centre du pays, en capitale politique du pays. Apres Abidjan, capitale économique, terre des Atchan, un peuple du groupe Akan.

La dernière chose est sa succession. Il l’a taillée sur mesure aussi bien à la tête du pays qu’à celle de son parti politique, le PDCI, pour son « fils/neveu » Henri Konan Bédié. Pendant 40 ans, sous Houphouët, l’appartenance ethnique, la tribu d’origine et la région, ont été les marqueurs de la vie politique ivoirienne. Quand Houphouët Boigny revient au multipartisme en 1990 sous la pression de la France Mitterrandienne et de la gauche ivoirienne conduite par un Laurent Gbagbo alors étincelant, le vieux ne manque d’avertir le peuple sur l’un des dangers qui guette le pays : la constitution de parti politique ethnique. Mais, il ne sera pas entendu.

Lorsque Henri Konan Bédie prend la succession d’Houphouët, il ne tient pas compte des mises en garde du vieux. Bien au contraire, il ne déroge pas à la règle. Héritier du père, il a maintenu l’hégémonie Akan sur le pays. Avec l’ivoirité, un bon concept socio culturel que ces idéologues ont galvaudé en le convoquant dans le champ politique, et son programme économique, « les 12 chantiers de l’éléphant d’Afrique » qui avait commencé à Prepressou et Koukourandoumi au centre du pays, dans son village et celui de sa femme à Daoukro, en pays Akan, on n’avait plus de doute que la domination Akan se poursuivrait. Dans les entreprises et l’administration, surtout la haute fonction publique, sous Bédié, la part belle était faite aux peuples issus de l’air culturelle des Akan. Cette situation était si flagrante qu’elle a été baptisée par les ivoiriens le « Sefonisme ». Le groupe zouglou « espoir 2000 » l’a dénoncé dans l’une de ses chansons en disant en substance que dans le pays, « c’est une affaire de Kouao ». Puisque si tu n’étais pas « Kouao » sous-entendu Akan, tu ne pouvais pas être recruté dans une entreprise, puisque dans les entreprises ivoiriennes « le Directeur était Kouao Lucien et les sous Directeurs étaient Kouao Lucas » etc.

“ Son départ en catastrophe du pouvoir en octobre 2000 et son assassinat le 19 septembre 2002 en sont les preuves. Aurait-il fait comme Houphouët et Bédié s’il avait eu plus de temps au pouvoir ? ’’

Pour mettre fin à la domination du champ politique ivoirien par l’Akanité, les militaires prennent le pouvoir par un coup d’État le 24 décembre 1999. La classe politique salut ce changement antidémocratique du pouvoir. Le leader du RDR, Alassane Ouattara, originaire de l’air culturelle des Gur, au nord du pays, dont l’exclusion du pouvoir était manifeste, qualifie ce putsch militaire de « révolution des œillets » à l’ivoirienne. Laurent Gbagbo, issue du groupe ethnique des Krou, au centre ouest du pays dont l’un des leurs, Kragbe Yangbe, a été assassiné en 1970 par le régime monopartite d’Houphouët Boigny, pour s’être radicalement opposé au parti unique, crie vengeance sur les Akan. Tellement heureux du coup de force des soldats, il le qualifie de « coup d’État salutaire ». Les Krou étant enfin vengés avec la chute de la maison Boigny. Le règne des « Akouê/Akan » était fini.

Le militaire qui dirige la transition militaro civile qui s’en suit, se nomme Robert Guei. Il est général de brigade. Il est du groupe ethnique des Mandé. Précisément des Mandé sud. Il est Dan, originaire de l’actuelle région du Tonkpi. Anciennement la région des 18 montagnes. Les Akan ont donc été symboliquement renversés par les Mandé. On s’attend donc à voir une nouvelle hégémonie ethniquo-régionaliste et tribale se mette en place. Mais non ! Robert Guéi, n’en a pas le temps. Il n’a que 10 mois de transition à faire. Là où il aurait fallu au moins 5 ans de transition aux militaires pour « balayer la maison » dont 40 ans de déchets continuaient d’infester les coins et recoins. Néanmoins il s’entoure de quelques hommes de son ethnie qui occupent quelques secteurs stratégiques du pays dont la garde présidentielle et les impôts par exemple. Etant militaire, c’est l’armée qui est sa principale préoccupation. Malheureusement, il n’y recrute pas en priorité les membres de son ethnie. Il ouvre ses recrutements à tous les ivoiriens méritants. Le recrutement du contingent dénommé « zinzin et bayefouê » en 2000, l’illustre bien.

“ Quand Laurent Gbagbo, l’opposant historique au clan des « Akouê », prend le pouvoir, de façon calamiteuse le 26 octobre 2000, après la présidentielle qui l’a opposé au militaire Robert Guéi, on espère que la priorité à l’ethnie, la tribu, la région et le clan est derrière nous. ’’

Robert Guéi le militaire, semble être l’exception à la règle de la domination hégémonique d’un groupe ethnique au pouvoir en Côte d’Ivoire: son peuple, les Mandé sud, n’a pas dominé la vie politique ivoirienne. Son départ en catastrophe du pouvoir en octobre 2000 et son assassinat le 19 septembre 2002 en sont les preuves. Aurait-il fait comme Houphouët et Bédié s’il avait eu plus de temps au pouvoir ?

