Politique française/Comment Hollande et Royal ont enterré la hache de guerre
Ils se sont aimés, séparés et déchirés sous le regard des Français. Valérie partie, revoilà Ségolène : C’était il y a bientôt sept ans. Un tsunami bleu se profile à l’horizon. Après la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle, les socialistes ont la gueule de bois. Le PS est en miettes. Sans tête. Sa candidate à l’Elysée, Ségolène Royal, n’a jamais réussi à faire l’union autour d’elle.
Le premier secrétaire, qui est aussi son compagnon, paie l’usure du pouvoir après dix années à la tête du parti. En ce soir de premier tour des législatives, le 10 juin 2007, une voix s’élève pour exprimer le ras-le-bol de nombre de ses camarades. « J’en ai assez que la vie politique tourne autour de la vie d’un couple », tonne un jeune quadra, sur le plateau de France 3. Son nom ? Manuel Valls !
En fait de tsunami, ce ne sera qu’une vague. Le groupe socialiste sauve plus de 200 sièges. Mais la remontée du PS est effacée par la people-politique. La prophétie de Manuel Valls se réalise. Au-delà de ce qu’il avait pu imaginer. Alors que la soirée électorale du second tour bat son plein, l’AFP publie un communiqué surréaliste de Ségolène Royal : « J’ai demandé à François Hollande de quitter le domicile, de vivre son histoire sentimentale de son côté, désormais étalée dans les livres et les journaux, et je lui souhaite d’être heureux.«
La femme bafouée entend rester une femme debout. Trompée, elle l’a en fait été deux fois. Par son compagnon, mais aussi par ses faux amis de Solférino qui, en éventant ce secret de Polichinelle, l’ont contrainte à officialiser dans l’urgence ce qui devait être annoncé, dans un livre, quelques jours plus tard.
Clap de fin pour une histoire d’amour à nulle autre pareille ? Valls – et il n’est pas le seul – est alors loin d’imaginer qu’il va retrouver ce couple terrible dans des circonstances que seule la vie politique réserve.
Le 4 avril 2014, le quadra est devenu quinqua. Il vient d’être nommé Premier ministre. Autour de la table du conseil, les mêmes acteurs sont là. Seuls les titres ont changé. A Hollande, Valls donne du « Monsieur le président de la République« , long comme le bras. A Royal, du « Madame la ministre de l’Ecologie ». Sous les yeux ébahis des Français, les voilà réunis au cœur même de ce pouvoir qu’ils ont tant convoité. Retour sur le plus étonnant vaudeville de la Ve République.
Automne 2008 : le congrès du divorce
A l’automne 2008, les socialistes se choisissent un nouveau premier secrétaire. Après plus d’une décennie à la direction du parti, François Hollande vient, enfin, de passer la main. Le congrès de Reims est le théâtre d’une de ces batailles dont le PS a le secret. Les protagonistes s’appellent Martine Aubry, Bertrand Delanoë et… Ségolène Royal ! La présidente de Poitou-Charentes a repris sa liberté. Elle entend aussi récupérer le poste qu’occupait le père de ses quatre enfants. Mais il est écrit que ces deux-là ne feront jamais rien comme les autres.
Hollande, plutôt que de rester neutre, soutient Delanoë, tandis que les équipes de Royal s’emploient à cacher à leur patronne la présence, dans la salle du congrès, d’une femme dont ils savent qu’elle la déstabilise : Valérie Trierweiler, la nouvelle compagne de François. Opération réussie !
Pourtant Ségolène rate son discours. Et si sa motion est arrivée en tête du vote des militants, les éléphants, eux, continuent de renâcler. Se ranger, une fois encore, derrière la Madone du Poitou ? Pas question ! Le 21 novembre, l’élection de la nouvelle première secrétaire tourne à la tragi-comédie. Donnée victorieuse en milieu de soirée, Royal est annoncée vaincue à l’aube. Elle a beau crier à la tricherie, Aubry est finalement désignée.
Claquemurée dans l’ancien domicile conjugal de Boulogne-Billancourt, Ségolène rumine. Hollande lui a d’abord fait transmettre des mots de félicitations, avant de se terrer dans un silence qu’elle juge coupable. Ce soir-là, il est resté à Tulle plutôt que de vérifier à Solférino le décompte des votes. Encore une fois absent. Décidément, il ne changera jamais. Une séparation, deux défaites, une nouvelle trahison en seulement dix-huit mois !
C’en est trop. Royal se retire sur ses terres. La traversée du désert commence.
