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[Côte d’Ivoire Enquête] Sur les traces des “crimes” des lycéens autoproclamés chasseurs de sorciers à Logoualé (1ère partie)


-Des instigateurs présumés connus, l’affaire pendante devant le tribunal de Man

Des chasseurs de sorciers? Il faut se rendre à Logoualé pour les découvrir. Cette pratique qui prend de plus de plus de l’ampleur est commise par des élèves et des responsables de jeunesse de village. Et surtout, prendre toutes les mesures effroyables et effrayantes de leur violence sans limite et gratuite et jusque-là impunie qui se déroule au lycée moderne, Lambert Dan Zoumanan de Logoualé. Une contrée située à 570 km d’Abidjan et à 30 km de Man. Enquête sur un triste passé récent que les populations tentent de pardonner sans jamais oublier.

Oulaï Gba Christophe (en chapeau) garde encore plus d’une vingtaine de photos accablantes comme preuve des faits.

Faut-il s’alarmer d’une pratique qui semble n’inquiéter personne? Ces élèves dont l’âge varie entre 12 et 18 ans, armés de gourdins, de barres de fer, de machettes, d’armes blanches et de pierres ont sévi ces dernières années dans les villages de Koulinlé, Ziogouiné et Dioulé dans la sous-préfecture de Logoualé.

Les faits chiffrés parlent d’eux-mêmes. En effet, de mai 2015 à février 2017, trois familles endeuillées (ayant perdu un élève) de ces villages, accusés par les élèves d’avoir donné la mort à l’un des leurs, ont fait les frais de ces gamins.

Des maisons calcinées ou entièrement saccagés par-ci: des élèves du lycée moderne, Lambert Dan Zoumanan de Logoualé, signent leur passage.  Des toits décoiffés par-là, de la volaille et du bétail emportés, des personnes bastonnées: ces gamins n’ont pas de limite… Et, longues est la liste des dégâts causés par cette furia.

La grande propension des crimes des élèves autoproclamés chasseurs de sorciers a pris forme en 2015, au quartier Trogbadeu de Koulinlé, village de situé à plus de 5 km de Logoualé. C’était le lundi 16 mai 2015, lors des obsèques de Gueu Bombardé Christian, élève en classe de 3ème au lycée moderne Lambert Dan Zoumanan de ladite ville.

L’une des photos des dégâts présentées par la famille du défunt à Koulinlé

Les dégâts causés par les élèves se racontent avec beaucoup d’angoisses. Le chef central de la famille endeuillée, Oulaï Gba Christophe garde encore plus d’une vingtaine de photos accablantes comme preuve des faits.  M. Loua Droh Tiémoko, membre du comité des jeunes en garde un triste souvenir : « J’ai été ligoté par ‘’mes propres enfants’’ pour avoir voulu ouvrir la bouche et leur parler.»

Dame Oulaï Madeleine, l’une des victimes en garde encore les séquelles. Rencontrée dans le véhicule qui la transportait pour se rendre au marché, elle a encore du mal à oublier ce passé douloureux. Dans le village, chaque habitant veut témoigner sur ces actes de vandalisme qu’il juge ‘’surprenants.’’

Deux ans après, les stigmates sont encore visibles dans le village, particulièrement dans le quartier où les obsèques se sont tenues. À Koulinlé, les victimes ont pardonné et ont évité de porter plainte. « Les gendarmes sont venus enquêter, la direction du lycée a dépêché des enseignants pour nous apporter leur compassion. Pour nous, l’essentiel est fait », témoigne le chef central de la famille.

À en croire le proviseur « Chaque fois que le lycée est saisi du décès d’un élève, nous dépêchons des membres de l’administration pour présenter les compassions de l’établissement. » Par ailleurs, précise-t-il « Les émissaires du Lycée n’ont pas été saisis d’un quelconque cas de trouble à Koulinlé». Conséquence du mutisme des populations du village sur l’affaire, l’établissement n’a mené aucune enquête, encore moins produit un document en rapport avec les troubles. Et “les criminels” se croient tout permis et courent toujours.

Dioulé et de Ziogouiné : des présumés instigateurs connus, l’affaire pendante devant le tribunal de Man. Deux ans plus tard, les fauteurs de troubles remettent le couvert, cette fois à Ziogouiné et Dioulé, dans deux autres localités située respectivement, à environ 20 km et 7 km de Logoualé. C’était lors des obsèques le 5 février 2017, de l’élève, Ruth Gonsan, inscrite au CM2, à l’EPP de Ziogouiné et Dika Bleu Marcel, élève en classe de 1ère au lycée moderne, Lambert Dan Zoumanan, le mardi 7 février 2017.

