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[Côte d’Ivoire/Législative 2021] Cumul et Limitation des mandats (Tribune)


Abidjan, 25-02-2021 (lepointsur.com) Le cumul des mandats est-t-il une menace pour la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion publique ? Est-il un facteur d’exacerbation de la corruption ? Une entrave au développement de la Côte d’Ivoire ?

Nous vous proposons notre réflexion sur le sujet en plusieurs points : (i) le Contexte, (ii) la Définition juridique du concept, (iii) le cadre juridique d’autres pays et celui de la Côte d’Ivoire, (iv) des pistes de réflexions, d’analyses et notre conclusion.

Suite au Conseil des Ministres tenus à Yamoussoukro, la capitale Politique de la Côte d’Ivoire, en date du mardi 18 décembre 2018, le porte-parole du gouvernement ivoirien a annoncé, et je cite, « En Côte d’Ivoire, la loi autorise un ministre à devenir président du conseil régional. « Le conseil a adopté une ordonnance modifiant l’article 125 de la loi portant code électoral ainsi que son projet de loi de ratification. Cette ordonnance lève l’incompatibilité entre la fonction de président de conseil régional et de celle de membre du gouvernement ».

La fonction de président de conseil régional peut désormais être exercée par un membre du gouvernement. Pour la fonction de maire, il n’existe pas d’incompatibilité.

Dans le cadre des élections législatives 2021 en Côte d’Ivoire, les citoyens ivoiriens iront, le 6 Mars 2021, élire leurs députés, membres du Parlement, l’une des deux Chambres de l’Assemblée nationale (incarnation du pouvoir législatif), dans la dynamique du renouvellement des Institutions après l’élection présidentielle d’octobre 2020.

A cet effet, plusieurs types de candidatures ont été enregistrés, notamment des candidats issus de partis et groupements politiques du pouvoir et de l’opposition et de candidats indépendants.

A l’examen de candidatures enregistrées, nous notons que plusieurs occupent déjà des fonctions de membres du gouvernement, de Maire, de président de conseil régional, de Directeur Général de société d’Etat. Ils souhaitent cumuler ce poste avec celui de Député s’ils venaient à être élus.

Cette situation soulève plusieurs interrogations qui appellent des éclaircissements, pour la compréhension du citoyen, « détenteur de droits », le « souverain » qui très bientôt transmettre une partie cette souveraineté par le truchement de son vote aux futurs élus.

La question est la suivante : Un citoyen ivoirien est-il légalement ou moralement fondé à exercer simultanément ou concomitamment plusieurs postes de responsabilité nominatifs et/ou électifs ? Cette situation peut-elle contribuer qualitativement à la bonne gouvernance, à la construction de l’Etat de droit et au développement national ?

DEFINITION JURIDIQUE ET FACTEURS DU CUMUL DES MANDATS

Définition juridique de la notion de cumul des mandats

Étymologiquement, cumul dérive du mot latin cumulare, entasser, accumuler, amonceler.

Mandat du latin mandatum : charge, commission, commandement, dérivé de mandare : changer de, assigner, confier, ordonner.

Le cumul des mandats est une pratique politique par laquelle une personnalité publique administrative ou politique (un élu ou un Administrateur publique ou Autorité politique) exerce simultanément ou de façon concomitante plusieurs mandats.

On distingue deux formes de cumul des mandats : le cumul des mandats dans le temps(i) qui est le fait que le même mandat électoral est renouvelé à plusieurs reprises et le cumul des mandats simultané (ii) qui est de deux ordres :

Le cumul horizontal c’est lorsque les mandats ou fonctions politiques différentes sont exercés au même niveau (local ou national). Exemple : l’exercice concomitant d’un mandat de conseiller local (Maire ou Conseiller municipal) avec une fonction d’exécutif local (Président de Conseil Régional ou Conseiller Régional).

Le cumul vertical consiste en l’exercice simultané de mandats ou fonctions politiques au niveau national et local (poste de Ministre ou de député et celui de Président de conseil régional ou de Maire), Député (niveau national) et Maire (niveau local).

Les facteurs qui favorisent la pratique du cumul

Plusieurs facteurs ou considérations sont à même de justifier la pratique du cumul des mandats, à savoir : la culture africaine de l’autorité (i): tend à concentrer les pouvoirs entre les mains d’une seule personne : le chef, l’aîné ; la tradition du parti unique (ii) : l’implantation du parti unique s’est appuyée sur la chefferie locale et le pouvoir politique est d’essence monarchique et centralisé ; l’efficacité des réseaux(iii) : le système centralisé est hiérarchisé et rigide. Le cumul augmente, sinon, garantie une longévité du pouvoir une conservation durable du pouvoir ; l’acceptation par le peuple (iv): Le cumulard joui de la légitimité populaire local ou national, il est relais du pouvoir central.

