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[Trafic de cocaïne] Comment la Côte d’Ivoire devient peu à peu la plaque tournante en Afrique de l’ouest


Abidjan, le 2-3-2021 (lepointsur.com) De 5,2 kilogrammes d’un produit servant au dosage de la cocaïne, saisis sur dix trafiquants de drogue d’un réseau transnational en 2018, depuis le 24 février 2021, la brigade antidrogue ivoirienne vient de faire main basse sur un tonne 56 kg de cocaïne pure à Abidjan.

L’histoire de la cocaïne avec la Côte d’Ivoire est en train d’écrire “ses belles’’ pages dans ce beau pays. Après les guerres que le pays a connues, la Côte d’Ivoire se transforme peu à peu en plateforme de stockage de drogue et cocaïne pour être livrée en Europe. Les faits.

En mai 2018, le porte-parole de la police ivoirienne, Charlemagne Bleu présentait à la presse, dix trafiquants de drogue d’un réseau transnational, interpellés à Noé, à la frontière ivoiro-ghanéenne. Ces individus, dont ‘’neuf Nigérians et un Ivoirien’’, ont été interpellés le 23 mai avec 5,2 kilogrammes d’un produit servant, selon notre interlocuteur de la police, « au dosage de la cocaïne, évalué à 500 millions FCFA ». Les agissements de ce réseau dont les cerveaux ont été identifiés, selon lui, ‘’remontent à plus de cinq ans’’.

Charlemagne Bleu avait précisé que trois autres membres de ce réseau de trafic international ont déjà été interpellés le 15 janvier 2018, à Noé avec une saisie de drogue. Et que l’enquête avait été menée, conjointement avec la police judiciaire, en collaboration avec le service antidrogue du Nigéria et de la coopération française.

De l’enquête ‘’Spaghetti connection’’…

Un an plus tard, en juin 2019, lors d’une opération menée par les polices ivoirienne, française, italienne et brésilienne, quatre Italiens sont tombés dans les mailles des filets des flics. Ils ont été condamnés à une peine de vingt ans de prison et 100 millions de FCFA d’amende. Ces hommes étaient poursuivis pour trafic de cocaïne, association de malfaiteurs, détention illégale d’armes et blanchiment de capitaux.

Par ailleurs, rapporte le confrère de RFI, ils étaient cinq dans le box lorsque le tribunal correctionnel d’Abidjan a rendu son verdict : Guiseppe Ramaglia (patron d’un fameux restaurant italien de la place) et ses complices, Vincenzo Giuliano, Angelo Ardolino et Antonio Cuomo, liés à la mafia napolitaine.

Ces derniers importaient en Côte d’Ivoire de la cocaïne en provenance du Brésil, qu’ils renvoyaient vers l’Italie, dans des cargaisons de bois. La société, AGL, basée à Abidjan, spécialisée dans l’immobilier, le BTP et l’import de matériaux, servait de cache-drogue aux dirigeants, Ardolino et Cuomo.

C’est d’ailleurs dissimulé dans des engins de chantiers, des rouleaux-compresseurs, que la police du port de Santos au Brésil avait découvert 1,2 tonne de cocaïne en septembre 2018, dont la valeur à la revente était estimée à 250 millions d’euros. Cette  saisie conduira à leur arrestation à Abidjan en juin 2019, au terme d’une longue enquête baptisée par les policiers « Spaghetti connection », en référence au restaurant de certains des protagonistes.

Selon un communiqué du procureur d’Abidjan, tous les biens des condamnés, évalués à plusieurs milliards de FCFA ‘’seront confisqués au profit de l’État de Côte d’Ivoire’’. Quant à la cinquième prévenue, une policière ivoirienne qui était en contact avec les quatre autres, elle a été relaxée, rapportait la presse.

Un an plus tard, en juin 2020, Nicholas Ibekwe et Daan Bauwens menaient une enquête sur les lieux de transit du trafic de drogue pour le compte des mafias italienne et colombienne et impliquant de façon présumée de hautes autorités politiques de la Côte d’Ivoire, ainsi que des membres du showbiz à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

L’enquête intitulée « Comment votre conso de coke fout la merde en Afrique de l’Ouest » présente la ville portuaire d’Abidjan, à l’instar de Dakar (Sénégal) et Lagos (Nigeria), comme l’un des maillons indispensables de la route de la cocaïne, qui lie l’Amérique du Sud à l’Europe via l’Afrique de l’Ouest. Ce travail des journalistes a fait feu de tout bois en Côte d’Ivoire et dans les milieux mafieux, mais n’a pas ébranlé les autorités ivoiriennes.

