[Serges Edgard Boka, président de la Fondation Ernest Boka, s’indigne] « Ceux qui ont fait l’histoire de la Côte d’Ivoire méritent respect »
Agboville, 06-12-2022 (lepointsur.com) Rencontré récemment par votre organe de presse préféré, lepointsur.com, Serges Edgard Boka, fils d’Ernest Boka et président de la Fondation Ernest Boka, s’est exprimé sur la situation socio-politique ivoirienne actuelle. Sans détour et sans langue de bois, c’est à cœur ouvert que l’homme s’est confié à nous. Entretien.
“ Cela signifie qu’on pourrait avoir un consensus sur l’histoire politique de notre pays indépendamment des partis politiques et des personnes pour qu’on sache ce qui a été fait. À ce niveau-là, il faut une volonté politique. Il y a des sachants qui ont écrit sur l’histoire du pays. Cela mérite vulgarisation. ’’
Vous avez créé une fondation du nom d’Enerst Boka. Pourquoi vous lui avez donné ce nom ?
Je me nomme Serges Edgard Boka, fils d’Ernest Boka. La fondation a été créée il y a trois ans et porte le nom d’Ernest Boka. Ernest Boka, au-delà d’être notre géniteur, nous estimons qu’au regard de ce qu’il a été pour son rôle joué dans l’histoire politique de la Côte d’Ivoire, nous devons pérenniser ses idées. D’où la création de cette fondation.
Quelles ont été ces idées et ces actions qu’il a posées ?
Alors, nous retenons trois choses. À savoir, l’excellence, la rigueur et l’intégrité. Pour tout dire, nous résumons le parcours de la vie d’Ernest Boka à travers ces trois aspects. Au-delà de la fibre paternelle, l’histoire nous enseigne qu’il fut intègre dans ses choix dans sa vie. Il a toujours fait la promotion de l’excellence et la rigueur dans toutes ses tâches effectuées au plus haut sommet de l’État. C’est pourquoi, nous voulons pérenniser ces valeurs.
Aujourd’hui, la jeunesse qui est en manque de repère a besoin de se retrouver autour de ces valeurs-là qui, mises ensemble, peuvent fonder une nouvelle Côte d’Ivoire. Pour parler d’Ernest Boka, il savoir qu’il fut membre de l’aventure 46 et est revenu en 1956 pour occuper le poste de chef de cabinet adjoint du gouverneur Denate, gouverneur de la colonie de Côte d’Ivoire. En 1957, il fut nommé ministre de l’Éducation nationale jusqu’à 1959 avant d’être ministre de la Fonction publique pendant deux ans et il sera nommé tout premier président de la Cour suprême en 1961. Ernest Boka décédera en 1964 dans la prison politique d’Assabou à Yamoussoukro. Il faut lui reconnaître l’avènement des collèges d’enseignement général (CEG), des cours complémentaires, la création de la direction des examens et concours, actuelle DECO, de l’uniforme scolaire. C’est celui-là même qui a propulsé l’Éducation nationale dans la modernité.
En 1961, il a été à la base de la création de l’université d’Abidjan. Vous me donnez l’occasion pour ressortir tout ça parce-que l’histoire ne retient pas beaucoup. Il est le “père’’ du statut de la Fonction publique et aussi à la base de la création de l’École nationale d’administration (ENA). En 1961, Ernest Boka, était le chef de mission à l’ONU pour la reconnaissance officielle de la Côte d’Ivoire. À la suite de tout cela, ont suivi les faux complots d’Houphouët Boigny qui ont entraîné son décès. Voici brièvement retracé le parcours politique et administratif d’Ernest Boka.
Comment est née la fondation ?
L’histoire de la Fondation est simple. Ses enfants, ses petits-enfants et des personnes qui sont aujourd’hui amies de la fondation, au regard de l’environnement politico-social de notre pays, ont estimé qu’Ernest Boka fédère et fait la promotion de l’excellence. Et quand on sait que la jeunesse est en manque de repère, il fallait des personnes emblématiques qui puissent permettre à cette jeunesse de se retrouver et d’avoir des repères. Voilà comment la fondation est née.
