[Présidentielle au Sénégal] Les candidats toujours en lice affûtent leurs armes pour la bataille finale
Au Sénégal, la campagne présidentielle touche à sa fin. Ce 24 mars 2024, 7,3 millions de Sénégalais sont appelés aux urnes. Les 17 candidats toujours en lice – Cheikh Tidiane Dièye et Habib Sy ont annoncé leur retrait – réalisent leurs ultimes déplacements à travers le pays pour présenter leurs programmes et tenter de convaincre les électeurs. Suite de notre tour d’horizon des meetings et promesses de campagne des candidats.
♦ Anta Babacar Ngom Diack veut réformer le système judiciaire sénégalais
Elle est la seule femme à candidater à l’élection présidentielle sénégalaise. Anta Babacar Ngom Diack est cheffe d’entreprise et porte les couleurs du mouvement Alternative pour une relève citoyenne.
Ce 22 mars, elle achève sa campagne dans sa banlieue natale de Dakar, à Pikine et Keur Massar. Si elle est élue présidente, Anta Babacar Ngom promet de réformer le système judiciaire.
« On souhaite faire une réforme profonde du Conseil supérieur de la Magistrature pour assurer son autonomie. Actuellement, au Sénégal, le Président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature, ce qui selon moi peut compromettre son impartialité. En proposant que le Président ne soit plus à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, nous visons ainsi à éviter toute influence politique directe sur les décisions judiciaires. Nous proposons un Conseil alors élargi, avec des personnalités extérieures dont des universitaires et des personnalités indépendantes, pour une approche plus équilibrée de la justice. Cette diversification permettra de renforcer sa légitimité et sa crédibilité aux yeux du public. On prévoit également une réforme du parquet pour plus de liberté d’action du procureur et la nomination de juges des libertés pour protéger les droits individuels dans les procédures judiciaires. La finalité de notre mesure phare est de garantir l’indépendance de la justice au Sénégal. »
♦ Khalifa Ababacar Sall veut rassembler la nation sénégalaise
Khalifa Sall, figure majeure de la vie politique sénégalaise, est candidat pour la première fois à la fonction suprême, sous les couleurs de son mouvement Taxawu Sénégal. Ce 22 mars, l’ancien maire de Dakar sillonne la capitale sénégalaise. Sa caravane va parcourir les 50 kilomètres qui séparent Sébikhotane et N’Gor. En tête de ses priorités, Khalifa Sall veut réconcilier la nation.
« Il faudra dépasser toutes les contingences vécues, toutes les fractures socio-politiques vécues, faire en sorte que les gens se mettent ensemble et au travail. Nous étions une nation, il n’y avait pas de stigmatisation. Tout cela malheureusement aujourd’hui a cours. Les différences ethnico-religieuses s’expriment malheureusement. Aussi, à cause ou par le digital et le numérique, ces valeurs de retenue et de respect mutuel ont tendance à se dissiper et il nous faut revenir à nos fondamentaux, réconcilier la nation. Il nous faut un État respectueux, un État respectable et un État respecté. Cela suppose que l’État ait une conduite et une attitude qui fassent que les citoyens se reconnaissent, se retrouvent et se réfèrent à lui. Et cela est indispensable parce que c’est cela qu’on a perdu depuis 2012. »
♦ Thierno Alassane Sall veut faire du Sénégal un hub pour toute l’Afrique de l’ouest
Deux fois ministre durant le premier mandat de Macky Sall, Thierno Alassane Sall a été un membre fondateur du parti présidentiel, l’Alliance pour la République, avant de quitter cette formation en 2017. Cet ingénieur de l’aviation civile se présente à l’élection sous les couleurs de son parti « La République des valeurs ». Après avoir mené campagne dans la grande banlieue de Dakar jeudi, c’est à Thiès qu’il clôture sa campagne ce 22 mars. Thierno Alassane Sall veut faire du Sénégal un pays leader en Afrique de l’ouest.
