Politique

La crise du covid-19 va-t-elle déstabiliser des régimes fragiles en Afrique ? (correspondance)


Dans un courrier diplomatique du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (Casp) du 24 mars 2020, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères indique que la crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des États incapables de protéger leur population.

« En Afrique notamment, ce pourrait être « la crise de trop » qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale) », révèle la correspondance intitulée : « L’effet pangolin » : la tempête qui vient en Afrique ?

Pour le directeur, Manuel LAFONT RAPNOUIL et le rédacteur, Jean-Pierre BAT, vu d’Afrique, le Covid-19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique qui va amplifier les facteurs de crise des sociétés et des États. « Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques », résume la note. Nous vous proposons l’intégralité de la note qui s’interroge sur un soulèvement populaire à l’avenir.

Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères

Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie

NDI-2020-0161812 (Cercle Ouvert)                                        Le 24/03/2020

NOTE DIPLOMATIQUE

pour

Destinataires in fine

Objet : Note du CAPS – « L’effet pangolin » : la tempête qui vient en Afrique ?

Résumé

 La crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des Etats, incapables de protéger leur population. En Afrique notamment, ce pourrait être « la crise de trop » qui déstabilise durablement, voire qui mette à bas des régimes fragiles (Sahel) ou en bout de course (Afrique centrale). Vu d’Afrique, le Covid-19 se présente sous la forme d’un chronogramme politique qui va amplifier les facteurs de crise des sociétés et des Etats. Face au discrédit des élites politiques, il convient de trouver d’autres interlocuteurs africains pour affronter cette crise aux conséquences politiques.

  1. La crise de trop sur les appareils d’États ?

L’onde de choc à venir du Covid-19 en Afrique pourrait être le coup de trop porté aux appareils d’État. Le taux de médicalisation est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent être considérés comme saturés d’office. L’Etat va faire massivement la preuve de son incapacité à protéger ses populations. Cette crise pourrait être le dernier étage du procès populaire contre l’Etat, qui n’avait déjà pas su répondre aux crises économiques, politiques et sécuritaires.

Les déclencheurs de la crise politique pourraient prendre plusieurs formes : un nombre trop élevé de décès ; l’effet de comparaison défavorables à certains Etats – notamment francophones – fragiles ou dont les politiques publiques sont défaillantes (Sahel, Afrique centrale) au miroir d’autres Etats africains aux institutions plus solides qui incarnent l’autorité (à l’image du Rwanda ou du Sénégal) ; ou encore le « mort politique zéro » – c’est-à-dire la personnalité dont la mort cristalliserait la contestation, qu’il appartienne au système en place ou à l’opposition.

Le risque d’infection d’un dirigeant âgé et souffrant d’autres pathologies pourrait avoir de lourdes conséquences et obligerait à se positionner clairement et rapidement sur la fin d’un système et sur une transition.

De manière plus structurelle, le Covid-19 a deux dimensions économiques spécifiques sur le continent. En Afrique de l’Ouest, les mesures de confinement saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie quotidienne essentielle au maintien du contrat social. En Afrique centrale, le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville (effondrement d’un prix du baril déjà en crise avec la demandé, aggravé par un ralentissement de la production, et risque d’accélération de la réflexion d’opérateurs pétroliers – Total au premier chef – de quitter ces pays), là aussi au cœur des équilibres sociaux. Dans les deux cas, cela pourrait constituer le facteur économique déclencheur des processus de transition politique.

  1. Un virus politique

Les villes sont les potentiels épicentres de crises. Au bout de quelques semaines – certainement assez rapidement – la question du ravitaillement des quartiers va se poser sous trois formes : l’eau, la nourriture et l’électricité. Des phénomènes de panique urbaine pourraient apparaître : elles sont le terreau sur lequel se construisent les manipulations des émotions populaires. Cette recette fait le lit d’entreprises politiques populistes. Ce sont les classes moyennes en cours de déclassement qui seront les premières fragilisées, car leur quotidien risque de s’effondrer. La question de la sélection ne portera pas sur les personnes à sauver médicalement (faute de capacités d’accueil), mais sur les besoins de premières nécessités : quel quartier ravitailler ? quelles autorités locales crédibles peuvent être les relais d’organisation de la distribution ? quels produits de première nécessité fournir dans une phase attendue de pénurie ? Dans ce contexte, des hausses de la délinquance sont attendues, mettant d’autant plus à l’épreuve l’autorité de l’Etat.

‘’Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique… et sans doute ailleurs’’.

Le discrédit qui frappe les paroles institutionnelles va en outre s’amplifier. L’information se recompose déjà par le bas, en marge des informations publiques via les réseaux sociaux. Le poids des réseaux sociaux va considérablement peser, a fortiori avec le confinement qui va couper littéralement les sociétés des institutions publiques. Faute de parole publique crédible, les thèses complotistes commencent déjà à fleurir et s’ajoutent aux simples fausses informations pour participer d’une perte de contrôle des opinions publiques. A cela s’ajoutent les dynamiques de rumeurs populaires, lesquelles sont tout autant susceptibles d’être instrumentalisées pour orienter des violences collectives.

