Interview/Ali Bongo Odimba : « Omar Bongo a voulu apporter des changements et ceux qui me combattent l’ont empêché. »
Abidjan-15-09-16 (lepointsur.com) Déclaré vainqueur avec 49,80 %, ce résultat du président sortant Ali Bongo Odimba est contesté par l’opposition. Celle-ci a déposé un recours pour demander le recomptage des votes, bureau par bureau, de la province du Haut-Ogooué. La Cour constitutionnelle doit rendre son verdict le 23 septembre au plus tard. En attendant cette date fatidique, il s’est confié à Le point. Entretien.
Le Point Afrique : Le pays est dans l’attente du verdict de la Cour Constitutionnelle qui doit valider, ou non, votre élection. Dans quel état d’esprit êtes-vous ? Êtes-vous confiant ?
Ali Bongo: Confiant, je le suis. Faisant confiance à nos institutions, sereinement, j’attends le dénouement de cette période de recours.
Le cas échéant, vous imaginez-vous loin du pouvoir ?
On me pose souvent cette question. Chaque fois, je réponds que, moi, je suis un démocrate. À la différence de certains de mes concurrents, je n’appelle pas à la violence, je n’envoie pas mes partisans dans les rues pour piller, brûler, casser, je fais confiance aux institutions de la République. Nous avons des lois qui sont solides, et que nous voulons respecter à la lettre.
Comprenez-vous que certains n’ont pas confiance en la Cour constitutionnelle ?
C’est étrange parce que, lorsque les candidats de l’opposition remportent des victoires, cette même Cour constitutionnelle ne pose aucun problème. Que ce soient des élections sénatoriales, législatives, municipales, locales. Lorsque cette Cour constitutionnelle rejette des projets de loi du gouvernement, elle fait bien son travail. Mais lorsque quelqu’un de la majorité gagne, ah, là, tout de suite, il faut la dénoncer. Je voudrais quand même faire remarquer que des membres ont été nommés par l’ancien président de l’Assemblée nationale, dont on sait aujourd’hui quel était réellement le fond de sa pensée. Je fais confiance à la plus haute juridiction de notre pays, qui a prouvé, depuis qu’elle existe, son efficacité et sa crédibilité. Le fait que sa présidente ait présidé des institutions regroupant des cours constitutionnelles africaines, et même francophones, est une reconnaissance de la qualité et de la probité de cette dame.
On lui reproche les liens avec votre famille…
S’il faut entrer dans ce débat, encore une fois un débat nauséabond, puisque nous sommes habitués, venant de l’opposition, nous pourrons faire remarquer que beaucoup d’entre nous ont des liens de famille. J’ai quand même un concurrent qui est aussi mon beau-frère. Et qui a aussi des parents à la Cour constitutionnelle. Moi, je n’en parle pas, je fais confiance à l’institution. Ça révèle encore une fois la crainte, la peur et le désarroi de mes adversaires qui cherchent tous les prétextes pour expliquer leur défaite.
Comme vous dites, vous êtes un démocrate, donc vous vous plierez à sa décision ?
Ce n’est peut-être pas à moi qu’il faut poser cette question-là, mais à d’autres, qui ont encore une fois prôné qu’ils iront jusqu’au bout, on ne sait au bout de quoi, et que, quelles que soient les décisions de la Cour constitutionnelle, ils ne les reconnaîtront pas.
Comprenez-vous que les gens désirent un changement de nom de famille à la tête de l’État ?
Il ne faut pas juger quelqu’un sur le patronyme, mais sur l’action apportée. Moi, je représente le renouveau, le vrai changement. Mes adversaires représentent un ancien régime, dont ils furent les barons, les caciques. Et lorsque vous étudiez leur façon de faire ou leur programme, vous vous apercevez qu’il n’y a aucun changement. Le changement, moi, je l’ai apporté. Par rapport à 2009, le renouvellement a été très important dans nos équipes, le personnel politique. Nous avons pu donner leur chance à plein de jeunes et de femmes. Ce n’est pas le cas en face, ou alors qu’on me montre ces nouvelles têtes. Moi, je peux vous en citer beaucoup qui ont apporté une autre façon de faire, une autre politique, depuis sept ans.
Il s’agit plutôt d’un sentiment exprimé par les Gabonais…
Ceux qui s’opposent à moi veulent nous ramener vers un régime que nous avons connu. Ils ont fait toute leur carrière politique à l’intérieur. Si on veut vraiment du changement, ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut regarder. Moi, je suis effectivement le fils d’Omar Bongo Ondimba. Mais moi je connais bien le système. Et j’ai vu tout ce qui a fonctionné et qui n’a pas fonctionné. Du reste, la rupture que je prône, ça n’a rien à voir avec le fait de tourner le dos à mon père. Ce sont des idées que j’ai pu échanger avec lui. Omar Bongo a voulu apporter des changements et ceux qui me combattent l’ont empêché. Je faisais partie d’un groupe que j’animais, à l’intérieur du PDG, le Parti démocratique gabonais, Les Rénovateurs. Et nous nous sommes battus pour la démocratisation. Et pourtant, mon nom est Bongo.