Vous avez parlé du parcours élogieux d’Ernest Boka, dont le nom est associé à votre fondation. Quelles sont donc les activités que vous menez au sein de la fondation ?
Nous sommes des orphelins et donc nous soutenons les orphelins. Nous faisons aussi la promotion de l’excellence à travers des prix d’excellence comme celui qui a eu lieu récemment à Agboville. Nous faisons, en outre, une exposition en ligne sur le site www.fondationernestboka autour du thème « Ernest Boka, une vie, un destin », qui retrace le parcours politique et administratif d’Ernest Boka. Il y a une cinquantaine de panneaux qui apportent des informations sur les orientations entre l’arrière-garde politique, c’est-à-dire celle de la génération de la prison de Bassam, et cette nouvelle intelligentsia qui émane de l’aventure 46 et qui vient bousculer cette vieille génération. Mais, nous voulons toujours, dans la promotion de l’excellence, innover en décernant des distinctions honorifiques à toutes les femmes qui font la fierté du département d’Agboville au niveau national. Ce sont des femmes qui se sont distinguées au niveau professionnel, académique et universitaire et qui font autorités dans leurs domaines et par ailleurs participent au développement de la Côte d’Ivoire. C’est une fierté pour la fondation de distinguer ces valeurs, ces pépites, ces étoiles du développement.
Vous évoquiez Ernest Boka, votre père, n’avez-vous pas un pincement au cœur de voir que votre père qui est une icône, un idéal pour la Côte d’Ivoire, ne soit pas enseigné dans les écoles ivoiriennes ? Et selon vous, pourquoi Ernest Boka n’est-il pas enseigné dans les manuels scolaires ?
En effet, au regard de l’apport inestimable d’Ernest Boka à l’éducation nationale de notre pays, il est tout à fait normal que cela soit connu au plan scolaire, académique et même culturel. Cependant, la culture idéologique du parti au pouvoir à l’époque n’avait de cesse de promouvoir l’image du président Houphouët. Il n’était donc pas bon de poser des actions pouvant entraver son système. À la faveur des temps nouveaux, une relecture de l’histoire politique de notre pays s’impose afin que ceux qui ont fait la Côte d’Ivoire et que le système de l’époque avait “négligé’’ soient réhabilités. La Fondation Ernest Boka va donc soutenir toute publication ou toute activité visant à restituer l’histoire à la génération actuelle. Ministre de l’Éducation nationale, l’école ivoirienne lui doit beaucoup, car à son actif, l’on note la nomination des premiers responsables de l’éducation nationale de notre pays, la création des cours complémentaires qui ont été remplacés par les CEG, et celle (la création) de l’université nationale de la Côte d’ivoire, l’université Félix Houphouët Boigny.
Ernest Boka a modernisé l’éducation. De l’éducation coloniale, avec Boka, on passe à une éducation qui répond aux exigences d’un État en construction où tout était à faire. En toute franchise, il y a ce qu’on appelle la culture idéologique. En fait, l’histoire politique de la Côte d’Ivoire, pas qu’elle a été tronquée, mais elle est mal enseignée. Peut-être pour des raisons politiques. Au temps du parti unique, il était difficile d’apporter ou de lever une histoire qui ne rentre pas dans la vision du parti unique. Je pense que ceux qui ont fait l’histoire de la Côte d’Ivoire méritent respect. Ce respect consistera à retracer ensemble l’histoire de notre pays sur des bases nouvelles en dehors des idéologies et des partis politiques (…) Cela signifie qu’on pourrait avoir un consensus sur l’histoire politique de notre pays indépendamment des partis politiques et des personnes pour qu’on sache ce qui a été fait. À ce niveau-là, il faut une volonté politique. Il y a des sachants qui ont écrit sur l’histoire du pays. Cela mérite vulgarisation. Et la fondation va s’atteler à faire la promotion de ce qui a été enfoui dans les tiroirs pour que la jeunesse puisse avoir des éléments de réponse, une panoplie de repères pour mieux se définir.
Interview réalisée par Georges Kalégnon, correspond régional