Le cumulard trouve la légitimation de sa fonction dans son rôle de délégué privilégié de la localité, d’interprète de ses demandes, le porte-voix d’une communauté régionale.

La centralisation de l’appareil d’État impose le cumul aux élus et/ou autorités comme un mal nécessaire pour l’efficacité et la conservation durable du pouvoir.

CADRE JURIDIQUE DANS LE MONDE ET EN COTE D’IVOIRE

Cadre juridique dans certains pays

Certains pays en Europe, aux États-Unis et même en Afrique sont favorables à la restriction du cumul des mandats.

En Europe

Nous pouvons citer les cas de l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et la France.

En Allemagne, le règlement de Bundesrat stipule que nul ne peut appartenir à la fois au Bundestag et au Bundesrat (le Conseil fédéral est la représentation des 16 Länder allemands). Certaines Constitutions de Länder prohibent expressément le cumul entre les mandats de député et de membre de l’Assemblée du Land.

En France, deux lois interdisent le cumul de mandats à savoir :

La loi organique n°2014-125 du 14 février 2014 prohibant le cumul de fonctions exécutives locales avec celle de député ou de sénateur ;

La loi n°2014-126 du 14 février 2014 prohibant le cumul de fonctions exécutives locales avec celle de représentant au Parlement européen.

Il ressort de ces lois, que l’interdiction du cumul des mandats entraine de facto l’incompatibilité, tant au niveau national qu’européen.

Aux États-Unis

La Constitution fédérale proscrit le cumul entre plusieurs mandats de nature fédérale. L’article I, section 6, clause 2 précise d’une part que les Sénateurs et les Représentants ne sont pas autorisés à occuper un office civil de l’Union qui aurait été créé pendant leur mandat et d’autre part que les agents des États-Unis doivent abandonner leurs fonctions s’ils sont élus au Congrès.

La quasi-totalité des Constitutions des États fédérés interdisent le cumul des offices publics, notamment le cumul vertical, c’est-à-dire entre un mandat fédéral et un mandat au sein de l’État fédéré.

En Afrique

Au Sénégal, la loi n° 96-11 du 22 mars 1996 interdit le cumul des mandat (article 3 de la loi)  « En cas de cumul de mandats dans les 30 jours, si l’intéressé ne fait pas le choix son dernier mandat électif acquis tombe de plein droit ».

Au Cameroun, la loi interdit la combinaison Député-Maire, Député-Délégué du gouvernement, Député-Président de Conseil d’Administration d’une Société d’État.

La loi du 29 décembre modifiant et complétant certaines dispositions de la loi du 16 décembre 1991 fixant les conditions d’élection des députés à l’Assemblée nationale, en son article 21 nouveau stipule que : « Tout fonctionnaire élu député est de plein droit en position de détachement auprès de l’Assemblée nationale pendant la durée de son mandat ».

Cadre juridique du cumul en Côte d’Ivoire

L’article 46 de la Constitution ivoirienne de novembre 2016 stipule que : « le cumul des mandats est règlementé, dans les conditions fixées par la loi ».

Cette disposition pose le principe de la réglementation du cumul des mandats.

En sus, la Constitution ne prévoit pas la limitation des mandats concernant le mandat du Député (article 86 de la Constitution de novembre 2016) et du Sénateur (article 87 de la Constitution de novembre 2016).

Aussi, l’Ordonnance n° 2018-939 portant modification de l’article 125 de la loi n° 2000-514 du lu août 2000 portant Code électoral, telle que modifiée par les lois n°2012-l 130 du 13 décembre 2012, n° 2012-1193 27 décembre 2012 et n° 2015-216 du 27 avril 2015.

Cette ordonnance lève l’incompatibilité entre la fonction de président de conseil régional et de celle de membre du gouvernement.

En application de ces dispositifs juridiques, les cas de figure de cumuls des mandats, suivants s’observent : le mandat du Député et le mandat de Maire (i) ; le mandat de Maire et la fonction de Ministre (ii) ; la fonction de Ministre et le mandat de Conseil Régional (iii).

En conclusion partielle, un Ministre de la république peut être président du conseil régional en Côte d’Ivoire depuis le 18 décembre 2018.