À Ziogouiné, Bih Robert (sur la photo), Oulaï Thiémoko et le père de la gamine, Oulaï Gonsan Antoine (famille de la défunte), ont porté plainte contre le président des jeunes Blondé Mayéré

À Ziogouiné, ce jour-là au quartier, Bomboualeu et, particulièrement dans la cour de la famille éplorée, des cas de vandalisme et pillage ont été perpétrés. Les décombres des cases détruites et des toits décoiffés donnent encore un visage désolant à cette partie du village. Malgré tout, aucun témoignage n’a été enregistré, sur des cas de vol de volaille, de bétail, mais plutôt des biens pécuniaires et matériels. « Quand nous avons fui pour nous réfugier en brousse, les jeunes en ont profité pour voler nos biens. Raison pour laquelle la famille a porté plainte au Tribunal de première instance de Man »,  révèle le parent de la défunte, Bih Robert, dont la plainte vise le président des jeunes du village, Blondé Mayéré.

Le chef de canton, Bleu Saho Diomandé, présent aux obsèques, révèle la présence des élèves arrivés plus tôt que prévu pour le congé de février. « Des collégiens qui étaient au village, quelques jours avant le congé de février et d’autres jeunes du village ont commencé à lancer des projectiles. A partir de cet instant, j’ai été exfiltré », témoigne le garant de la tradition.

La plainte de Bih Robert

Par ailleurs, informée du programme des obsèques, la direction de l’école primaire a dépêché des enseignants pour encadrer les écoliers pour l’enterrement de Ruth Gonsan. « Des consignes de discipline ont été données aux élèves au drapeau, le lundi 6 février, ces directives ont été respectées par les enfants. Ils ont été accompagnés par des enseignants, et aucun incident n’a été signalé en leur présence», témoignent les enseignants, Kouassi Koffi Mathias et Yéboué Kouadio Serge Crépin, respectivement instituteur en classe de CMI et CE1, qui ont encadré les écoliers.

Dans cette confusion, Bih Robert, Oulaï Thiémoko et le père de la gamine, Oulaï Gonsan Antoine (famille de la défunte), ont porté plainte contre le président des jeunes Blondé Mayéré, ainsi que toute la jeunesse du village, de ‘’nationalité ivoirienne’’, le 21 mars 2017, au Tribunal de première instance de Man pour « violence et voie de faits, coups et blessures, destruction de biens d’autrui. » Elle porte, entre autres, sur le vol de 5 sacs de cacao et la somme de 120.000 FCFA. La jeunesse est citée dans l’affaire de chasseurs de sorciers, qui se termine par des casses, vols et pillages.

Sériba Koné envoyé spécial à Logoualé

kone.seriba67@gmail.com

Encadré

Et si la guerre de 2002 était la vraie cause ?

Après avoir bravé les pistes des hameaux les plus proches ou les plus reculés de Logoualé, chef-lieu de sous-préfecture depuis 1966, érigé en commune en 1985, nous sommes interpellés par la porte d’entrée du pays Dan : Logoualé. Pourquoi cette violence de la part de la jeunesse et des élèves dont l’âge tourne autour de 18 ans, en particulier ? La guerre de 2002 ne peut-elle pas être l’une des causes de cette barbarie humaine ?

La réponse des actes perpétrés, dans cette partie de l’ouest de la Côte d’Ivoire, peut trouver un début de solution. En effet, les enfants qui avaient l’âge de 10 ans au moment du déclenchement de la guerre ont à ce jour, 25 ans. Ceux-là ont vécu les atrocités de cette guerre qui a fait officiellement 3000 morts pendant la crise postélectorale. Reste à savoir si certains d’entre n’ont pas été témoins des atrocités commis dans cette partie du pays.

Quant à ceux qui sont nés en 2002, ils ont 17 ans. Ils n’ont pas vécu la guerre, mais ils sont les témoins privilégiés de la crise postélectorale. Cela ne saurait être une excuse, au moment où toutes les institutions sont en place. Cependant, une réflexion mérite d’être faite. Pourquoi pas un séminaire dont les conclusions serviront à des ONG ?

Que ce soient les élèves ou les responsables de jeunesse des villages, ces deux entités ont enregistré et emmagasiné dans leur esprit la violence. Le directeur régional de l’éducation nationale et de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle de Man, Kouakou Kra propose que ces actes de violence se règlent par la sensibilisation. « Que tous ceux qui ont encore une influence sur cette jeunesse (chefs coutumiers, cadres, élus, société civile…) fassent l’effort de les soutenir moralement », indique-t-il.

Par ailleurs, depuis des lustres, les us et coutumes ont toujours mystifié un corps au point où, pour un enterrement, les femmes et les enfants étaient enfermés au moment du transfert du défunt au cimetière.

Pourquoi aujourd’hui cette démystification ? Pourquoi les adolescents n’ont-ils plus peur des dépouilles au point où, ils les inhument eux-mêmes ? Il y a donc un travail de remoralisation à faire, pour éviter le pire. Et pour cause, avec les réseaux sociaux,  les informations audiovisuelles il ne se passe de jour sans que la violence refasse surface.

Avec des attaques djihadistes, des images qui renvoient la violence plaquée dans le moi intérieur de cette jeunesse, il est à craindre que son esprit soit quotidiennement hanté par ces scènes de violences et les obscénités. « Ce qui est capté par l’esprit est difficile à effacer », indique le secrétaire général de la  Drenetfp, Ouguin Bertin. La solution à cette montée de la violence dans cette partie de la Côte d’Ivoire, des cas de barbaries sont signalées.

Sériba K.

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