  1. « Infodemic » : serment d’Hippocrate versus serments d’hypocrites

Le répertoire de la morale publique va être mobilisé face à la faillite des gouvernants. L’immanquable détournement de biens publics (à commencer par des masques) et de l’aide sanitaire internationale à venir (déjà dénoncée sous le terme « Covidbusiness ») peut facilement cristalliser l’ultime perte de crédit des dirigeants.

A ce stade, quatre catégories d’acteurs ont la capacité de mobiliser des foules, qui doivent donc d’ores et déjà constituer des interlocuteurs pour nos efforts de gestion de la crise en Afrique.

  • Les premiers sont les autorités religieuses. Si des institutions ont accepté d’accompagner les premières consignes (Eglise catholique, certaines confréries musulmanes), d’autres pourraient vouloir défier l’ordre public pour imposer le leur dans ce moment de faiblesse de l’Etat, des entrepreneurs politico-religieux musulmans au Sahel avec un agenda socio-politique aux Eglises du Réveil sur la Côte avec un agenda plus eschatologique. Ils ont fondé leur succès sur la canalisation politique des émotions populaires.
  • Les deuxièmes sont les diasporas : elles ont un devoir d’information civique. C’est d’Europe, depuis les relais d’information organisés par les diasporas, que sont considérées les informations fiables lues et diffusées sur le Covid à travers l’Afrique francophone.
  • Les troisièmes sont les artistes populaires : ils restent – à quelques exceptions près – des autorités morales crédibles et façonnent les opinions publiques.
  • Les quatrièmes sont les entrepreneurs économiques et les businessmen néo-libéraux. Riches et globalisés, ils se positionnent comme les philanthropes du continent : ils peuvent jouer un rôle s’ils décident d’engager leurs moyens ou de se poser en intermédiaires entre le système de gouvernance mondiale et l’Afrique, mais dans tous les cas, ils souligneront la faillite de l’Etat.

Face à l’incapacité de l’Etat à protéger ses populations et face aux ambitions politico-opportunistes de certains, il convient en outre de soutenir des paroles publiques d’experts africains scientifiques et spécialistes de la santé. Il existe une communauté scientifique médicale africaine qui peut être mobilisée et soutenue. La crise du Covid-19 va repositionner la perception du bien public en dehors des mains des gouvernants, dans le discours mais surtout dans les rapports de force politique pour le contrôle de l’Etat, pendant et après la crise.

Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique… et sans doute ailleurs.

                                           Etiquette(s) : Politique

Manuel LAFONT RAPNOUIL (Directeur)

Rédacteurs : Jean-Pierre BAT

Destinataires de la note diplomatique :

Emmanuel BONNE,

Franck PARIS,

Marie AUDOUARD,

Alexandre MIRLESSE,

Nicolas ROCHE,

Emmanuel PUISAIS-JAUVIN,

Jeremie ROBERT,

Augustin FAVEREAU,

Secrétariat Général,

Dgp – Affaires Politiques Et De Sécurité,

Daoi – Afrique Et Océan Indien,

Nuoi Nations Unies – Organisations Internationales – Droits De L’homme Et

Francophonie,

Affaires Stratégiques, De Sécurité Et Du Désarmement,

Conseiller Pour Les Affaires Religieuses,

Centre De Crise Et De Soutien,

Coopération De Sécurité Et De Défense,

Direction Du Développement Durable,

Direction Générale Mondialisation, Culture, Enseignement, Développement

International,

Direction De L’union Européenne,

Anmo Afrique Du Nord Et Moyen-Orient,

Direction Et Pilotage Du Réseau Consulaire,

Direction De La Communication Et De La Presse,

Distribution Afrique,

Distribution Union Européenne,

Distribution AnMo,

Onu New York (Rp),

Onu Geneve (Rp),

Fao Rome (Rp),

Washington,

Pekin,

Cabinet Du Premier Ministre,

Agence Française De Développement,

Direction De La Stratégie,

Cabinet De La Ministre Des Armées,

Ema – Cabinet Du Chef D’état-Major Des Armées,

Ema – Centre De Planification Et De Conduite Des Opérations,

Ema – Direction Du Renseignement Militaire,

Direction Générale Des Relations Internationales Et De La Stratégie,

Ema – Pôle Relations Internationales Militaires,

Direction De La Coopération Internationale,

Cabinet De La Ministre Des Solidarités Et De La Santé,

CAMILLE PETIT,

Sandrine GAUDIN,

Etienne RANAIVOSON,

Délégation Pour Les Relations Avec La Société Civile Et Les Partenariats,

Direction De La Culture, De L’enseignement, De La Recherche Et Du Réseau,

Unesco Paris (Dp)

Manuel LAFONT RAPNOUIL – 37 QUAI D’ORSAY, Paris, Paris – manuel.lafontrapnouil@diplomatie.gouv.fr

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