Affrontements agriculteurs-éleveurs : De Kigali à Bouna/ Pourquoi les journalistes ne doivent pas présenter le conflit comme étant identitaire ou intercommunautaire #médias
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Abidjan, 26-03-16 (lepointsur.com)-Revu de presse : Abidjan (Côte d’Ivoire) – La nouvelle conséquence provisoire des affrontements survenus, jeudi, à Bouna (Nord-est) entre éleveurs Peuls (allogènes) et agriculteurs Lobi (autochtones) fait état de 17 morts et 39 blessés, a appris APA de source officielle. http://news.abidjan.net/h/587038.html (consulté le 25/03/2016)
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Cette dépêche au-delà de la lourde conséquence, fait des amalgames en inadéquation brutale avec la réalité des faits qui sont bien entendu d’une extrême gravité. Après avoir démontré pourquoi, nous ferons des propositions pour la prévention des conflits agriculteurs-éleveurs.
Rappel
Les affrontements agriculteurs-éleveurs ne datent pas d’aujourd’hui. Le premier conflit important entre agriculteurs-éleveurs remonte à 1974. Il eut lieu entre Boundiali et Tingrela. Son ampleur fut telle qu’elle motiva la visite du chef de l’État du 18 au 30 mars 1975 et déboucha sur la création de l’opération « zébu » au sein de la SODEPRA, dont l’objectif fut d’étendre l’encadrement à l’élevage peul afin d’en susciter la sédentarisation.
A partir des missions menées dans plusieurs localités (Béoumi, Sakassou, Bouaké Ferké, Boundiali et Korhogo) de 2008-2010, il ressort plusieurs points qui méritent d’être discutés. Des témoignages recueillis auprès des parties prenantes ont montré que les conflits dans ces régions sont dus aux perturbations climatiques, à la poussée démographique, à la pression foncière, à l’arrivée brusque et massive des troupeaux dans une région à tradition agricole et la mauvaise gestion de ces conflits du fait de l’application de la loi.
Erreurs de communication et escalade des conflictuels
Les conflits agriculteurs-éleveurs ne sont pas spécifiques à la Côte d’Ivoire. Le Burkina (environ 4000 conflits agriculteurs / éleveurs entre 2005 et 2011), Le Niger, le Rwanda, le Ghana, la Guinée, le Nigeria, le Mali, le Sénégal, le Tchad… connaissent ce type de conflit. Le danger c’est lorsqu’on le présente comme un conflit identitaire ou intercommunautaires.
Pour le cas le plus récent à Bouna, le conflit est lié à la profession agriculteurs- éleveurs et non à leur identité ethnique (Peuhl-Lobi). A l’aspect des conflits interindividuels ou interprofessionnels s’oppose la typologie des heurts inter-ethniques ou identitaires. Présenter le conflit sous forme identitaire est dévastateur.
Au Rwanda par exemple les Tutsi sont propriétaires de troupeaux, (éleveurs) et les Hutu sont paysans (agriculteurs); on connait l’ampleur des pertes avec l’amalgame identitaire.
Ces conflits mortels se sont inscrits dans un cycle infernal où, malheureusement, les agriculteurs et les éleveurs, eux-mêmes, n’arrivent plus à échapper aux entraînements de leur passion identitaires. Or, « dès qu’un sentiment s’exagère, la faculté de raisonner disparaît».
Que ce soit en Côte d’Ivoire comme ailleurs, étant donné que l’intégration de l’élevage à l’agriculture s’accompagne d’un certain nombre de conflits résultant des rapports particuliers entre bouviers et propriétaires de bétail et entre éleveurs et agriculteurs pour l’accès au foncier, il convient de déterminer le type de conflit avant toute intervention.
Est-ce un conflit intra personnel, interpersonnel, intra-groupe ou intergroupe. Aussi vrai qu’une castration n’est pas une circoncision bien qu’étant tous les deux des opérations en médecine, un conflit inter- individuel (agriculteurs-éleveurs) n’est pas un conflit inter-ethnique (Lobis et Peulhs). Quelle seraient les conséquences si un médecin confondait une circoncision et une castration ?
Paradoxe des méthodes régaliennes de règlement des conflits
En Côte d’Ivoire, il existe un cadre pour la conciliation des conflits. Mais, ces dispositions semblent être curatives et non préventives et paradoxalement des circonstances aggravantes.
En effet, la loi qui réglemente la transhumance est largement dépassée par les contraintes écologiques et par l’évolution des mouvements des populations et des animaux.
En cas de conflit, les protagonistes ont recours à divers modes de règlement des litiges, comme le règlement par consensus entre les deux parties ; le règlement au niveau des chefs traditionnels (village, canton) ; le règlement au niveau de la sous-préfecture ou de la brigade de gendarmerie ; le règlement au niveau de la justice ; le règlement au niveau des comités d’entente et de dialogue mis en place par les protagonistes ou par les autorités administratives.