Septembre 2011 : Primaire amère
Trois ans ont passé. Royal se lance à corps perdu dans une nouvelle bataille. Celle de la primaire pour la présidentielle. La voilà ressourcée, reconstruite. Mais sur son chemin, toujours le même obstacle : François. Il est le favori, elle est l’outsider. Au sein de l’équipe de Royal, deux stratégies s’opposent. Faut-il ou non traiter Hollande comme les autres candidats ? Bien sûr, répondent les plus politiques. Impossible, rétorquent ceux pour qui on ne peut faire table rase du passé.
La candidate ne tranchera jamais. Le passé continue de l’entraver au moment même où elle tente d’écrire une nouvelle page de sa vie politique. Lors du premier débat télévisé, le 15 septembre 2011, elle n’est que l’ombre d’elle-même. Comme si la présence de Valérie Trierweiler dans les loges l’avait ébranlée.
En fait, son entourage a réussi, une fois encore, à la lui dissimuler. Mais son image de loser brouillonne et instable lui colle à la peau. Royal n’est plus à la mode. La petite secte qui l’entoure l’a empêchée de s’en rendre compte.
Déstabilisée, Royal lâche des coups qui ne sont pas de son niveau : « Le point faible de François Hollande, c’est l’inaction. Est-ce que les Français peuvent citer une seule chose qu’il aurait réalisée en 30 ans de vie politique ? Une seule ? » En privé, le même Hollande fait mine de s’en amuser.
Lui, rien fait ? Avec un brin de muflerie, il se contente de lever quatre doigts. Quatre, comme le nombre des enfants qu’ils ont eus… Entre eux, c’est le temps du mépris.
Octobre 2011 : François, malgré tout…
Le 9 octobre 2011, des larmes roulent sur les joues de Ségolène Royal. Son ancien compagnon, cette fois, n’y est pour rien. Ce sont les sympathisants socialistes qui, au premier tour de la primaire, lui ont retiré leur affection. La magie de 2007, celle qui avait encore opéré lors du congrès de Reims, s’est envolée.
Seuls 7% des votants lui ont apporté leurs suffrages. Une humiliation qu’elle n’a pas vue venir, sûre de sa bonne étoile. « C’est dur« , confie-t-elle, la gorge nouée.
Désormais, elle a le choix entre deux traîtres : Aubry, qui lui a volé le poste de premier secrétaire en 2008, et Hollande, qui présente Valérie Trierweiler comme « la femme de [sa] vie« .
Ce dimanche soir de déroute, Royal est seule avec ses enfants. Son dilemme est aussi le leur. Seule encore, le lendemain matin, au milieu de son conseil politique divisé comme jamais. Seule toujours, l’après-midi, dans ses bureaux de la rue du Départ à Montparnasse, pour recevoir, tour à tour, les deux finalistes de la primaire. Pendant 24 heures supplémentaires, elle va hésiter, dîner de nouveau avec ses enfants, réunir encore son conseil politique.
Le mercredi, elle annonce son soutien à Hollande dans un communiqué précis mais sans affect. « C’est un choix politique pour amplifier le score du candidat arrivé en tête », justifie un proche. « Un choix d’apaisement aussi« , tempère un autre. Comme pour signifier que sa décision ne vaut pas pardon, elle refuse toutefois de participer au meeting du futur vainqueur, entre les deux tours de la primaire. Pour la représenter, elle envoie Dominique Bertinotti, qui penchait pour Aubry. Parfois, Ségolène Royal a l’amour vache !
Juin 2012 : le tweet qui tue
Ce devait être un cadeau de réconciliation. Ce sera un piège, dans lequel elle va sauter à pieds joints. En échange de son soutien, Hollande a promis à Royal, s’il est élu à l’Elysée, la présidence de l’Assemblée nationale.
Encore faut-il qu’elle redevienne députée, alors qu’elle a laissé, avec un brin de panache, son ancienne circonscription des Deux-Sèvres à Delphine Batho. Une autre circonscription en or lui tend les bras, à La Rochelle. Elle lui sera réservée ; mais sans consultation des militants locaux. Grosse erreur ! Valérie Trierweiler, qui a gardé des amis et de beaux souvenirs dans cette ville, fulmine déjà en privé.
Lorsque le 12 juin, deux jours après le premier tour des législatives, elle entend « l’ex » se vanter à la radio d’avoir reçu un mot de soutien du président, elle voit rouge. Ce mot, Royal entend le publier dans sa profession de foi. Un privilège dont aucun autre candidat ne peut se prévaloir ! Trierweiler prend son téléphone et tweete, pleine de rage : « Courage à Olivier Falorni qui n’a pas démérité, qui se bat aux côtés des Rochelais depuis tant d’années dans un engagement désintéressé. » Falorni, le candidat socialiste dissident ! Falorni, celui qui accueillait en secret le couple adultère avant 2007.
