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[Côte d’Ivoire Licenciement collectif à Fraternité Matin] Retour sur un scandale Juridico-administratif  


La direction générale de Fraternité Matin a, jusqu’à ce 24 avril 2019 pour réintégrer les 4 travailleurs protégés qui ont obtenu gain de cause dans leur procédure de recours hiérarchique.

Le licenciement collectif pour motif économique de 123 travailleurs, dont douze travailleurs protégés (responsables syndicaux et délégués du personnel), le 18 décembre 2018, a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Retour sur ce scandale juridico-administratif après la décision du ministre de l’Emploi et de la Protection sociale infirmant la décision de l’Inspecteur d’Abobo-Adjamé sur le cas de 4 travailleurs protégés.

Le licenciement collectif pour motif économique de 123 travailleurs n’a pas fini de livrer ses secrets

La décision du ministre de l’Emploi et de la Protection sociale qui infirme celle l’inspecteur du Travail d’Abobo-Adjamé portant autorisation de licenciement de 4 travailleurs protégés est révélatrice des irrégularités criantes qui ont entaché la crédibilité de l’opération de licenciement pour motif économique à Fraternité Matin.

Tout est parti de la problématique du respect des critères édictés pour l’opération. Pour mener son opération de licenciement, la direction générale de Fraternité matin a édicté des critères de sélection des travailleurs devant être déflatés, comme l’exige la loi.

Trois critères ont été retenus. Les emplois à faible valeur ajoutée, les effectifs faiblement qualifiés et les salariés en situation particulière (absences prolongées pour cause de maladie). Or, qu’a-t-on constaté ? Une grande partie des travailleurs figurant sur la liste des 123 agents à déflater, révélée dans le courant du mois de novembre 2018, n’entrent pas dans lesdits critères. Immédiatement, les employés et les responsables syndicaux comprennent que la liste des 123 travailleurs à déflater n’a pas été dressée sur une base objective. A savoir, le respect des critères.

Ils se mettent alors à grogner. Ils manifestent. Ils relèvent, en vain, l’énormité devant les autorités, y compris le ministre de Tutelle. Les choses se déroulent comme s’ils étaient les victimes d’un sacrifice expiatoire. Aucune autorité ne lève le petit doigt. « Nous avions le sentiment qu’on était dans l’un de ces nombreux de licenciements abusifs qui se déroulent dans les entreprises des ressortissants libanais », plaisante une des victimes.   

La procédure liquidée. Avant que le licenciement prévu pour le 18 décembre 2018 ne devienne effectif, il fallait régler le cas des 12 travailleurs protégés. Dans la mesure où les textes sociaux imposent que l’inspecteur du Travail donne une autorisation expresse de licenciement à l’employeur les concernant. C’est ce que la direction générale a fait, le 14 décembre 2018, après la réunion de licenciement tenue, le 11 décembre, en autorisant le licenciement de chacun des 12 agents protégés, à la grande surprise de tous. Visiblement, l’inspecteur d’Abobo-Adjamé, N’Cho Guy Hervé, pressé ou motivé par on ne sait quoi, n’a pas cru nécessaire de mener une enquête comme l’exige la loi. En tout cas, s’il y en a eue, elle a été très brève. Pas plus de deux jours, selon les syndicats.

Faisant siennes les explications du directeur général adjoint de Fraternité Matin, Serge Nouho, à la réunion du 11 décembre, l’inspecteur a fait preuve de vrais errements dans sa décision. Jusqu’à soutenir que la direction générale a versé au dossier, plus tard, une évaluation ( ???) des concernés en plus des critères. On lit entre autres : «… dès lors ce critère me semble peu objectif (la prétendue évaluation), toutefois, aucun élément matériel ne me permet de d’établir clairement une quelconque discrimination eut égard au statut de représentant du personnel du concerné. En conséquence, l’employeur a respecté les critères retenus par lui pour le choix de M… ».   