Argumentation dans les conflits entre agriculteurs et éleveurs
Lors du règlement d’un tel conflit, l’argument qui est le plus souvent avancé par les agriculteurs est que «le champ n’a pas de pied, c’est l’animal qui se déplace». Cet argument paraît si vraisemblable qu’il ne permet pas d’emblée de débouter l’agriculteur de sa plainte. Car, le fait que le champ soit immobile, et l’animal mobile apparaît comme une évidence ou une vérité irréfutable.
Pour les cas de règlement auprès de la Commission sous-préfectorale, l’évaluation est effectuée par un agent technique de l’agriculture qui établit un procès-verbal après constat des dégâts en présence des protagonistes. La charge revient au sous-préfet, en qualité de président de la commission, de fixer la somme à payer par l’accusé. Cette somme comprend les frais de déplacement de l’agent technique préalablement payés par le plaignant.
L’évaluation des dégâts par l’agent technique de l’agriculture repose sur des critères dits objectifs qui prennent en compte la surface endommagée, la culture concernée, la taille des plantes, la production qu’aurait donnée la surface endommagée, le prix de vente au kilogramme de la culture sur le marché.
Selon un agent de l’agriculture à Sakassou en 2009 « chaque butte d’igname détruite est évaluée à 500 FCFA ». Par exemple pour 100 buttes d’igname détruites les dommages sont estimés à 50.000 FCFA or un bœuf tué est estimé à au moins 200.000 FCFA.
Conséquences
Lors des confrontations devant les autorités administratives, les éleveurs sont « plus à l’aise » et montre une certaine « désinvolture » puisque privilégies par la loi, car il est plus facile pour l’éleveur de payer les 50.000 à l’agriculteur et difficile pour l’agriculteur de payer 200.000 à l’éleveur en cas de mort d’un bœuf.
A Boundiali (100 km de Korhogo) un paysan nous a confié ceci : « un jour, un éleveur est venu me proposer 60.000 FCFA pour que ses bœufs broutent dans mon champs de sorgho car ceux-ci étaient affamés. Et que même en cas de « destruction accidentelle » et de saisine des autorités, l’agriculteur ne serait pas dédommagé à ce prix ».
Ce témoignage peut être la face visible d’un iceberg de causes de la résurgence des conflits agriculteurs/ éleveurs.
Proposition de dispositions législatives
Aussi faisons-nous les propositions suivantes :
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L’actualisation des barèmes d’indemnisation. Fixer le cout unitaire d’une récolte détruite à 200.000 FCFA au lieu de 500 FCFA selon l’ancien barème. Cette mesure à première vue excessive aura un effet de dissuasion et de prévention. (urgent et prioritaire) ;
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Faire une large diffusion de cette nouvelle loi auprès des autorités administratives et coutumières à travers les media de proximité ;
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L’application stricte des dispositions en rapport avec le passeport du bétail, la connaissance des propriétaires d’animaux (recensement, marquage progressif des animaux). (urgent et prioritaire) ;
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Développer des mécanismes d’agri-business incluant les éleveurs et les agriculteurs ;
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La formation, la sensibilisation la restructuration des commissions coutumière sous-préfectorales et préfectorales de règlement des conflits au vue des enjeux économique et dentaires et sécuritaires des conflits. (urgent et prioritaire) ;
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Doter chaque CHR et CHU d’un hélicoptère médicalisé pour la prise en charge des blessés graves (urgent et prioritaire) ;
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L’instauration d’un calendrier agro-pastoral réglementant le déplacement des troupeaux dans les périodes de cultures et de protection des récoltes, et ;
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Mettre en place un système national d’alerte précoce incluant toute les parties avec un programme d’activé annuel intégré et participatif.
Au vue des défis présents et futurs, il urge de passer d’une culture de la réaction à une culture de la prévention. La consolidation des acquis pour le développement est à ce prix. Avant de passer à l’action, nous devons faire la différence entre les personnes et les problèmes. Nous devons être des forces de proposition par anticipation grâce à la compréhension par une capacité dialectique pour éviter une fracture sociale. Que nous soyons engagés n’est pas le problème. Mais que les modalités de notre engagement ne nuisent pas à la société et permettent aux hommes d’avancer ensemble en redéfinissant sans cesse les normes et les bornes de notre société.
Le monde ne nous jugera pas sur la gravité de nos problèmes mais sur notre capacité à les surmonter.
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Dr. GNAPIA Eddy Brice
Consultant-Formateur en Gestion et Prévention des Crises
Enseignant-Chercheur à l’INP-HB de Yamoussoukro
+225 05 72 04 96 / 08 70 25 78
winactions@yahoo.com
NB : Le titre est de la rédaction
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