Trois ministres étrangers dans le nouveau gouvernement en Ukraine
Plus d’un mois après les élections législatives du 26 octobre, l’Ukraine s’est offert, mardi 2 décembre, une nouvelle équipe gouvernementale. Quand bien même la plupart des ministres importants sont reconduits, ainsi que le premier d’entre eux, Arsenii Iatseniouk, la répartition des portefeuilles a donné lieu à de difficiles tractations entre les cinq partis de la coalition proeuropéenne qui avait dominé le scrutin.
Cette équipe comporte une surprise de taille et une nouveauté : trois étrangers y prennent des responsabilités de premier ordre. Le ministère des finances est attribué à Natalia Iaresko, ressortissante américaine d’origine ukrainienne, qui a fait une partie de sa carrière au département d’Etat, le ministère des affaires étrangères américain, avant de travailler dans le privé. Un Lituanien, Aïvaras Arbomavitchous, ancien champion de basket mais surtout dirigeant de la filiale kiévienne du fonds d’investissement East Capital, est nommé à l’économie. Enfin Sandro Kvitachvili, ancien ministre géorgien de la santé et du travail, prend le ministère de la santé, un poste important tant le système de santé ukrainien est miné par la corruption.
Ces trois entrées détonnantes sont une initiative du président Porochenko, qui a réservé aux « étrangers », comme les désigne déjà la presse ukrainienne, une partie des postes qui revenaient à son parti. Les décrets de naturalisation ont été pris en urgence, mardi.
« UN TECHNOCRATE ÉLOIGNÉ DES FORCES POLITIQUES »
En fin de semaine passée, en émettant le souhait qu’un étranger prenne la tête du nouveau Bureau anticorruption, M. Porochenko expliquait : « Cette personne aura un avantage : l’absence de liens avec l’élite politique ukrainienne. Cette personne ne sera pas le parrain de l’enfant d’un autre, ou de sa belle-famille, ou le frère d’un autre… Ce sera un technocrate éloigné des forces politiques, à qui nous pouvons tous faire confiance et qui pourra faire preuve d’efficacité. »
L’argument ne traduit pas seulement la méfiance persistante envers les pratiques du personnel politique ukrainien. Il doit aussi sonner doux aux oreilles des partenaires occidentaux de l’Ukraine et de ses bailleurs, qui s’inquiètent de la situation catastrophique des finances du pays et de la lenteur des réformes. « Natalia aura pour mission de nous faire survivre à l’année 2015, et de nous faire repartir en 2016 », a dit M. Iatseniouk en défendant son équipe devant les députés.
La manœuvre n’est sans doute pas tout à fait légale, la loi ukrainienne interdisant d’accorder la double nationalité, mais les responsables ukrainiens ont pour l’heure l’air de peu s’en soucier, et devraient même aller plus loin lors de l’attribution à venir des postes de vices-ministres. Le chef de la Commission de la citoyenneté a confié à des journalistes que sept dossiers de naturalisation étaient en cours.
Un nom prestigieux circule dans les coulisses de la Rada pour prendre la direction du Bureau anticorruption, celui de Mikheïl Saakachvili, qui était à Kiev lundi. L’ancien président géorgien (2008-2013), poursuivi par la justice dans son pays et dont le New York Times a raconté le triste exil américain, est un compagnon de route de la révolution de Maïdan depuis ses débuts. Les réformes radicales prises en Géorgie après la révolution des roses, socialement coûteuses mais d’une efficacité impressionnantes, exercent une certaine fascination sur les nouveaux responsables ukrainiens.
UN « CONTRE-POUVOIR AU PREMIER MINISTRE »
La composition du cabinet a aussi fait l’objet d’âpres tractations, plus habituelles pour la scène politique ukrainienne, jusque dans la nuit de lundi à mardi. Le choix fait par MM. Porochenko et Iatseniouk de bâtir une coalition le plus large possible a rendu d’autant plus difficile la répartition des portefeuilles. Des formations assez disparates s’y côtoient, depuis le Parti radical du populiste Oleh Liachko jusqu’aux réformateurs de Samopomitch, en passant par la formation de la vétérane Ioulia Timochenko.
Mais c’est entre le président et son chef du gouvernement que les premières tensions se sont faites jour. Dès avant le scrutin du 26 octobre, la reconduction au poste de premier ministre de M. Iatseniouk, apprécié des Occidentaux et populaire dans le pays, ne faisait guère de doute. Mais son bon score lors des élections (22,17 % contre 21,81 % au Bloc Petro Porochenko) a compliqué la donne au sein du duo dirigeant.
« Il ne s’agit pas seulement d’une lutte pour le leadership, explique Ioulia Shukan, maître de conférences à l’université Paris Ouest-Nanterre-la Défense. Des désaccords sont déjà apparus quant à la façon de conduire les réformes. Les étrangers du gouvernement, recrutés par M. Porochenko, vont d’ailleurs occuper un large pôle économique qui va servir de contre-pouvoir au premier ministre dans un domaine qui lui était jusque-là réservé. »
Par ailleurs, le jour où l’Ukraine renouait avec les intrigues politiques, une nouvelle trêve semble avoir été négociée dans l’est du pays en guerre, dans un format surprenant associant un général ukrainien, un général russe, les séparatistes locaux et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Un porte-parole militaire à Kiev a assuré ne pas être au courant de cette initiative qui prévoit une cessation des combats le 5 décembre dans les zones les plus disputées des régions de Lougansk et de Donetsk, et notamment l’aéroport de cette ville. L’accord prévoirait aussi la création d’une « zone tampon » entre les deux camps, soit des conditions similaires au cessez-le-feu signé le 5 septembre à Minsk, en Biélorussie, et qui n’avait été que très partiellement respecté.
LeMonde
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