Le cumul des mandats électifs :

Les fonctions de membre de conseil municipal (y compris, maire et adjoint) ne sont pas cumulables avec les fonctions de membre d’un conseil général (y compris Président de conseil général et membre du Bureau), et ce sans limite territoriale. Il est impossible de cumuler deux mandats électifs locaux. En revanche, un élu local peut exercer les fonctions de député ou les fonctions de ministre. Tout conseiller concerné par une incompatibilité doit faire une déclaration d’option dans les 15 jours. Passé ce délai, il est démis de son mandat ;

Les cas d’incompatibilité se distinguent des cas d’inéligibilité dans la mesure où ils n’interdisent pas de se présenter aux élections. Le candidat concerné peut se présenter mais devra faire un choix entre ses deux fonctions dans les 15 jours. Passé ce délai, il est réputé avoir renoncé aux fonctions de conseiller général. Sont incompatibles avec les fonctions de Conseillers généraux les fonctions de conseiller municipal, de membres du Conseil constitutionnel et des juridiction suprêmes, d’Inspecteur général d’Etat et des inspecteurs d’Etat, de fonctionnaire ou autre agent de l’Etat chargé d’attribution de tutelle des collectivités décentralisées à quelque titre et niveau que ce soit, de membres de la Commission chargée des élections.

Ainsi les fonctions de membre du Conseil Général ne peuvent être cumulées avec celles de membre d’un Conseil Municipal, ni d’un autre Conseil Général. Un membre de Conseil Général n’est pas autorisé à se présenter au poste de conseiller général dans un autre département. En revanche un conseiller municipal peut être élu conseiller régional. Mais il sera alors soumis à une déclaration d’option.

L’incompatibilité entre la fonction de membre de gouvernement et de président de conseil régional a été levée par l’ordonnance de 2018-939 du 18 décembre 2018.

ANALYSE ET REFLEXION SUR LA PRATIQUE DU CUMUL DES MANDATS EN COTE D’IVOIRE

Analyse de la pratique du cumul des mandats

Le préambule de la Constitution de novembre 2016 qui est partie intégrante de la Constitution proclame la détermination du Peuple de Côte d’Ivoire à bâtir un Etat de droit dans lequel les Droits de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine, la justice et la bonne gouvernance telles que définies dans les instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie, (…), sont promus, protégés et garantis.

Le cumul de fonctions exécutives (Ministre, Président du Conseil d’Administration, Directeur Général d’une Administration publique), et d’un mandat législatif (Député, Sénateur) viole la Constitution dans son « principe ».

Le principe de la bonne gouvernance, de la démocratie, de la séparation des pouvoirs fondement de l’Etat de droit est mis à mal par la pratique du cumul des mandats.

En plus, le principe du cumul des mandats contribue à la violation des droits fondamentaux tels que les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux des populations.

Par ailleurs, le 25 juillet 2016, un Atelier de Haut Niveau sur la Gestion Axée sur les Résultats de Développement ouvert à Abidjan sous la Présidence du Premier Ministre Kablan DUNCAN, a réaffirmé la doctrine de la gestion publique de l’Etat de Côte d’Ivoire qui est la gestion transparente des affaires publiques et l’obligation de rendre compte.

Cela montre clairement le choix stratégique de l’Etat de Côte d’Ivoire pour adresser les questions de développement.

Réflexion

L’objectif de toute limitation de mandats est d’éviter une dérive oligarchique du pouvoir. En limitant le nombre de mandats, en règlementant le cumul des mandats, on assure un renouvellement des personnes, des idées, donc de l’offre politique.

Dès lors qu’on limite le nombre de mandats, on évite la tentation courante en politique qui consiste à s’accrocher à son poste. Le non cumul et la limitation de mandats devraient alors permettre d’éviter les dérives clientélistes, la corruption et les enrichissements illicites, et contribuer à réduire la pauvreté des populations.

La limitation du nombre de mandats pourrait aussi assurer une certaine émulation au sein des partis et groupements politiques. Elle peut contribuer à une meilleure articulation des alternances entre le niveau national et régional et partant, renforcer la bonne gouvernance et la démocratie.

In fine, une réglementation plus stricte du cumul de mandats serait de nature à favoriser le renouvellement, des offres, des idées, des élus, tant sur le plan local que national. Il en va de même pour le développement des collectivités territoriales.

Le cumul de mandat va en l’encontre des principes républicains d’éthiques et de déontologie de moralisation et de gestion transparente de la vie publique.

Le cumul est un frein pour la construction démocratique et l’Etat de Droit. Le développement des localités étant intimement lié à la bonne gouvernance. Par voie de conséquence, les citoyens doivent s’engager contre le cumul des mandats.

Pour l’atteinte de l’objectif de développement, tant, au plan national qu’au niveau des collectivités territoriales, Il est impérieux que des réformes vigoureuses et courageuses soient faites relativement au cumul et à la limitation des mandats.

Par CIVIS Côte d’Ivoire

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