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Côte d’Ivoire : Blé Goudé avec Gbagbo à la CPI, sa vie derrière les barreaux


Face à la Cour, il a repris du poil de la bête. Pas question de porter la responsabilité du naufrage de la Côte d’Ivoire en 2011. À La Haye, l’ancien « général de la rue » Charles Blé Goudé a tout le temps de préparer sa défense. Et de converser avec Laurent Gbagbo, son mentor déchu.

 Dans sa cellule de 10 m2 du quartier VIP de la prison de Scheveningen, Charles Blé Goudé commence à trouver le temps long. « L’ennui et la routine » sont ses nouveaux ennemis, confesse l’ancien bouillonnant leader des Jeunes patriotes ivoiriens (une appellation que l’intéressé et ses avocats contestent aujourd’hui vigoureusement), détenu aux Pays-Bas depuis le 22 mars.

La prison pourtant, il connaît. À huit reprises déjà, il s’est retrouvé derrière les barreaux. Cela remonte au tournant des années 1990, quand son engagement syndical et ses activités au sein de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) lui avaient valu les foudres de la justice de son pays. Henri Konan Bédié était au pouvoir, Charles Blé Goudé n’avait pas encore gagné le surnom de « Blé la machette », et la CPI ne le soupçonnait pas d’être le « coauteur indirect » de quatre crimes (meurtres, viols, actes de persécution et autres actes inhumains) relevant tous du crime contre l’humanité dans une Côte d’Ivoire endeuillée par la crise postélectorale.

Charles Blé Goudé, 42 ans, essaie maintenant de prendre son mal en patience. « Je suis seul face à moi-même. Ceux qui pensaient me faire du mal me donnent l’occasion de vivre une expérience enrichissante », ose-t-il. Un culot qu’il affichait déjà le 27 mars, lors de sa première comparution. « Je suis content d’être là […] pour que la vérité soit sue et que cessent les rumeurs. Je sais que je repartirai chez moi », lançait-il à la Cour. Ce jour-là, impeccablement sanglé dans un costume sombre, il avait retrouvé ces accents et cette rhétorique qui avaient su électriser les foules à Abidjan. Avait-il tremblé avant, dans le huis clos de sa cellule, à l’idée d’affronter les magistrats ? Non, dira-t-il plus tard, affirmant même avoir ressenti, après sa prière du matin, une certaine paix intérieure à l’idée de pouvoir enfin faire face à la procureure, Fatou Bensouda : « Ce jour-là, mon corps était si léger que même en prison je me suis senti libre. »

Depuis, l’excitation est retombée, et les semaines s’étirent, interminables. À Scheveningen, Charles Blé Goudé reçoit quelques visites (sa compagne, des membres de sa famille, des amis), cite Jean-Paul Sartre (« l’existence précède l’essence », a-t-il un jour étonnement déclaré, en conclusion d’une discussion sur son exil au Ghana) et paraphrase Nelson Mandela, dont il dévore les écrits (en ce moment, il est plongé dans Conversation avec moi-même, où il dit puiser « force et ténacité »). Blé Goudé lit beaucoup : des ouvrages juridiques, des essais sur l’histoire de l’Afrique, des précis de communication politique (il ne souhaite pas en dire plus « de peur qu’on [le] lise [lui-même] à travers [ses] lectures ») et la Bible, surtout la Bible, parce qu’elle lui « procure la force de tenir et de combattre ».

Lui qui a mis tant de temps à obtenir sa licence d’anglais veut même s’inscrire aux cours en ligne proposés aux détenus. Il tente aussi de s’initier aux austères procédures de la CPI et se plonge régulièrement dans les arcanes de son épais dossier. Deux fois par semaine, il reçoit la visite de l’assistante juridique de son principal avocat, l’Israélien Nick Kaufman, un ancien du bureau du procureur de la CPI. Chaque jour ou presque, il s’entretient par téléphone avec son ami et médecin personnel, Patrice Saraka – des conversations qui sont toutes soigneusement enregistrées par la CPI.

Blé Goudé un « traître » en exil

Comme autrefois à Abidjan, Blé Goudé joue au football. Chaque dimanche, après la messe, « pour se maintenir en forme et supporter le stress ». Il court derrière le ballon avec ses codétenus, qui sont, explique Blé Goudé, « [sa] nouvelle famille » : « Nous partageons nos joies et nos peines, nous cuisinons et prenons nos repas ensemble. C’est tous pour un et un pour tous ! »

Et puis il y a bien sûr Laurent Gbagbo, que Blé Goudé a retrouvé à La Haye. Autrefois très proches, les deux hommes ne s’étaient pas vus depuis le 29 mars 2011, à Abidjan. C’était quelques jours avant que l’ancien président ivoirien ne soit arrêté. Quelques jours aussi avant que Blé Goudé ne s’enfuie au Ghana. Le 5 avril 2011, ils avaient encore échangé quelques mots par l’entremise de Michel, le fils de Laurent Gbagbo. Mais depuis, plus rien. C’est donc presque avec émotion que Blé Goudé évoque les retrouvailles, le 28 mars, avec celui dont il dit qu’il était « une mère poule » pour les Ivoiriens.

À Abidjan, certains membres du Front populaire ivoirien (FPI, ancien parti présidentiel) n’ont pas apprécié que Blé Goudé choisisse l’exil, allant jusqu’à le qualifier de « traître », mais l’intéressé assure que Gbagbo ne lui en a pas tenu rigueur. « Le Laurent Gbagbo que j’ai retrouvé ne m’a pas du tout privé de la générosité humaine qu’on lui connaît », confie-t-il avec ce phrasé si particulier. Un ancien conseiller de Gbagbo confirme : « Il n’y a chez lui ni rancœur ni esprit de vengeance. » « C’est une chance pour Blé Goudé d’avoir retrouvé son père », renchérit Gervais Coulibaly, un ancien porte-parole de Laurent Gbagbo.

Jeune Afrique

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