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[Côte d’Ivoire/Lutte contre les Djihadistes] Les recettes d’un professeur d’Histoire des Relations Internationales


Abidjan, 11-06-2021 (lepointsur.com) Les pays africains sont en proie à une recrudescence du phénomène de  Djihadistes. Face à cette situation qui ne cesse d’endeuiller les familles, de nombreuses voix dont le professeur Moritié Camara s’élèvent pour proposer des solutions.

Les africains doivent eux-mêmes définir leurs propres stratégies de lutte contre les Djihadistes suivant leur propre agenda. Il faut pour cela dépasser le complexe instillé dans leur subconscient par le volet psychologique de la colonisation qui les prédisposent à ne donner du crédit qu’aux préconisations des « blancs ».

Une addition de faiblesses n’a jamais fait une force. Il faut pouvoir dire les choses telles qu’elles sont et non continuer à se voiler la face alors que le substrat de tous les problèmes de l’Afrique réside prioritairement dans sa propension à se laisser porter par les évènements et attendre que la solution vienne du dehors.

Cela a toujours laissé le continent à la traine des autres sur les plans politique, économique, culturel et humain et justifie légitimement la sentence d’un Nicolas Sarkozy qui affirme sans rire que l’Afrique n’est pas suffisamment rentrée dans l’Histoire. Il s’agit donc de présenter notre apport à la civilisation universelle et à la gestion des défis nombreux et diversifiés auxquels le monde d’aujourd’hui doit faire face parmi lesquels le terrorisme islamiste.

Le terrorisme islamiste est un phénomène importé et suscité sur notre continent. Depuis le Xe siècle l’Islam participe à la régulation de la vie sociale et politique de nombreuses contrées africaines et a été assimilé par les populations concernées qui se le sont approprié totalement. Les Africains ont pris également une part importante dans l’Islamisation du continent. De ce fait, la transformation des mœurs des populations pour se conformer au dogme islamique fut un processus endogène au point de déteindre complètement sur la culture des gens aussi bien en ce qui concerne le statut personnel des individus que de leur rapport à la société. L’Islam s’est adaptée aux réalités africaines et les africains ont adopté le mode de vie musulman. Il y a donc une juxtaposition des deux cultures qui n’a cependant pas empêché une interpénétration au point que l’Islam soit devenu pour les africains un élément interne de civilisation.

L’Islam en Afrique noire s’est donc toujours distingué par sa tolérance, son ouverture et son caractère pacifique. Les violences auxquelles on assiste depuis ces dernières décennies sur le continent et qui sont insidieusement réputées être commises au nom de l’Islam, sont étrangères aux mœurs des musulmans de l’Afrique noire et ont été importées depuis le Moyen-Orient à travers la diffusion de l’idéologie salafiste inspirée du wahabisme et de l’Afrique du nord notamment après la guerre civile algérienne des années 1990. Les groupes djihadistes qui ont été mis en déroute en Algérie, trouvent en effet dans la bande sahélienne un havre de paix et de prospérité. Très vite des pays comme le Mali, le Niger, le Tchad, le Nigeria et la Somalie sont infiltrés et produisent à leur tour des djihadistes qui entreprennent d’irradier les autres pays comme le Burkina Faso, le Cameroun.

Ces entrepreneurs de la mort n’ont aucun contentieux politique ou autres avec les populations de l’Afrique noire qui ne sont en rien comptables d’aucun des ferments de leurs mobilisations à savoir l’occidentalisation de la civilisation universelle ou encore le conflit en Palestine. L’Afrique noire est devenue donc à défaut et à son corps défendant le théâtre d’un « conflit » auquel elle est totalement étrangère.

Dès lors, si le terrorisme islamiste est devenu aujourd’hui une réalité en Afrique noire avec son cortège de morts et de destructions, il importe que les africains refusent de s’accommoder de cette présence et de vivre avec comme ils vivent avec le paludisme. Ils doivent l’éradiquer comme des mauvaises herbes qui poussent dans leurs champs.

Le continent qui souffre déjà de son immense retard sur le plan de son développement et de vingt et cent d’autres maux, ne peut se payer le luxe de mettre toute son énergie et ses maigres ressources dans une guerre de cent ans. Il faut donc inscrire cette lutte dans le temps court et la mener avec détermination et une fermeté intransigeante et sans calculs autre que celui de mettre fin aux massacres de populations innocentes auxquels on assiste dans des pays comme le Niger, le Mali ou encore le Burkina Faso et passer à autre chose le plus vite possible. 

Dans cette lutte, l’Afrique a certainement besoin de l’appui de la communauté internationale et notamment des puissances militaires occidentales. Cependant c’est à elle de définir son agenda et sa stratégie conformément à son histoire et à la priorité de ses propres intérêts. Un dicton Agni dit que c’est celui qui est le plus proche du feu qui en ressent les brûlures.

Les grandes puissances qui sont engagées dans des pays africains pour lutter contre les djihadistes poursuivent d’abord leurs propres intérêts avant ceux de ces derniers. Lorsque des vies sont détruites par centaines toutes les semaines, il faut savoir arrêter de réécrire l’Histoire pour ne pas avoir à l’assumer et dire les choses clairement.

