Politique

Lutte contre le terrorisme/ L’analyse du SG de l’Alliance Africaine


SG de l'Alliance Africaine contre le terrorisme, Mohamed Sylla (Ph:Dr)

SG de l’Alliance Africaine contre le terrorisme, Mohamed Sylla (Ph:Dr)

Quand des jeunes africains massacrent d’autres jeunes africains, la réponse au terrorisme ne peut pas être seulement dans l’action militaire. La tentation de l’indifférence comme la simple répression armée contre des jeunes embrigadés sont inefficaces. En effet, le terroriste, qui ne craint point la mort, n’est pas un criminel classique. Pour le combattre, il faut d’abord le comprendre dans ses mécanismes et son idéologie car il faut aussi le combattre sur le terrain des idées.

L’attaque terroriste perpétré par trois jeunes Shebabs somaliens contre des étudiants du campus de Garissa ne relèvent ni de la criminalité ordinaire ni de la guerre et charrient une puissance idéologique immense. Pour une raison fondamentale : le rapport que les terroristes entretiennent avec la mort. Dans la criminalité classique, même s’il l’envisage comme possible, le criminel craint la mort. Ainsi, le voleur entend jouir des biens soustraits, l’assassin vivre délesté de son contemporain haï. Pareil pour le militaire, qui, même s’il est prêt à donner la mort autant qu’à la recevoir, la craint et il s’y prépare sans l’espérer. Dans ces cas la mort n’est en rien une option positive envisagée par les protagonistes. L’idéologie terroriste quant à tend elle à faire disparaître cette crainte de la mort parce qu’ils la regardent comme une naissance et comme le moyen d’accéder à une forme d’éternité. Ce faisant, ils tournent le dos à la modernité politique de notre ère. En s’en prenant à une université, un sanctuaire du savoir, ces individus tentent de réduire au silence notre esprit critique, celui qui veut que par l’éducation nous nous élevions à ce stade qui permet à notre intelligence de distinguer le blé de l’ivraie, la vérité du mensonge.

C’est pourquoi, notre condamnation doit être plus forte que jamais. Pour revendiquer ce droit à être libre et de penser librement nos choix.  L’un des terreaux sur lequel grandissent ses groupes criminels c’est bien celui de l’obscurantisme auquel nous devons opposer l’audace de notre esprit critique et la promesse d’un livre à nos enfants. S’il est vrai que ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que l’obscurantisme et la violence tentent d’imposer leur vision (anarchistes, fascistes, nazis, communistes révolutionnaires se sont construits sur la peur), le terrorisme qui se réclame faussement de l’Islam apparait comme une menace majeure, surtout pour les Etats africains, traditionnellement en proie à toute sorte de crise.

Les guerres de religion des XVIe et XVIIe siècles en Europe ont été alimentées par deux promesses : celle de la rémission des péchés en cas de mort héroïque contre l’impie. Cette promesse posait ainsi le principe d’un certain avantage à mourir et celui du caractère intrinsèquement juste du fait de tuer un impie soit une certaine considération à tuer. Ces deux convictions des « dévots », qu’ils aient été catholiques ou réformés, qui ont ensanglanté l’Europe pendant un siècle, ont été progressivement mises en doute au fil des années. D’une certaine façon c’est cette remise en cause du martyrisme et du meurtre qui a préposé à la construction de l’État moderne tel que nous le connaissons, c’est à dire un espace de paix et de tolérance. Depuis lors trois nouvelles promesses sont nées. La première consiste à dire que l’État ne remet pas les péchés. Dès lors il n’y a aucun avantage à mourir. Mourir pour un homme politique ou un faux calife qui qu’il soit relève de la pure stupidité. Lutter contre le terrorisme, politique comme « islamistes » reviendrait ici à déconstruire le discours selon lequel mourir peut se relever être un acte héroïque. Ce combat doit être menée aussi bien par l’Etat que part la société civile, notamment les religieux, si l’on veut éviter que se développe des tentations du citoyen ennemi.

La seconde affirme que désormais l’État punit les criminels. Dès lors il n’y a donc tout à craindre à tuer quiconque et quel qu’en soit les raisons. La justification de l’état de droit se trouve là, c’est à dire la garantie du parfait équilibre des balances de la justice pour tous, victime comme bourreau.

La troisième enfin, énonce que l’Etat a monopole de l’usage de la force pour mater les délinquants (droit pénal interne) et pour vaincre l’ennemi (droit international des conflits armés).La réponse ici ne saurait être purement nationale. Dans un espace ouest africain notamment ou les frontières n’existent que sur le papier, la réponse doit être communautaire, tant dans le renseignement que dans l’action militaire. L’exemple de la coalition Tchad-Cameroun-Niger le démontre suffisamment. Ils ont été nombreux les africains à critiquer la réaction peut intéressée de la communauté occidentale qui a suivie Garissa. 147 étudiants tués. Notre indignation doit cependant être plus forte face à la torpeur des états africains face à ce massacre. A la vérité, la vie d’un jeune occidental vaut plus aux yeux des dirigeants des Etats occidentaux.  La vie d’un jeune africain leur importe autant que cela importe aux yeux de nos propres Etats. Presque rien. Avec l’idéologie terroriste, il n’y a certainement rien de plus dangereux qu’un jeune à qui l’ont déni toute valeur.

En somme, ces trois promesses modernes font de l’état de droit notre protection contre la terreur, la guerre et le crime international : la citoyenneté, la justice et la solidarité, le tout sur un fond de déconstruction des discours extrémistes. Le terrorisme est une idéologie violente. Ces terroristes n’ont rien à voir avec l’Islam. Ce ne sont donc pas des « islamistes » ni « djihadistes », pas plus que des fondamentalistes chrétiens ne devraient être rattachés au christianisme. Car dans les deux cas, les actes criminels de quelques individus ne devraient jamais être revêtus du sceau de la religion, au risque de légitimer leur idéologie destructrice notamment dans les esprits de leurs recrues. La terminologie à appliquer à ces bandits doit être sans équivoques : ce sont des criminels, des terroristes, des extrémistes violents. Cette construction intellectuelle et terminologique est importante dans la bataille notamment médiatique et idéologique.

Nous rejetons l’idée que ses sectateurs soient tous des déments, des faibles d’esprit ou des enfants perdus. Notre appel vise dès maintenant à nous mettre alerte. Aucun pays n’est à l’abri. La côte d’Ivoire n’est pas plus à l’abri que tous les pays qui nous entourent et qui sont en guerre contre la terreur. Nous devons travailler sur cette idéologie violente et la combattre sur le terrain des idées aussi. Les batailles seront de toutes sortes, longues et couteuses. La première d’entre elles serait de redonner davantage de contenu positif à la concitoyenneté. Redonner à la jeunesse désœuvrée et perdu, des repères et des raisons de croire en l’avenir, qu’ils soient tous citoyens avec les mêmes chances et le même respect pour leur pays. Cela ne suppose pas seulement du bien-être matériel, mais de se féliciter à chaque instant de pouvoir vivre avec nos familles et tous ceux que l’on aime, dans un monde de liberté, de démocratie et ou la république protège chacun.

Puisse Dieu nous accorder la sagesse et le discernement nécessaires pour vivre avec Lui, et parmi les Hommes.

 

Mohamed SYLLA,SG de l’Alliance Africaine contre le terrorisme, analyste politique

 

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