Point Sur

Reportage : Plus de 72 heures après l’affrontement sanglant à la Maca/ Des vérités jamais dites sur les combats #yacoulechinois


– « Yacou le Chinois » en chef de guerre

-Le bâtiment C, une poudrière

– Des munitions découvertes mardi

Après l’affrontement sanglant à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), dans un calme apparent, notre équipe de reportage s’est rendue sur les lieux, mardi 23 février 2016.

Photo d'archive

Photo d’archive

 

Au premier passage obligé de tous les visiteurs de la plus grande prison ivoirienne tenue par la Force d’Intervention pénitentiaire, les gardes passent au peigne fin, par des fouilles, les visiteurs.

Les agents de la  gendarmerie, l’un des trois corps qui surveillent les détenus sont visibles sous le hangar qui fait office de  bureau, à quelque encablure, en face de ce « corridor ».

Le poste de police et celui de la gendarmerie se font face, comme pour mieux sécuriser les entrées et les sorties en cas d’alerte, c’est par cette voie laissée entre ces deux corps que les visiteurs pénètrent à la Maca et en ressortent.

Un peu plus de 100 m après le point de contrôle, sous quelques bâches, faisant face à l’entrée principale de la prison, une longue file de visiteurs venus apporter des vivres à leurs parents détenus attendent l’appel des gardes pénitentiares. Mardi étant l’un des jours de visite.

Juste à côté d’eux est montée la tente des militaires, sous laquelle sont dressés plus d’une dizaine de lits. Seulement trois militaires sont visibles, ce jour. Seul un d’entre eux est assis,  les paupières lourdes, sûrement pour avoir veillé. Les deux autres sont couchés sur le dos sur des lits, les pieds au sol, attendant la relève.

Quant aux vendeuses de jus, d’eau, de sandwich, etc. Elles sont sorties nombreuses ce mardi 23 février 2016 et ont repris du service à leur place habituelle,  juste en face de la cité des gardes pénitentiaires.

C’est dans ce décor,  loin des bruits assourdissants des armes de guerre que notre équipe de reportage a fait un tour à la Maca, où déjà notre interlocuteur, un des capitaines de la garde pénitentiaire et l’un de ses collègues, qui a participé à l’affrontement du samedi 20 février, nous attendaient. Même si le calme est revenu à l’extérieur, les cendres semblent encore ardentes pour l’administration pour s’ouvrir aux journalistes, en témoigne notre source qui a requis l’anonymat.

Pour des raisons de sécurité, ce garde pénitentiaire, qui a participé à l’affrontement armé du samedi 20 février 2016 entre les détenus du bâtiment C, les gardes pénitentiaires et les forces de l’ordre, a voulu s’exprimer sous le sceau de l’anonymat en souhaitant le pseudonyme Cdt GR. « Pour l’heure une enquête est en cours et vous savez très bien que Yacou avait des informateurs tant dans nos rangs que dans celui des deux corps (gendarmerie et police), qui ont en charge la surveillance de la Maca», a introduit notre interlocuteur, pour expliquer, entre deux lignes, qu’avant que l’enquête ne rende ses conclusions, la méfiance est de mise au niveau  des différents corps .

 

Yacou le Chinois en vrai chef de guerre mystiquement habillé

Yacouba Coulibaly dit Yacou le Chinois que le monde entier a vu à travers les images et vidéos, dans une culotte jaune, torse nu baignant dans une mare de sang, était le chef de l’opération de la mutinerie. La cinquantaine de détenus faisant office de gardes du corps de ce dernier étaient  des soldats qui étaient au front sous son commandement.

Habillé d’un tee-shirt  surmonté d’un gilet pare-balles, la tête couverte de gris-gris, il tentait de prendre le pas  sur l’adversaire, en lançant des grenades d’assaut appuyées par des tirs à l’arme de guerre.

Une technique digne d’un stratège-chef de guerre qui a marché et mis en déroute les premiers éléments de la police et de la gendarmerie arrivés en renfort.

De l’extérieur d’où l’assaut devait être mené, l’inquiétude gagnait les unités qui devaient mener à bout l’opération, tant la puissance en provenance des cellules était impressionnante.

« C’est dans cette confusion digne d’un film de guerre, où personne ne savait de quelle cellule venaient les tirs, qu’un des éléments de la garde pénitentiaire a reçu un coup mortel quand il s’est retrouvé dans le champ de tir de Yacou le Chinois et de ses hommes», a expliqué notre interlocuteur.

Malgré la puissance de feu des mutins, l’instigateur, Yacou le Chinois, une fois dans la ligne de tir des forces de l’ordre, a été  abattu « à bout portant de plusieurs balles sous l’aisselle.»