Recours hiérarchique. Loin de se laisser abattre par le découragement et convaincus de ce que la direction générale avait d’autres critères, ceux-là cachés, quelques-uns des travailleurs forment immédiatement un recours hiérarchique contre cette décision devant le ministre de l’Emploi et de la Protection sociale, sur conseil de la centrale syndicale Dignité.

Là, il y a eu enfin une enquête. Une enquête minutieuse de près de 4 mois menée par la Direction générale du Travail. Et qui a abouti à la décision du 11 avril 2019 du ministre. Au motif principal qu’ « au regard de votre profil, l’employeur ne saurait vous présenter comme un travailleur faiblement qualifié, dépourvu de prérequis et inapte à une éventuelle reconversion d’autant plus qu’aucune évaluation de vos compétences et aptitudes professionnelles ne permet, en l’état actuel du dossier, d’attester objectivement de telles allégations. En outre, après avoir précisé, dans le dossier relatif au licenciement collectif pour motif économique, que les exigences les exigences de la restructuration projetée conduisent à ne maintenir prioritairement en emploi que le personnel constituant le cœur de métier, à savoir la presse et l’imprimerie, l’employeur ne peut, après coup et sans justification particulière procéder à votre licenciement ». Et le ministre en charge de l’Emploi de conclure en ces termes : « Il suit de ce qui précède que c’est à tort que l’Inspection du Travail a autorisé votre licenciement

Kpan Charles

Encadré

De lourdes conséquences !

En feuilletant le dossier du licenciement collectif à Fraternité matin, on est amené à se demander comment les choses ont-elles  été gérées de cette façon. La SNPECI, société d’Etat, leadeur historique des médias en Côte d’Ivoire, est loin d’être une entreprise bana-bana ? Mais qu’est-ce qui n’a donc pas marché pour qu’on en arrive à cette désinvolture dans la mise en œuvre du plan social autorisé par le propriétaire unique, l’Etat ?

Qu’est-ce qui a pu coincer l’inspecteur du Travail et des lois sociales d’Abobo-Adjamé pour qu’il ferme les yeux sur les irrégularités très grossières au niveau de la liste des agents déflatés. Il suffisait pour lui de faire un travail minutieux avec les dirigeants de l’entreprise sur cette liste afin de respecter les critères, pourtant clairement définis. Au lieu de cela, tout a été fait avec précipitation… hélas !

Les conséquences, aujourd’hui, ce sont les doutes sur la crédibilité de l’Inspection d’Abobo-Adjamé. Les agents de Fraternité Matin se posent des questions. L’opinion s’interroge. Surtout que cette affaire a été fortement médiatisée parce qu’il s’agit d’une entreprise de média. 

Quant à la SNPECI, elle joue gros maintenant après la décision d’infirmation. Elle a jusqu’à ce mercredi 24 avril pour réintégrer les quatre journalistes – ils ont déposé leur demande de réintégration le 17 avril. Si elle ne le fait pas dans les délais, on se retrouve immédiatement dans un cas de licenciement abusif. Avec tout ce que cela comporte comme contraintes financières à l’avantage des concernés.

À propos de licenciement abusif, la décision du ministère en charge de l’Emploi vient conforter l’action devant le Tribunal du Travail des autres travailleurs déflatés non protégés. Dans la mesure où ce sont les mêmes arguments liés aux critères qui sont évoqués. Selon des sources proches du dossier, ils sont nombreux à ne pas répondre aux critères. Leurs noms ne devraient pas figurer sur la liste des licenciés.

Des perspectives difficiles s’annoncent donc pour Fraternité Matin. On comprend maintenant les mots forts du ministre de la communication, Sidy Touré, au cours d’échanges avec les représentants des travailleurs, à son cabinet, courant décembre : « je ne vais pas interférer dans la gestion interne de Fraternité matin. Chacun assumera ses responsabilité ». 

Sériba K.

 

 

 

 

 

 

 

 

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