Quand Laurent Gbagbo, l’opposant historique au clan des « Akouê », prend le pouvoir, de façon calamiteuse le 26 octobre 2000, après la présidentielle qui l’a opposé au militaire Robert Guéi, on espère que la priorité à l’ethnie, la tribu, la région et le clan est derrière nous. Mais, les amoureux de la méritocratie vont tous déchanter. Dans tous les secteurs stratégiques du pays, c’est l’hégémonie Krou qui se signale. Ainsi, le premier recrutement qui se fait à la police en 2001, donne la priorité aux Beté et aux Dida. Deux sous-groupes de l’ère culturelle des Krou. À l’Office Nationale d’identification (ONI) en charge d’établir les Cartes nationales d’identités ivoiriennes par exemple, ce sont les Krou qui sont d’abord prioritaires. On est à 120% d’identification à Gagnoa et Lakota par exemple, deux villes du pays Krou quand les villes des groupes Akan, Gur et Mandé n’ont pas franchis les barres de 10% de populations identifiées. Nous sommes en 2001. Et lorsque la rébellion éclate en 2002, pour s’opposer à nouveaux à la domination d’une ethnie, d’une tribu, d’une région et d’un clan sur toutes la République qui est multi ethnique, dans laquelle seules la justice, l’équité et le mérite doivent prévaloir, on espère tous en éburnie que nous irons vers un pays égalitaire une fois la crise terminée . Mais, hélas, mille fois hélas, les démons de l’ethnocentrisme politique du pays sont toujours vivants.

“ Depuis le 11 avril 2011, le président Alassane Ouattara dirige le pays. Et les vieux démons sont de retours. On assiste hélas, à l’hégémonie des Gur associés au Mande nord, sur le pays. C’est un fait empirique et observable par tous. ’’

À la fin de 8 années de rébellion et de Refondation (dixit l’écrivain Josué Guebo), on a vue arrivé au pouvoir Alassane Ouattara. Depuis le 11 avril 2011, le président Alassane Ouattara dirige le pays. Et les vieux démons sont de retours. On assiste hélas, à l’hégémonie des Gur associés au Mandé nord, sur le pays. C’est un fait empirique et observable par tous. La domination dite nordique est visible dans tous les champs du pouvoir : Les élites intellectuelles promues dans la haute fonction publique sont soit Gur, soit Mandé nord ; le sous champ de l’économie est dominé par les mêmes Gur et Mandé nord ; les professions libérales n’y échappent pas. Même dans les petites sphères de la fonction publique ivoirienne, la pensée hégémonique y est présente. Malgré les efforts de la ministre de la Fonction publique, issue du peuple Krou, de fabriquer un « ivoirien nouveau », les pratiques ethniques hégémoniques ont la peau dure.

Au fond, on peut le dire, 24 ans après le coup de force des jeunes gens et 13 ans après la fin de la rébellion que notre pays a connue, rien n’a changé. De nouveaux hommes se sont certes succédés au pouvoir d’État. Mais, la pensée hégémonique, le désir de domination de l’ethnie, de la tribu et du clan des élites au pouvoir sur les autres peuples du pays, n’a pas disparu. En réalité, on ne recherche le pouvoir d’Etat que pour son ethnie, sa région et son clan. C’est l’idéologie de l’ethnocentrisme qui domine la pensée politique des élites dans notre pays.

“ En réalité, on ne recherche le pouvoir d’Etat que pour son ethnie, sa région et son clan. C’est l’idéologie de l’ethnocentrisme qui domine la pensée politique des élites dans notre pays. ’’

Alors quand le plus vieux parti politique de notre pays, le PDCI a préféré écarter le seul intrus qui dérangeait le retour de l’Akanité au pouvoir peut-on en être surpris ? Car, si Benjo, Yacé et Koumoé, des Akan sont prêts à se retirer, d’une façon ou d’une autre pour leur frère Thiam, petit fils d’Houphouët Boigny, qu’est-ce qu’il a d’étonnant ?

Si Thiam gagne les élections présidentielles de 2025, ayant déjà gagné la présidence du PDCI, n’est-ce pas les Akan qui gagnent ? Eux qui disent avoir perdu « leur pouvoir » en 1999 !

Le peuple ivoirien doit donc faire son introspection. Il doit s’interroger sérieusement sur le modèle idéal type de dévolution du pouvoir dans notre pays.

Depuis 60 ans on peut tous constater que l’ethnocentrisme domine la vie politique ivoirienne. On peut tous constater aussi que cette pratique hégémonique du pouvoir se fait dans un système pseudo démocratique dominé par un régime présidentialiste extrêmement fort où le Président de la République est un demi dieu ! Il a tous les pouvoirs. Et rien n’arrête son pouvoir. Alors qu’en démocratie, Montesquieu nous enseigne qu’un pouvoir doit en arrêter un autre. Or chez nous, quel est le pouvoir qui arrête celui du Président de la République qui est lui-même un autre pouvoir ? Je n’en connais pas encore. Dans un tel système, n’est-il pas loisible aux élites dirigeantes de pratiquer l’ethnocentrisme ?

“ Mais plutôt de se retrouver, dans leur diversité politique et ethnique, pour mettre fin à 64 ans l’ultra-présidentialiste dans notre pays, source de conflits politiques sans fin, et de proposer une nouvelle forme de gouvernance pour bâtir la nation ivoirienne. Car, nous sommes une République. Mais nous ne sommes pas encore une nation. ’’

En définitive, la nouvelle bataille politique des jeunes générations ivoiriennes, n’est pas de rechercher un homme messianique issu d’une ethnie dominante dans un parti politique qui prendra le pouvoir d’État pour prolonger la domination hégémonique de son ethnie, sa tribu, sa région ou son clan au sommet de l’Etat. Mais plutôt de se retrouver, dans leur diversité politique et ethnique, pour mettre fin à 64 ans l’ultra-présidentialiste dans notre pays, source de conflits politiques sans fin, et de proposer une nouvelle forme de gouvernance pour bâtir la nation ivoirienne. Car, nous sommes une République. Mais nous ne sommes pas encore une nation.

GOUESSE DIOMANDE

Ancien président de la JUDPCI d’Adjamé

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