A-t-il été asphyxié avant d’être abattu parce que ses gris-gris le rendaient invulnérable ? A la question, notre interlocuteur a été rassurant. « Yacou était dans la ligne de tir du soldat qui l’a abattu. On savait que dans son plan, il voulait semer un grand trouble, libérer le maximum de détenus, pour réussir à sortir par le portail et couvrir sa fuite», a indiqué le Cdt GR qui, au cours de l’entretien ne cessait de glorifier le Seigneur parce que, pour lui, « un carnage a été évité ».

Après que Yacou le Chinois a été abattu, ses lieutenants, selon notre source, ont retiré le corps et levé les bras en l’air, signe de reddition avant de le déshabiller. « Ce sont eux qui ont rendu les armes et les différents chargeurs qui ont servi à Yacou le Chinois  au cours de l’affrontement, » a-t-il indiqué.

 

Le corps de Yacou le Chinois juste après sa mort à la Maca.

Le corps de Yacou le Chinois juste après sa mort à la Maca.

Cet affrontement à l’arme lourde a achevé de convaincre que le bâtiment C dont les cellules accueillent les criminelles, les bandits de grand chemin, les gangsters condamnés à de longues peines de prison, était une poudrière.

C’est maintenant connu. Et ce n’est pas notre interlocuteur témoin des faits qui dira le contraire, même si, officiellement les autorités reconnaissent qu’il y a eu affrontement armée au sein de la prison faisant dix morts et plusieurs blessés,  en refusant toutefois,  de faire le bilan des armes détenues par les prisonniers.

En effet, Yacou le Chinois  et ses hommes qui ripostaient aux tirs étaient armés de kalachnikov, de grenades d’assaut, de pistolets automatiques dissimulés dans les différentes cellules du bâtiment C. «Nous venons de découvrir des munitions ce matin (Ndlr : Mardi 23 février 2019) dans l’une des cellules, » a révélé notre interlocuteur, ajoutant par ailleurs « les fouilles continuent et de nouvelles dispositions permettront d’assainir l’intérieur de la Maca, cela se fera progressivement, » a rassuré Cdt GR.

Outre les armes à feu, grenades d’assaut et autres, Yacou le Chinois avait sur lui des téléphones portables de dernière génération, avec connexion wifi installée dans sa cellule en violation des lois pénitentiaires.

« Il utilisait beaucoup les réseaux sociaux pour  donner une bonne image de sa personne à  l’opinion. Or, en réalité il semait la terreur dans l’enceinte la prison, » nous a révélé un autre haut gradé des gardes pénitentiaires qui s’est  joint à nous.

Le film de la mutinerie de Yacou, le Pablo Escobar ivoirien

Le samedi 20 février 2016, Yacou le Chinois  ou encore « El Capo »,  qui avait droit de vie et de mort sur l’administration pénitentiaire et les gardes pénitentiaires, a organisé un rassemblement dans l’enceinte de l’établissement, selon le Cdt GR.

A l’en croire, certains détenus ont commencé à escalader les grilles quand d’autres avançaient vers les premiers. C’est ainsi que selon lui,  la faction assurée par la garde pénitentiaire, a tiré les premiers coups de sommation.

«Depuis sa prise de fonction, le nouveau régisseur Monsan Amonkou, a  refusé   tout contact avec  Yacou le Chinois, si cela ne passe pas dans les règles de l’administration, ce qui aurait mis le bagnard-roi (Yacou) dans tous ses états», a indiqué notre interlocuteur, non sans  insister sur le fait que « Yacou avait pris le soin de vider sa cellule de tous ses biens ».

Pour le sergent Noël Yao, El Capo savait que son règne allait prendre fin dans la mesure, où progressivement, le remplaçant  de Koné Hincléban (ex-régisseur), se conformait aux lois pénitentiaires sans se référer à lui, même s’il faisait la pluie et le beau temps à l’intérieur de la prison.

« Il est toujours difficile pour les gardes pénitentiaires de vérifier ce qui était dans les cellules des détenus avant la prise de fonction de l’actuel régisseur, mais les interdits ne peuvent plus y entrer», ajoute-t-il pour indiquer qu’El Capo était coupé de sa base de ravitaillement, même s’il pouvait joindre ses complices de l’extérieur.

Le seul recours, pour celui que toutes les sources s’accordent à dire qu’il violait les lois pénitentiaires, avait autorité sur les autres détenus, les battait, se faisait justice, ne restait que l’évasion. La suite est connue. L’affrontement s’est achevé avec un bilan de dix morts, dont Yacou le Chinois et plusieurs blessés.

