[Tribune] Chef•fe•s d’État, à quand des réponses féministes face au Covid-19 en Afrique de l’Ouest ?
Abidjan, 06-07-2020 (lepointsur.com) Demain, les chef·fe·s d’Etat du monde entier devaient se retrouver à Paris pour le Forum Génération Égalité afin de célébrer les vingt-cinq ans de la Conférence de Pékin, tournant historique pour les droits des femmes au niveau mondial. Ce Forum avait pour objectif de “lancer un ensemble d’actions concrètes, ambitieuses et transformatrices” en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Forum est logiquement reporté d’un an en raison de la crise sanitaire. Mais, d’ici à l’été 2021, les Etats ne doivent pas se démobiliser, bien au contraire, car ces enjeux, à l’épreuve de la crise du Covid-19, apparaissent encore plus pertinents, notamment en Afrique.
Même si le continent africain semble relativement épargné par la vague du virus, évitant l’“hécatombe” annoncée, cette crise, comme toutes les autres crises sanitaires, a des conséquences disproportionnées sur les femmes et les filles.
Nous, activistes féministes d’Afrique francophone, sommes à la fois actrices de la lutte contre le Covid-19, dans la prévention et la prise en charge sociales et sanitaires, et observatrices directes des situations alarmantes vécues par les femmes et les filles. Nous avons pris part à une enquête lancée par Equipop auprès d’une trentaine d’organisations dans sept pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger et Sénégal), afin de documenter les impacts de la crise. Voici notre analyse.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : “à l’échelle mondiale, 70 % des personnels de santé et des travailleurs sociaux sont des femmes”
La crise a exacerbé des situations inégalitaires à tous les niveaux. Les violences à l’encontre des femmes ont augmenté de façon significative avec l’isolement : violences économiques, violences physiques, mais aussi violences morales qui se traduisent par exemple par des injures ou des menaces de répudiation. La charge domestique – ménage, cuisine, lessive – déjà largement assumée par les femmes, a été accrue par le confinement. C’est sur les femmes qu’est principalement retombé le suivi de la scolarité des enfants, et ce sont les femmes et filles qui se retrouvent surexposées dans les marchés, les lieux publics et populaires, tous les jours, sans protection ni possibilité de distanciation sociale. Ce sont les femmes, encore, qui interviennent au contact direct des malades, au sein de la famille ou dans leurs activités professionnelles, comme infirmières, aide-soignantes, doctoresses. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : “à l’échelle mondiale, 70 % des personnels de santé et des travailleurs sociaux sont des femmes” (https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/nursing-and-midwifery). Dans plusieurs pays, l’offre de soins en santé, en particulier en santé sexuelle et reproductive, y compris le suivi maternel ou le dépistage du VIH/sida, a été négligée, voire abandonnée.
Au-delà de ces effets immédiats, nous alertons sur les conséquences à plus long terme de la crise. Combien de grossesses non désirées dans les prochains mois, du fait des obstacles rencontrés par les femmes pour suivre leur méthode de contraception ? Combien de plaintes pour violences sexistes classées sans suite, faute de tribunaux accessibles ? Combien de millions de foyers touchés par la récession économique ? Combien d’associations ne seront plus en mesure de maintenir leurs activités de prévention, de sensibilisation et de fourniture de services de base, auprès des jeunes et adolescent·e·s ? Quelles conséquences, aussi, de la résurgence d’une parole moralisatrice et conservatrice à l’égard de la sexualité des jeunes, entre promotion de l’abstinence et culpabilisation des femmes, que nous constatons depuis le début de cette crise ? Il existe un risque réel de régression en matière d’égalité femmes-hommes et de droits et santé sexuels et reproductifs.
Si ces inégalités entre les femmes et les hommes structurent toujours autant nos sociétés, c’est en partie parce que les politiques publiques n’ont pas identifié tous les leviers de changement. Les femmes restent sous-représentées dans les instances décisionnelles, à tous les niveaux.
Notre enquête démontre que la société civile jouera un rôle majeur dans la résilience des sociétés dans l’après-Covid-19. Alors que, demain, pour marquer le lancement symbolique du Forum Génération Égalité, la France organise un événement numérique sur le rôle des femmes face au Covid-19, nous posons la question : les Etats sont-ils prêts à collaborer avec nous, activistes féministes de la société civile, pour de véritables changements des rapports de pouvoir ?
L’enquête complète « Droits et santé des femmes à l’épreuve du Covid-19, témoignages et perspectives féministes de la société civile ouest-africaine » est disponible en ligne sur le site d’Equipop (http://equipop.org/fr/equipop-2/)
Signataires
ACHADE Pulchérie, Directrice exécutive, Organisation pour le Service et la Vie (OSV/Jordan)-Bénin ;
ADJA Roland, Directeur exécutif, Organisation Nationale pour l’Enfant, la Femme et la Famille (ONEF)-Côte d’Ivoire ;
AGBESSI, Rolland Directeur exécutif, Scoutisme Béninois-Bénin ;
APATA Sylvia, Secrétaire exécutive, Organisation des Citoyennes pour la Promotion et Défense des Droits des Enfants, Femmes et Minorités (CPDEFM)-Côte d’Ivoire ;
BOKO Odile, Présidente, Association Béninoise pour la promotion du développement Durable (ABeProD)-Bénin ;
BOKOSSA Hermine, Présidente, Jeunes Volontaires pour la Santé (JVS)-Bénin ;
CISSEE Salimata, Directrice Pays,
Marie Stopes Sénégal-Sénégal ;
DEMAUD Kamiénouin Alphonsine Ella, Présidente, ONG Santé Urbaine et Rurale (ONG SUR)-Côte d’Ivoire ;
DIALLO Djenebou, Responsable Plaidoyer, UCPO (Unité de Coordination du Partenariat de Ouagadougou) ;
HAIDARA Mohamed, Coordinateur SongES-Niger ;
KABORE Wendyam Micheline, Directrice exécutive, Initiative Pananetugri pour le Bien-être de la Femme (IPBF)-Burkina Faso ;
KONATE Kadiatou, Secrétaire Générale, Club de Jeunes Filles Leaders de Guinée (CJFLG)-Guinée ;
KOULA Etienne, Plaidoyer et communication, SOS/Jeunesse et Défis (SOS/JD)-Burkina Faso ;
NDIAYE Mody, Directeur des programmes, ONG JED des Eclaireuses et Eclaireurs du Sénégal-Sénégal ; NDIONE Zipporah, Présidente, Réseau Ouest Africain des Jeunes Femmes Leaders (ROAJELF-SENEGAL)-Sénégal ;
SEMBENE Thiaba, Chargée de Programmes, Réseau Siggil Jigeen-Sénégal ; SETHO Hugues Pascal S., Coordinateur, ABMS/PSI-Bénin,
TOHOURI Marie-Laure, Chargée de projet, MESSI (Mission des jeunes pour l’Education la Santé la Solidarité et l’Inclusion)-Côte d’Ivoire ;
ZIKA SOMBEIZE, Halimatou, Présidente, Cellule Nigérienne des Jeunes Filles Leaders-Niger