A La Rochelle, Royal, entourée ce jour-là d’Aubry et de Duflot, est sonnée. Dans son bureau de l’Elysée, alors qu’il reçoit Lionel Jospin sans rien lui confer de l’affaire, Hollande est livide. Plus tard, il alternera entre colère et stupéfaction.
Quelques jours plus tôt, sentant venir la catastrophe, il a proposé à Ségolène d’intégrer le gouvernement, avec le portefeuille de la Justice. Mais elle a refusé. C’est le perchoir ou rien. Elle veut s’épanouir à Lassay, faire de la présidence de l’Assemblée la vitrine d’un nouveau ségolénisme. Loupé ! Alors qu’elle était prête à signer la paix avec le président, c’est la première dame qui lui a déclaré ouvertement la guerre. Lui n’a rien dit. Changera-t-il jamais ? Deviendra-t-il un jour ce qu’il prétend être : normal ?
Février 2013 : le train du bonheur
François Hollande sait qu’il ne peut plus rien pour Ségolène Royal. Ou presque. Valérie Trierweiler les surveille avec un soin jaloux. Un moment, il a imaginé remettre dans le circuit son ex-compagne en la promouvant comme tête de liste des socialistes aux européennes de mai 2014, dans le Grand-Ouest.
Puis il a trouvé plus simple et plus direct, moins voyant pense-t-il également. Parfois le président est un peu innocent. La présidente de Poitou-Charentes a une marotte : l’aide à l’investissement des entreprises. Alors que la Banque publique d’Investissement voit le jour, Hollande la pousse à sa vice-présidence avec, en prime, un poste de porte-parole. Lors du premier conseil d’administration, le 21 février 2013 à Dijon, Royal rayonne dans son long manteau bleu électrique.
Dans le TGV du retour à Paris, aux côtés de Jean-Pierre Jouyet, le président de la BPI, et de Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, elle est aux anges – même si elle n’a rien oublié. Les énarques l’ont toujours méprisée ? Elle le leur rend bien, lorsqu’elle singe Nicolas Dufourcq, le directeur général de la BPI. Valérie la poursuit de ses acidités ? Elle moque ouvertement son style, sa manière de s’habiller, cette façon de vouloir surveiller tous les faits et gestes de son compagnon. La pauvre ! Si elle savait… Pour l’heure, en tout cas, l’Elysée reste, pour Ségolène, un château interdit.
Mais elle ne désespère pas. Déjà, elle vient de faire un premier pas – le plus dur ! – dans ce qu’elle appelle «le dispositif», puisque c’est ainsi qu’elle désigne le pouvoir.
Mars 2014 : A l’Elysée, en famille…
Comme Jean-Pierre Jouyet ou Michel Sapin, Jean-Yves Le Drian est resté proche à la fois de Ségolène et de François après leur séparation. Ce 28 janvier 2014, le ministre de la Défense reçoit son amie à l’hôtel de Brienne. En réalité, c’est une future collègue qu’il a invitée à déjeuner. Un remaniement gouvernemental est désormais inévitable, et c’est lui que Hollande a chargé de sonder Ségolène.
Comme toujours, elle n’y va pas par quatre chemins. La Justice ? L’Education ? Elle veut plus ! Un grand ministère de l’Intelligence, avec la Culture au centre, ne serait pas pour lui déplaire. Jack Lang, en son temps, avait eu la même ambition. A défaut, Royal dit qu’elle ne refuserait pas le portefeuille de l’Ecologie, à condition qu’il soit élargi à l’Energie.
L’échéance approche et les échanges s’intensifient. Avec, maintenant, Hollande en personne. Le 29 mars, la veille du second tour des municipales, Royal déjeune à l’Elysée, avec le président et leur fille Flora, âgée de 21 ans. Trierweiler a été congédiée et, même si tous les ponts ne sont pas coupés, il n’y a plus aucun obstacle sur la route de Ségolène.
Le grand retour, c’est maintenant. Le 2 avril, sa nomination est officielle. Ce sera l’Ecologie, donc. Avec l’Energie, bien sûr. Et pour ne rien gâcher, le troisième rang dans l’ordre protocolaire du gouvernement. Philippe Martin, l’ancien titulaire du maroquin, ne peut que s’effacer. Il le fait avec dignité. Quelques jours plus tard, comme pour s’excuser de l’avoir évincé, Hollande aura pour lui ce mot qui dit tout : « Tu comprends, c’est Ségolène… »
Le Nouvel Observateur