Pourtant, les pistes d’enquête ne manquaient pas : « La coke à destination d’Anvers, de Naples ou de Rotterdam fait souvent escale à Dakar, Lagos ou Abidjan d’abord. Dans le monde de la lutte internationale contre la criminalité, cette route est appelée Highway 10, allusion faite à la dixième latitude, et c’est la route la plus courte de l’Amérique du Sud à l’Afrique de l’Ouest », expliquaient les journalistes.

… Comment votre conso de coke fout la merde en Afrique de l’Ouest

Immergés dans la capitale économique ivoirienne, les journalistes décrivent toute une industrie de la drogue qui s’est répandue dans le pays, impliquant aussi bien des expatriés européens et nigérians, des membres du showbiz, que certains membres influents de l’administration et même du gouvernement ivoirien.

« L’histoire suit le même schéma que celle de la Highway 10 : au départ, les cartels colombiens ont cherché l’aide de la mafia nigériane pour faire passer la cocaïne par l’Afrique de l’Ouest. La mafia nigériane avait besoin de l’aide des autorités des ports mondiaux. Ces autorités sont payées en coke, ont une vue sur l’activité et voient rapidement combien d’argent elles peuvent gagner dessus », révélaient Nicholas Ibekwe et Daan Bauwens. « Comme dans d’autres pays africains, l’industrie de la musique servirait à blanchir les profits du trafic de drogue. En Côte d’Ivoire, les stars de la pop vivent comme des millionnaires, mais on ne sait pas d’où vient leur argent puisque seul un petit pourcentage de leurs fans a les moyens d’acheter des disques ou des places de concert », soutenaient-ils.

La publication de trois articles sur la série de cinq prévus sur cette enquête a vite fait de soulever une vive polémique en Côte d’Ivoire au point où certains artistes du showbiz ivoirien ont réagi tout comme, le ministre ivoirien de la Défense d’alors, aujourd’hui, Premier ministre, Hamed Bakayoko. Dans un communiqué, le ministre a qualifié le travail des confrères de ‘’prétendue enquête de deux journalistes’’, des ‘’allégations’’ qui vont à l’encontre de ses ‘’principes de vie’’.

Estimant qu’il s’agit d’une « orchestration grossière ourdie par des commanditaires dont le dessein n’échappe à personne », le ministre ivoirien de la Défense a annoncé des poursuites judiciaires contre les deux journalistes. « Au regard de ces insinuations extrêmement graves et diffamatoires, j’ai décidé de porter plainte contre Messieurs Ibekwe Nicholas, Daan Bauwens et les relais ».

Après cette menace à peine voilée du chef du gouvernement ivoirien suite à la parution des articles. Plus de suite.

Quant, contre toute attente, la gendarmerie ivoirienne embaume la UNE des journaux avec la saisie d’une tonne 56 kg de cocaïne. Le communiqué qui témoigne la véracité des faits est sans équivoque.  Le 24 février 2021, aux environs de 22 heures 30, exploitant un renseignement, des éléments de la cellule antidrogue du Port Abidjan, ont interpellé deux individus en Zone 4 dans la commune de Marcory, indique le communiqué. Les investigations menées, selon le communiqué, par les fins limiers de la Maréchaussée vont, ensuite les conduire à Angré dans la commune de Cocody. Appuyés par les éléments de l’Unité d’intervention de la Gendarmerie nationale(Uign) et du Groupe de sécurité portuaire(GSP), ils procèdent à des perquisitions au domicile de l’un des principaux dealers et saisissent 48 sacs de 22 blocs de cocaïne chacun : « Ce sont au total 1056 blocs de cocaïne, d’un poids d’une tonne 56 kg et d’une valeur estimée à 25 milliards 560 millions de FCFA qui ont été saisis. Un véhicule appartenant aux dealers a été également saisi ».

Selon une source sécuritaire citée par Reuters, la drogue viendrait du Paraguay. Deux personnes ont été arrêtées « mais l’enquête ne fait que commencer », a commenté le procureur d’Abidjan, Richard Adou, lors de la présentation de la saisie à la presse.

Ces dix dernières années, les rumeurs de la prolifération de la cocaïne en Côte d’Ivoire viennent de se confirmer. Cette saisie achève de convaincre que la Côte d’Ivoire devient un pays de confiance et de transit pour les narcotrafiquants vers l’Europe.

L’enquête n’a encore pas encore révélé grande chose, mais elle promet si et seulement si…

Serges Mignon

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