Que pensez-vous de l’attitude de la communauté internationale à votre égard ? Vous n’avez pas reçu de félicitations de chefs d’État…
Les félicitations sont prématurées puisqu’il s’agit de résultats provisoires. Ils doivent être confirmés par la Cour constitutionnelle. Les gouvernants connaissent la différence. Moi-même, j’évite de me prononcer lorsque nous sommes en face de résultats provisoires, et nous attendons tous des résultats définitifs et officiels. Donc ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète.
Et la France ? Manuel Valls a demandé le recomptage, auquel vous vous opposiez…
Je n’ai jamais été contre le recomptage. Tout ce que j’ai indiqué, c’est qu’on a déjà compté. Les commissions départementales récupèrent les résultats des villages, cantons, et comptent. Vous avez les commissions communales, pour les grandes villes, là aussi, on compte, bureau par bureau. Au-dessus, on ramène tout à la commission provinciale et c’est de nouveau compté. Donc, trois fois, nous comptons. Ces résultats sont centralisés à la Cenap, qui les transmet à la Cour constitutionnelle, et on recompte. Donc nous comptons quatre fois. Alors, je suis étonné que l’on vienne me demander de recompter.
Vous avez dit que certains membres de la mission d’observation de l’Union européenne avaient outrepassé leur mandat. Qu’est-ce que cela signifie ?
Nous avions signé un accord. Et, par rapport à cela, il y a eu des comportements qui ne cadraient pas dans les missions. Je ne condamne pas toute l’Union européenne, mais les agissements de certains membres qui, notamment, se sont affichés avec le candidat de l’opposition en allant le voir chez lui. Quand vous avez certains membres qui vont rendre compte à certains candidats à leur domicile, dans des visites nocturnes, je ne sais pas comment vous appelez ça.
De nombreuses familles ont parlé, à la sortie du tribunal lors des déferrements, de conditions de détention très dures, humiliantes pour leurs proches arrêtés depuis la nuit du 31. Que répondez-vous à cela ?
Nous avons eu recours à la Croix-Rouge gabonaise pour assister tous ceux qui ont été détenus. Et aujourd’hui, nous n’avons pratiquement plus personne en détention. Sur le nombre important de personnes arrêtées lors des manifestations où nous avons assisté à des scènes de pillage, où on a détruit, brûlé, fait utilisation d’armes à feu, une partie de ces personnes-là ont été déférées par le procureur de la République et certaines sont arrêtées, d’autres attendent de passer en jugement.
Mais les conditions de détention ?
Je suis en train de vous dire qu’elles ont été assistées par la Croix-Rouge pour veiller à ce qu’elles soient bien traitées.
Elles disent qu’elles ont été maltraitées.
C’est elles qui le disent. Et encore une fois, dans un pays comme le nôtre, comme dans tous les pays, il y a des voies de recours, il faut les utiliser.
Il y a des parents qui cherchent encore leurs enfants. Il y a plus de 70 personnes inscrites sur un registre…
Je conseille à tous de se rapprocher de la justice, notamment du bureau du procureur.
Le bilan humain, qui était officiellement de 3 personnes, est-il appelé à évoluer ? Le procureur a été approché par des parents qui voulaient identifier des corps. Une liste circule de 18 morts par balles, reconnus à la morgue, par leurs parents.
Je n’ai pas cette information-là et je doute que nous ayons 18 personnes qui aient été tuées par balles. J’émets de forts doutes par rapport à cette information. Ce ne sont pas les chiffres que nous avons.
Donc vous n’y croyez pas ?
Non. De même que je vous ferai remarquer que M. Jean Ping a annoncé qu’il y avait entre 50 et 100 morts. Où sont-ils ? La question qu’on se pose : où sont ces corps ?
Ou alors M. Ping est-il en train de préparer un massacre pour vouloir nous l’attribuer ? Mais, à l’heure actuelle, il n’y a jamais eu des chiffres comme cela. Les gens vous donnent des chiffres… Et maintenant, au Gabon, plus personne n’a le droit de mourir. Quelqu’un meurt de mort naturelle, ça y est, c’est le pouvoir.
C’était par balles.
Quelles balles, à quel endroit ?
Ce sont les parents qui les reconnaissent…
Ce sont les parents qui le disent. Où est la liste de ceux qui sont morts, soi-disant par balles et par quelles balles, qui a tiré sur eux ? Nous nous inscrivons en faux. Les forces de sécurité ont fait un travail exemplaire et les ordres étaient de ne pas faire utilisation d’armes à feu. Mais, dans certains cas, des manifestants ont ouvert le feu sur les forces de l’ordre. J’ai à l’heure actuelle un jeune policier sur qui on a tiré au visage, qui a des plombs dans la tête. J’ai un officier de gendarmerie qui a reçu une balle de 7,65 dans la cuisse. J’ai des nôtres qui ont pris des éclats de grenades offensives et d’autres, des balles. Et ça, ce sont des faits, et ceux-là, je les ai visités à l’hôpital militaire, ils existent.
EKB avec Le point