« Nous voulons faire du Sénégal l’usine de l’Afrique de l’ouest, nous voulons faire du Sénégal le grenier de l’Afrique de l’ouest, l’hôpital de l’Afrique de l’ouest, l’université de l’Afrique de l’ouest. Nous voulons faire en sorte que le marché sous-régional soit d’abord notre marché avant d’être le marché d’autres puissances africaines voire asiatiques. Tout cela doit être fait en utilisant la révolution numérique comme levier principal d’interconnexion de tous ces secteurs de production. Nous voulons aussi changer par le secteur numérique notre façon de se nourrir, de s’habiller, de produire, de nous soigner. Il s’agit surtout que l’État soit le principal, non pas investisseur, mais celui qui booste les investissements privés en mettant en place l’écosystème nécessaire par les réformes pour les investissements, en appuyant le secteur privé là où l’État a les moyens de le faire, pour que le secteur privé national investisse progressivement tous les secteurs d’activité vitaux. Nous allons nous attaquer à tous les facteurs de blocage de notre compétitivité pour faire en sorte qu’effectivement le Sénégal soit plus attractif que les autres pays de la sous-région. »
♦ Amadou Ba : « La jeunesse, ce n’est pas l’avenir, c’est le présent pour nous »
Dimanche 17 mars, le candidat Amadou Ba s’est rendu à Kaolack, dans le centre du pays, au cœur du bassin de production de l’arachide. Une zone plutôt acquise à la coalition de la majorité Benno Bokk Yakaar. Léa-Lisa Westerhoff a suivi son meeting dans la ville.
Sur une scène montée en plein centre de Kaolack, les chauffeurs de salle sont au rendez-vous. « Amadou Ba, 5e président » s’exclame l’un d’entre eux. Deux écrans géants font défiler des photos de l’ex-Premier ministre Amadou Ba en action. Plusieurs centaines d’habitants de Kaolack sont venus comme Sidi, 45 ans : « J’habite en Espagne, mais je suis venu ici pour voter Amadou Ba, car c’est un gars qui est passé par tous les postes stratégiques. Il est très sérieux ».
Un profil qui rassure aussi Sokhna Gueye, militante du parti socialiste dans la région. « Il a le meilleur profil compte tenu de son expérience. C’est un homme d’État, il est calme et serein. Il y a beaucoup de choses qui se sont passées ici au Sénégal le concernant, mais on a vu qu’il a gardé sa sérénité, le Sénégal a besoin d’un homme qui puisse fédérer toutes les forces. »
Juste après 22h, Amadou Ba monte sur scène et promet d’accélérer les réformes entreprises par son prédécesseur Macky Sall. Notamment pour créer des emplois dans la région de Kaolack. « Je veux être le président de l’emploi des jeunes. La jeunesse, ce n’est pas l’avenir, c’est d’abord le présent pour nous. »
Diouf, commerçant de 31 ans, confirme. Avec un chômage autour de 20 %, le travail, c’est la priorité. Il se réjouit de voter dimanche « parce que je veux changer, parce que nous les jeunes, on est fatigués de Macky Sall et de lutter pour avoir du travail ».
Et alors qu’Amadou Ba termine son meeting arrive la caravane de son principal concurrent, le candidat de l’opposition Bassirou Diomaye Faye.
Mardi 19 mars, Amadou Ba s’est rendu à Guinguinéo, Gossas et Diourbel. Il était ensuite attendu à Fatick, Mbour et Rufisque ce mercredi.
♦ Bassirou Diomaye Faye : « Je veillerai à ce que chaque Sénégalais puisse pratiquer librement sa religion »
Après être sorti de la prison du Cap Manuel le jeudi 14 mars, le candidat Bassirou Diomaye Faye de l’ex-Pastef sillonne le pays pour tenter de rattraper son retard auprès des électeurs. Le candidat de substitution d’Ousmane Sonko, qui n’a pas pu se présenter, a accordé une interview exclusive à RFI et au journal Le Monde. Il répondait aux questions de notre correspondante à Dakar, Léa-Lisa Westerhoff.
Pouvoir envisager sans tabou une sortie du franc CFA et restaurer une forme de souveraineté économique du Sénégal dans le concert des nations. Bassirou Diomaye Faye, du haut de ses presque 44 ans, veut incarner un renouvellement à la tête de l’État sénégalais.
