Université d’Abidjan : Du baraquement provisoire au monument ?
lepointsur.com (Abidjan, le 5-5-2015) Université FHB d’Abidjan – Photo du haut : entrée principale de l’université – Photo du bas : façade de la présidence de l’université en train d’être réhabilitéeAu-delà des considérations partisanes, il faut constater en toute objectivité que l’Université Félix Houphouët-Boigny (ex Université de Cocody), à l’image des autres universités, a une belle apparence après sa réhabilitation.
L’Université de Côte d’Ivoire qui était un monument à sa création est devenu un baraquement provisoire depuis les années 90. En effet, depuis deux décennies, un baraquement provisoire qui servait de système académique ne permettait ni aux étudiants ni aux enseignants de maximiser leurs compétences : aucune programmation rigoureuse, des amphithéâtres touffus, les travaux dirigés (TD) étaient devenus des cours magistraux, les années académiques duraient au moins 17 mois au lieu de 9 mois et les années invalidées de fait étaient devenues une institution par défaut. Résultats de ce désordre organisé : formation au rabais, diplômes dévalués, clochardisation intellectuelle, vision misérabiliste de l’étudiant.
A la faveur de la crise postélectorale, les universités ont été fermées pour réhabilitation. Toutefois, nous devons retenir que l’université est un système. Dans un système, le comportement de chaque élément de l’ensemble peut influencer sur le comportement de l’ensemble. Tout sous-ensemble d’éléments d’un système peut influer sur la performance de celui-ci, mais aucun ne peut exercer sur lui un effet indépendant.
Pour faire simple, disons que le système académique est composé d’enseignants, d’étudiants, des infrastructures, et ne peut être divisé en partie ayant des effets indépendants sur l’ensemble. C’est la raison pour laquelle la performance d’un système n’est pas égale à la somme des performances de ces différentes parties prises séparément ; elle dépend de leur interaction.
En d’autres termes, on peut avoir les universités réhabilitées, un personnel administratif motivé et des enseignants dont les compétences sont universellement reconnues [ainsi que] des étudiants consciencieux mais on peut toujours avoir des années en dents de scie ou des années invalidées de fait. En clair, les meilleurs éléments ne font pas les meilleurs systèmes. Pour être efficace, la gestion de l’université doit être synthétique ou globale, concentrée sur les interactions de tous les éléments qui constituent le système, plutôt qu’analytique ; centrée sur l’action des parties prises séparément. Comment y parvenir ?
Pour rappel, selon les normes de l’Unesco, une année académique normale dure 9 mois et il faut un enseignant pour 25 étudiants pour que l’encadrement soit efficace. Donc si on veut normaliser le système universitaire, il faut savoir quand on commence et quand on fini parce que le temps ne s’arrête pas et les bacheliers continuent de frapper aux portes de l’université chaque 9 mois. On ne peut pas résoudre durablement le problème si les repères spatio-temporels du système éducatif sont brouillés. C’est une question de planification stratégique. Il faut planifier sinon, nous risquons d’avoir l’effet contraire du résultat recherché c’est-à-dire “un embouteillage académique”.
Plus que jamais, tous ceux qui aspirent au changement tiennent dans leurs mains la possibilité de refuser que l’Université ne soit une éclipse en plein jour mais plutôt une étoile dans la nuit ; un repère, une boussole pour la société. Ainsi, pour rester constructif, en complément aux recommandations du séminaire dans la perspective d’une rentrée universitaire 2012-2013 réussie et apaisée qui s’est tenu à Grand Bassam le 13 août 2012, nous proposons entre autre, la création d’un Centre Universitaire pour la Formation Doctorale (CUFD). Pourquoi ?
Chaque année, nous déplorons le manque d’enseignants, ce qui est tout à fait légitime. Mais ma question est celle-ci : pour enseigner du CP1 au CM2 on se forme au CAFOP. Pour enseigner de la 6è à la terminale on se forme à l’ENS, mais où va-t-on se former pour enseigner à l’Université ?
On peut répondre qu’il faut avoir au moins le doctorat (BAC + 7) et je souscris entièrement à cette idée car il ne faut pas désacraliser l’enseignement supérieur.
Toutefois, dans cet environnement touffu, avec un encadrement au rabais, les années invalidées à répétition, les perturbations académiques, le BAC + 7 a-t-il toujours son sens ? A l’évidence non, car un étudiant peut passer 7 années à l’université sans avoir la licence. Dans ce contexte aussi aléatoire que mouvant, il convient de “sécuriser” le renouvellement des ressources humaines pour revitaliser le système en élaborant un parcours scientifique capable d’assurer la relève. D’où la création d’un Centre Universitaire pour la Formation Doctorale (CUFP).
La vocation de ce centre sera de former les étudiants titulaires d’un Master qui veulent embrasser la carrière d’enseignant à l’Université. Le CUFD sera animé par les enseignants en activité ou à la retraite (l’actuelle ASCAD peut servir de base de réflexion). Il sera doté d’un budget spécial et prioritaire car il y va de la survie du système académique. Aujourd’hui, nous avons 1800 enseignants-chercheurs pour 66 500 étudiants. On aurait du avoir 2660 au lieu de 1800 soit un déficit de 860 enseignants. La vocation du CUFD sera de former les futurs enseignants du supérieur pour vite combler le déficit.
Pour clore mes propos, le retour à la normalité académique bien qu’une nécessité est un défi lancé aux intellectuels. En Côte d’Ivoire, il est légitime de constater que l’éducation est le parent pauvre des combats. Or la paix et la démocratie, préalables à tout développement que l’Afrique appelle de tous ses vœux, intègre les notions de droits de l’homme, de bonne gouvernance, de développement durable, de société civile…, et l’éducation est la voie royale pour véhiculer et renforcer ces concepts universels.
Nous faisons partie du cercle international où le phénomène de compétition commande de se remettre en cause, de reculer les bornes pour donner une nouvelle direction dans laquelle tout le monde s’engagera dans un climat de paix, si non, nous repartirons du monument au baraquement provisoire…
Eddy Brice Gnapia
05/09/2012 pour Pensées Noires
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