Les pays n’ont pas d’amis mais des intérêts à protéger et à promouvoir disait le Général Degaulle. Personne ne dénie l’importance de l’aide que lui apportent «ses amis », cependant il faut se demander si ces derniers peuvent accepter la présence de groupes djihadistes sur un pan de leur propre territoire pendant des années voir des décennies. Cela est bien entendu impensable. Dès lors, lorsque « leurs experts » expliquent que dans le cas du Mali, du Burkina Faso ou encore du Nigeria c’est une lutte de longue haleine, le message subliminal est qu’il faudrait vivre avec. Toute chose que les africains doivent refuser désormais.

Lorsqu’il y a un attentat terroriste en Occident, toute la vie s’y arrête le temps de mettre la main sur les responsables et leurs complices dont certains sont poursuivis à des milliers de kilomètres dans d’autres pays. Les américains ont modifié le corpus du droit international et des pratiques politiques, humanitaires et diplomatiques du monde pour répondre aux attentats du 11 septembre 2001. La communauté internationale et les associations ont pu penser ce qu’elles ont pensé, mais le gouvernement américain a eu bon jeu d’opiner qu’il protègera son peuple et son territoire par tous les moyens contre le fléau du terrorisme et c’est légitime.

Voici la détermination dont les dirigeants africains doivent être aminés pour sortir le contient de ce mauvais rêve dans lequel il ne saurait durer. Ces dirigeants se sont rendus en France toute affaire cessante, pour pleurer les 12 personnes tuées en janvier 2015 dans les attaques qui ont visées le magazine Charlie Hebdo. Ce geste même s’il a été légitimement moqué et très mal perçu par la grande majorité de l’opinion africaine, est louable car conforme à la tradition de compassion des africains. Il est attendu maintenant qu’ils manifestent cette même compassion pour leurs propres populations réellement innocentes et qui tombent par centaines chaque mois sous les balles des terroristes.

Que doivent-ils faire concrètement ?

D’abord savoir qui est l’ennemi et quelles sont ses prétentions et ses attentes. Il s’agit en effet de savoir si tous ceux qui sont qualifiés de djihadistes dans les discours publics le sont réellement et pourquoi ils s’en prennent aux populations innocentes. Cela aura l’avantage de comprendre les motivations et les enjeux qui fondent la posture de tous les protagonistes aussi bien ceux réputés djihadistes que ceux engagés dans la lutte contre eux. Il s’agit de ne pas se tromper de combat donc de mener le bon. Un médecin aura plus de chance de soigner un mal que son diagnostic aura été correctement établi.

Dans le cas du Mali et du Sahel notamment, cette clarification à son importance et elle est capitale pour ne pas s’engager dans une guerre sans fin avec des agendas cachés.

En effet, bien avant l’irruption des combattants islamistes chassés d’Algérie, la bande sahélienne de par son immensité était une zone de trafics par excellence et un désert de quiétude pour le crime organisé : Drogue d’Amérique du sud, médicaments et cigarettes de contrebandes y circulaient sur des boulevards de sables avant de rejoindre leurs destinations finales.

L’argent ne circulant pas régulièrement dans la zone, les nomades notamment peulhs qui s’y trouvent ont appris à tirer profit de ces trafics qui les faisaient vivre. Aujourd’hui, ils sont régulièrement mis en cause dans les massacres au nord du Burkina Faso.

Autres acteurs, les Touaregs. En effet, les autorités de Bamako depuis l’indépendance du Mali sont confrontées à la défiance des Touaregs arabophones du nord du pays qui réclament leur détachement pour fonder la République de l’Azawad. Ces Touaregs du Mali et du Niger ont toujours été soutenus et financés par le Colonel Kadhafi et beaucoup étaient intégrés dans l’armée régulière libyenne. Ces derniers ont été rejoints ensuite par de milliers d’autres utilisés comme mercenaires par le Guide libyen pour faire face au soulèvement populaire de 2011. Lorsque les avions de l’Otan ont détruit le régime de Kadhafi, se sont donc de milliers de soldats et de combattants Touaregs qui reviennent au Mali et au Niger avec les armes pris dans les magasins de Kadhafi.

Les troisièmes acteurs sont les véritables djihadistes, reliquat de la guerre civile d’algérienne et très minoritaires parmi tous ceux qui s’agitent dans la zone.

Voici les trois catégories d’acteurs qui sont actifs dans le sahel et que l’on nomme à tort ou à raison djihadistes. Surtout que pour leurs intérêts ils peuvent l’être sur le moment et sur l’heure.

Cependant, vouloir combattre indistinctement tout ce monde en un bloc, expose toute armée quelle que soit sa puissance, à faire un remake de la guerre de cent ans et « les experts occidentaux » ont raison de le répéter comme un mantra pour justifier la présence de leurs troupes dans la zone.

Sauf que les pays africains qui ne peuvent pas se permettre une guerre sans fin ne sont pas obligés de voir les choses de la même manière. Loin s’en faut.

Par M. Moritié Camara

Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales

 

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