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[« Repenser l’école en Afrique : L’appel radical de Djeka Kouadio Jean-Baptiste à l’éveil culturel »] (Entretien)


Bouaké, le 24-06-2024 (lepointsur.com) À l’aube de l’édition 2024 du Festival des Arts et Traditions d’Akan (FATA), qui se tiendra du 1er au 14 juillet à Sakassou, le Commissaire général Djeka Kouadio Jean-Baptiste partage ses vues percutantes sur l’état du système éducatif africain. Lors d’une conférence inaugurale tenue le 22 juin à l’Université de Bouaké, il a exprimé ses préoccupations concernant l’évolution de l’école vers ce qu’il appelle une « machine de programmation ». Voici un aperçu exclusif de notre entretien avec lui.

Interview

Monsieur Kouadio Jean-Baptiste Djeka, vous avez mentionné que l’école en Afrique pourrait devenir une « machine de programmation » plutôt qu’un espace d’apprentissage. Pouvez-vous préciser les mécanismes par lesquels l’école devient, selon vous, une machine de programmation ?

Merci pour cette opportunité. L’école, telle qu’elle a été importée pendant la colonisation, avait pour but de former des individus à des tâches précises, plutôt que de les éduquer de manière holistique. Nous continuons, aujourd’hui, à former des juristes, des économistes, des ingénieurs, sans réellement préparer nos jeunes à la créativité et à l’innovation. Ce système crée des travailleurs pour une société préexistante, non des penseurs ou des créateurs capables de réinventer notre avenir. Le chômage élevé est une conséquence directe de ce modèle : il fabrique des diplômés qui ne trouvent pas leur place dans une économie qui n’a pas besoin d’eux sous cette forme.

En quoi cela diffère-t-il de l’idéal éducatif d’un espace d’apprentissage ?

Un espace d’apprentissage favorise l’autonomie et l’originalité. Actuellement, notre éducation ressemble plus à un entraînement militaire, avec des uniformes et des règles strictes, même dans des disciplines créatives comme les beaux-arts. Nous ne permettons pas aux étudiants de s’exprimer librement, de se coiffer comme ils veulent ou de choisir leurs vêtements. Cela étouffe leur créativité. Si une étudiante en droit pouvait simultanément apprendre des compétences pratiques comme la coiffure ou l’esthétique, elle serait plus polyvalente et capable d’adapter ses connaissances à des situations variées.

En tant qu’artiste, comment voyez-vous l’impact de cette « programmation » sur la créativité des élèves ?

Cette programmation tue la créativité. Notre système est oppressant. Imaginez un oiseau enfermé dans une cage : il ne peut plus voler, il ne peut plus chanter librement. De la même manière, nos élèves sont bridés par ce système rigide, incapable de s’épanouir pleinement. Nous devons libérer leur potentiel en permettant plus de flexibilité et d’autonomie dans leur éducation.

Quel rôle les arts et les traditions, comme ceux que vous promouvez au Festival des Arts et Traditions d’Akan (FATA), peuvent-ils jouer pour contrer cette tendance et revitaliser l’école en tant qu’espace d’apprentissage ?

Les arts et les traditions sont essentiels pour revigorer notre système éducatif. En observant d’autres cultures à travers mes voyages, j’ai vu combien elles valorisent leurs traditions pour inspirer l’innovation. Si nos élèves comprennent et intègrent nos traditions dans leur apprentissage, ils deviendront plus créatifs et autonomes. Nos traditions sont des sources de sagesse et d’inspiration qui peuvent enrichir leur pensée et leur permettre d’imaginer des solutions uniques aux défis modernes.

Quelles initiatives concrètes proposez-vous pour réformer le système éducatif afin qu’il redevienne un véritable espace d’apprentissage plutôt qu’une structure de programmation ?

Nous devons réintégrer nos cultures dans le curriculum scolaire. Par exemple, cesser de parler de « ministère de la culture et de la francophonie », et plutôt se focaliser sur des ministères dédiés à nos cultures locales comme celle des Akan, des Sénoufos, ou des Yacoubas. Cela encouragerait un apprentissage en lien direct avec nos racines. Nous devons aussi permettre aux étudiants d’explorer leurs intérêts pratiques en parallèle de leurs études académiques, pour une formation plus polyvalente et dynamique.

Avez-vous des exemples de modèles réussis ou des projets en cours ?

Nous pouvons citer la Chine et le Japon, qui ont bâti leurs succès sur une forte adhésion à leurs cultures. Ces pays ont réussi à se développer tout en respectant leurs traditions. Pour nous, cela implique de valoriser nos propres réussites et de former nos enfants dans un cadre qui respecte et intègre notre patrimoine culturel.

Comment les communautés locales et les parents peuvent-ils être impliqués dans la transformation de l’école en un lieu qui encourage l’apprentissage et la créativité ?

Les écoles doivent devenir des centres communautaires. Nous devons briser les murs entre l’école et la société pour que les parents soient intégrés au processus éducatif. Il ne s’agit pas de simples réunions parents-professeurs, mais d’une véritable implication quotidienne. Les parents et les communautés doivent sentir que l’école leur appartient et qu’elle reflète leurs valeurs et leurs aspirations.

Quels changements dans la société civile seraient nécessaires pour soutenir cette vision ?

Il est essentiel que la société civile comprenne et soutienne des initiatives comme le FATA. Ce festival n’est pas une entreprise politique, mais un mouvement culturel visant à réanimer notre patrimoine et à en faire le socle de notre développement. Les municipalités et les autorités locales doivent faciliter ces efforts, en séparant clairement les initiatives culturelles de la politique. Cela encouragera une plus grande participation et appropriation de la part de la population.

Djeka Kouadio Jean-Baptiste appelle à une transformation radicale du système éducatif africain, en insistant sur le retour à une éducation enracinée dans les traditions et la culture locale. Son approche vise à libérer le potentiel créatif des jeunes africains, en réformant l’école pour qu’elle devienne un véritable espace d’apprentissage.

Interview réalisée par Médard KOFFI

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