« Je veux être quelqu’un qui amène de la rupture. Je n’ai pas été dans le moule de leurs formations politiques. Je n’ai pas le même ADN politique qu’eux. Et ça, on l’a revendiqué depuis le départ. On n’est pas venus pour faire les mêmes choses qu’ils sont en train de faire. On est venus pour faire autre chose ».
Et parmi les premières mesures, le candidat affirme vouloir restaurer une justice parfaitement impartiale et indépendante, qui soit la même pour tout le monde. Alors que ses détracteurs l’accusent d’être un musulman rigoriste, Bassirou Diomaye Faye assure réserver sa pratique religieuse à sa seule intimité et dit vouloir défendre la liberté des cultes et la laïcité de l’État du Sénégal.
« Je veillerai à ce que chaque Sénégalais, quelle que soit son orientation confessionnelle, puisse pratiquer librement sa religion au Sénégal, comme je l’aurais réclamé de n’importe quel Président au Sénégal et même dans d’autres pays qui se sont déclarés démocratiques ».
Enfin, sur sa stratégie électorale, le candidat appelle le Parti démocratique sénégalais de Karim Wade, qui n’est plus candidat à la présidentielle, à voter pour lui. Pour ce qui est des autres candidats de l’opposition, un appel au ralliement sera lancé en cas de second tour.
♦ Idrissa Seck veut se positionner comme une troisième voie de l’apaisement et de la réconciliation
Arrivé en deuxième position à la dernière élection de 2019, Idrissa Seck veut incarner une troisième voie dans cette campagne présidentielle. Lundi 18 mars, après un passage sur plusieurs marchés de la capitale pour rencontrer les commerçants, l’ancien Premier ministre sous Abdoulaye Wade s’est dirigé vers la banlieue, dans le quartier populaire et très peuplé de Keur Massar. Notre correspondante à Dakar, Juliette Dubois a suivi le meeting.
Les arrêts se multiplient à Keur Massar : une mosquée, une place publique, un terminus de bus… Idrissa Seck doit optimiser son temps pendant cette campagne très particulière, sur 12 jours seulement. « C’est une campagne très raccourcie, gênée par la concomitance du mois de ramadan et du mois de carême, mais on s’en sort malgré tout », a déclaré le candidat.
Idrissa Seck veut se positionner comme une troisième voie de l’apaisement et la réconciliation, dans une campagne fortement polarisée entre la majorité et l’ex-Pastef. Un discours qui séduit ses sympathisants, comme El Hadj Tall, cravate orange aux couleurs du parti Rewmi. « Idrissa Seck n’a de comptes à rendre à personne. C’est un président sage et expérimenté. Quand il viendra, inchallah, il va mettre la paix entre les Sénégalais, il va réconcilier les Sénégalais ».
Tous ont en tête l’élection de 2019, où Idrissa Seck avait terminé 2e avec plus de 20% des voix. Sera-t-il aussi audible cette année ? Docteur Modou Seck est cadre du parti Rewmi à Keur Massar. « Ça sera très difficile de faire mieux qu’en 2019, mais on espère pouvoir faire mieux. On ne suit pas les masses et les euphories. Les gens sont posés. La masse critique est restée chez elle, elle attend le moment pour se prononcer. Sur cette masse critique là, on pense qu’on en aura au moins 50%. »
Idrissa Seck promet entre autres des mesures pour alléger le coût de la vie des Sénégalais et lutter contre le chômage.
♦ Serigne Mboup veut décentraliser le Sénégal
Serigne Mboup fait partie des 18 candidats en lice. Il est maire de Kaolack, ville de 600 000 habitants, et PDG du groupe CCBM. Le candidat s’est rendu ce mercredi 20 mars à Ourossogui dans la région de Matam, dans le nord-est du pays, après avoir rencontré les habitants de Saint-Louis la veille. Le candidat souhaite décentraliser le Sénégal. Serigne Mboup fait le constat que « Dakar étouffe » et estime qu’il faut mieux répartir les activités à travers le pays.