Plus de 72 heures après l’affrontement armé du samedi 20 février 2016, malgré les gris-gris, les armes,  ses soutiens internes et externes, sa cinquantaine de soldats, le Pablo Escobar ivoirien,   maître incontestable et incontournable qui dictait ses lois à l’administration de la Maca, est tombé sous les balles meurtrières d’un tireur d’élite (sûrement). Triste fin  pour le tristement  célèbre détenu de la plus grande prison de Côte d’Ivoire, d’une capacité de 1500 places et qui accueille à ce jour plus de 5000 détenus.

 

Sériba Koné

kone.seriba67@gmail.com

 

 

Encadré 1

La Maca doit être vidée de ses détenus

En août 2011, quatre mois après sa fermeture en avril, liée à l’évasion en masse des détenus aux heures chaudes de la crise post-électorale, la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan a rouvert. La réhabilitation de l’établissement a coûté 2 milliards FCFA à l’Etat de Côte d’Ivoire.

La plus grande prison ivoirienne venait ainsi de faire peau neuve, mais le système de sécurité a très vite montré ses limites, un an environ après. Le  4 mai 2012, la prison a connu sa première tentative d’évasion qui s’est soldée par le limogeage du régisseur Yao Patrice, le directeur de la Maca, remplacé par le régisseur Bandama Yobouet.

Au centre de ce trouble, pour la première fois, Yacou le Chinois est cité comme l’instigateur. Malgré les appels des gardes pénitentiaires dont le statut  a changé après la réouverture de la Maca,  les autorités ont fait la sourde oreille. En effet, ils n’étaient plus détenteurs d’armes à feu assez dissuasives. Cette tâche est désormais dévolue à la gendarmerie, à la police et aux FRCI. Comme si le limogeage était la solution aux évasions, au cours du conseil des ministres du mercredi 11 juillet 2012, aussi  surprenant que cela puisse paraître, le gouvernement décide de démettre tout le personnel de sécurité de la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan à la suite de l’évasion de 12 détenus le dimanche 8 juillet à 15h. Rappelons qu’au total,  8 des fugitifs ont été rattrapés, et 4  ont pu s’évanouir dans la nature.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Bandama Yobouet, le patron de la Maca, est révoqué le 6 août 2013, et remplacé par le régisseur Koné Hincléban, précédemment directeur de la Maison d’Arrêt et de Correction de Dimbokro. Ce,  suite  aux nombreuses tentatives d’évasion dont celle du mardi 23 juillet 2013 à la Maca,  dont le bilan faisait une cinquantaine de morts selon la presse d’opposition, quand le gouvernement n’annonçait que trois morts.

En janvier 2016, le successeur de Bandama Yobouet est démis à son tour. Il est remplacé par Monsan Amonkou avec à la clé le même motif, et en toile de fond, le même détenu, Yacou le Chinois.

« Quand le gouvernement s’est précipité à la suite de l’évasion du 4 mai 2012 pour  limoger le régisseur Yao Patrice, et de le remplacer par Bandama Yobouêt, nous avons expliqué qu’il fallait plutôt doter les gardes en armes appropriées et renforcer leur autorité dans la sécurisation intérieure des prisons», ne cessaient de confier les gardes pénitentiaires aux journalistes.

Plus de cinq ans après la réhabilitation de la Maca,  la sécurité des gardes pénitentiaires et des détenus reste le nœud coulant  auquel le gouvernement n’a pas posé le vrai diagnostic pour trouver la solution.

S.Koné

 

Encadré 2

Qui veut contrôler la Maca ?

Voici une prison,  où depuis la réouverture, Yacou le Chinois s’est comporté comme un roi  et demi-dieu. Avec l’introduction d’interdits (armes, drogues, objets contondants…) et le verrouillage de l’accès du bâtiment C  aux gardes pénitentiaires, la première problématique qui vient  à l’esprit, c’est de savoir : Qui veut contrôler la Maca A quelle autorité ministérielle l’anarchie instaurée au sein de la prison profite-t-elle ? Pourquoi répond-on aux rapports des différents régisseurs par un silence assourdissant?

Une administration comme celle de la Maca est très outillée pour faire le rapport de ses besoins tout en mentionnant les dysfonctionnements dans cet établissement pénitentiaire. Le mal est profond et le souhait de tout observateur serait que, pour une fois au moins, les résultats des enquêtes soient connus et que des responsabilités soient situées.

Les placards des enquêteurs ivoiriens ne sont-ils pas assez chargés ? La découverte d’armes, de munitions, de drogue dans une prison comme la Maca, où un seul détenu avait droit de vie ou de mort sur les codétenus est une honte pour un Etat qui se veut de droit, sauf si on veut promouvoir aussi des prisonniers nouveaux.

Sériba K.

 

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