« Les mesures emblématiques à prendre pour lutter contre le chômage des jeunes, c’est de créer et de décentraliser 6 pôles de développement économique, pour permettre le développement accéléré de notre économie qui se concentre à 95 % à Dakar. Ce qui n’est pas facile pour la compétitivité des entreprises. Et de pouvoir suivre de très près le développement local. Et amener la création de trois directions fortes qui vont générer directement les partenariats public-privé, les grands travaux et en même-temps l’évaluation des projets. Nous voulons aussi suivre et rentabiliser ces projets et créer un bon environnement de travail, de la stabilité et de la sécurité. »
♦ El Hadji Malick Gakou veut moderniser l’économie sénégalaise
El Hadji Malick Gakou porte les couleurs du « Grand parti » et de la coalition Gakou 2024. Le candidat se trouvait mardi et mercredi dans la région de Thiès. Il privilégie une campagne de proximité, en se rendant dans des petits villages. El Hadji Malick Gakou reconnaît que cette campagne a été très difficile à organiser compte tenu des « soubresauts » et du « calendrier chaotique », dit-il, de cette élection. Ce docteur en sciences économiques, qui a occupé des postes de ministre durant le premier mandat de Macky Sall, veut moderniser l’économie du Sénégal.
« Dans le cadre de mon programme, j’ai mis un accent particulier pour l’industrialisation de notre économie. Parce que le Sénégal vit une économie décapitalisante. C’est-à-dire que depuis très longtemps, nous consommons ce que nous ne produisons pas. Bien évidemment, cela permettra de lutter contre le chômage des jeunes et de mettre notre économie dans la voie de sa modernisation », explique El Hadji Malick Gakou.
« Nous allons moderniser le secteur primaire, puisque le secteur primaire ne représente que 20 % de la formation du PIB alors qu’il occupe pratiquement 85 % de la population, insiste le candidat. Nous allons tout faire pour que le processus d’industrialisation que nous allions engager concerne toutes les régions du Sénégal pour développer l’agriculture, l’élevage et la pêche. »
« En industrialisant ces secteurs, le Sénégal pourrait s’arrimer à la perspective d’une économie compétitive. Nous allons tout faire pour que les secteurs porteurs de croissance du secteur primaire puissent engendrer une plus-value extrêmement importante afin que le plus grand-nombre puisse tirer profit des fruits de cette croissance inclusive, à travers laquelle nous voulons faire en sorte que le visage du Sénégal change. »
♦ Aly Ngouille Ndiaye vise la souveraineté alimentaire du Sénégal
Cet ingénieur polytechnicien a été successivement ministre de l’Industrie, de l’Intérieur et de l’Agriculture au cours des deux mandats du président Macky Sall. Il passera par la région de Kaffrine ce jeudi 21 mars avant de tenir un grand meeting à Mbacké vendredi. Aly Ngouille Ndiaye considère cette campagne comme « la moins savoureuse », dit-il, parmi toutes celles qu’il a vécu. Il regrette un manque d’animations durant cette course à la présidentielle en raison des délais très courts et du télescopage de l’élection avec le jeûne du ramadan. Aly Ngouille Ndiaye promet d’atteindre la souveraineté alimentaire du Sénégal s’il est élu.
« Au Sénégal, nous importons l’essentiel de ce que nous consommons. Les dix premiers produits de consommation que nous utilisons au Sénégal nous ont coûté en importations, 1 056 milliards en 2022, dont 347 milliards seulement pour le riz. Plus de 230 milliards et quelques pour le blé. C’est pourquoi, nous, notre objectif numéro 1, c’est d’atteindre la souveraineté alimentaire au terme du premier mandat », déclare Aly Ngouille Ndiaye.
« Pour le faire, nous devons investir l’équivalent d’environ 1 000 milliards par an les cinq prochaines années. Il faut aujourd’hui constater, et je le dis, que quand vous prenez au Sénégal les budgets de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de l’industrie réunis, ça fait 366 milliards, pointe le candidat à la présidentielle. Ça ne fait même pas le budget de l’éducation, ça ne fait pas le budget de l’intérieur, ça ne fait pas le budget des infrastructures. »
« C’est pourquoi nous voulons réajuster certains budgets. Il faut mettre les investissements publics dans les secteurs où sont les Sénégalais, et c’est le secteur primaire. L’objectif pour moi, dans ce secteur primaire, c’est de créer au moins 1 million d’emplois, rien que dans le secteur primaire. Les Sénégalais ont besoin de sentir la croissance, pas uniquement de l’entendre. »
Source : RFI