Interview avec Ouattara Mohamed, président du collectif des victimes des affrontements inter-communautaires dans le Bounkani sans détour:
–‘’Les causes des affrontements sont multiples’’
Abidjan, 28-07-2016 (lepointsur.com) M. Mohamed Junior Ouattara, est le président du collectif des victimes des affrontements inter-communautaires dans le Bounkani. Une association née à la faveur des évènements malheureux survenus dans la région. Dans cet entretien, il présente un tableau mi-figue, mi-raisin quant à la cohésion sociale.
Quelles sont, selon vous, les causes réelles des affrontements des 24 et 25 mars dernier ?
Il faut dire que les causes sont multiples. Et à maintes reprises, nous avons fait savoir que cette crise n’a rien à avoir avec les crises éleveurs-agriculteurs. D’autant plus que la période même n’était pas propice à un conflit. La saison sèche battait son plein. C’est dire qu’il n’y avait pas de risque de destruction des champs. Toutes les récoltes étaient dans les greniers. La crise part du fait que les Lobis se croient maintenant prêts à créer un royaume dans le Bounkani comme ils l’ont toujours souhaité. Car, maintenant ils sont économiquement forts et ont des leaders bien positionnés à des postes clés. Ils ont du mal à accepter le pouvoir de sa Majesté Djarakoroni II. Le problème s’est posé lorsqu’on devait enregistrer les chefs au niveau de la Chambre des Rois et Chefs traditionnels de Côte d’Ivoire. Les Lobis ont exigé des postes. Mais il leur a été rétorqué que cela n’avait jamais existé dans le Bounkani. Même lors de l’attribution du nom Bounkani à la région, ils se sont opposés.
Qu’est- ce qui a présidé à la création de votre votre organisation ?
Le Collectif des victimes des affrontements inter-communautaires dans le Bounkani est né à la faveur des évènements malheureux qui ont eu lieu dans la région du Bounkani, le 24 mars 2016. Le 26 avril, un mois après, nous avons décidé de nous constituer en association, en vue de mieux défendre les intérêts de toutes les victimes.
Quel est l’objectif que s’est fixé le collectif dès sa mise sur pied ?
L’objectif principal, c’est de lutter et faire en sorte que les droits des victimes soient préservés et que réparations soient faites. De plus, nous nous sommes assigné la mission d’œuvrer dans le sens d’une cohésion sociale au niveau de la région et aider nos parents peuhls à se sédentariser dans le Bounkani.
Quel est l’état des lieux de la cohésion sociale après le passage du chef de l’Etat ?
Nous notons quelques améliorations après le passage du chef de l’Etat. Certes, ce n’est pas la satisfaction totale, mais il y a des avancées significatives. Comprenez que malgré tous les efforts au sommet de l’Etat, les populations continuent de se regarder en chiens de faïence. Chacun préfère rester dans son coin.
Ne prenez-vous pas position vis-à-vis des populations, à travers l’étiquette d’association de victimes ?
Dans tous les cas, nous étions obligés de nous constituer en association pour parler d’une seule voix. Cela se justifie par des évènements qui ont porté atteinte à nos droits,notamment, la destruction de nos biens. Pour nous, la seule alternative qui s’offrait était de se mettre ensemble. C’est vrai que nous ne pouvons pas fédérer tout le monde, mais la quasi-totalité des victimes se reconnaissent à travers le collectif des affrontements intercommunautaires dans le Bounkani.
Selon vous, la justice joue-t-elle son rôle par rapport à ce que le chef de l’Etat a dit ici lors de son passage, notamment sur la question de l’impunité ?
Non,malheureusement. Il faut cependant reconnaître qu’aux toutes premières heures qui ont suivi ce passage, je peux dire que dans l’euphorie, Jean-Marie, le chef des dozos et quelques personnes ont été arrêtés, et après plus rien. Selon les informations qui nous sont parvenues, il y aurait eu 117 arrestations dont 70% de dozos. Pis, tous ceux-là ont purement et simplement été relaxés. Pour nous, la justice a démissionné et ne fait pas le travail comme il faut. Il est impossible de rendre justice et dans le même temps, vouloir plaire aux gens. L’impression que nous avons, c’est que les autorités judiciaires veulent qu’on aille à la réconciliation, sans jugement.
Pouvez-vous identifier les personnes arrêtées et libérées sans jugement ?
Elles sont nombreuses. Récemment, un membre du collectif s’est rendu au Ghana où il a retrouvé ses bœufs entre les mains d’un Lobi et d’un Ghanéen qui étaient en train de les vendre. Fort heureusement, il a pu récupérer quelques têtes avec lesquelles il est rentré au pays. Des jours après, il retrouve les mêmes individus sur le territoire ivoirien. Il alerte alors les forces de l’ordre en faction à la frontière. Les deux malfrats sont arrêtés et conduits devant le parquet. Mais contre toute attente, ils sont libérés, selon eux, sur ordre du procureur de la République.
Pis, les forces de l’ordre qui ont arrêté ces deux malfrats sont menacées. Pour en avoir une idée, nous nous sommes rendus chez le procureur qui nous a fait savoir qu’en son absence, son collègue l’aurait informé que des arrestations auraient été faites par des militaires, c’est pourquoi, les individus concernés ont été relaxés. Une autre fois, nous traduisons un récidiviste lobi qui a donné un coup de machette à un peulh, devant la justice, mais il est mis en liberté. Il y a également le chef des dozos de Sialè, qui a été identifié comme l’un des acteurs des exactions, mais il circule en toute liberté. Finalement, l’officier qui était chargé de la procédure a fini par s’énerver devant la tournure que prenaient les choses au niveau de la juridiction. Les sept personnes convoquées ont été toutes libérées, on ne sait pourquoi.
Est-ce à croire que la justice est un échec à Bouna ?
Bien sûr, et je l’ai répété lors de ma conférence de presse à Abidjan. Le ministre de la Justice doit démissionner pour son parti pris avéré. Il est issu de la communauté lobi et toutes les plaintes contre les membres de cette communauté n’ont aucun effet devant la justice de Bouna. La seule fois où le ministre Sassan Kambilé a appelé le président de la jeunesse communale, c’est lorsqu’il a appris que des jeunes s’apprêtaient à aller chez le chef central des Lobis. Nous n’avons pas confiance au ministre. Et les actes posés par la justice de Bouna nous confortent dans notre position.
Selon vous, quelle est la thérapie pour mettre fin au mal dans le Bounkani ?
D’abord, il faut un minimum de considération pour les victimes. Comment comprendre que des personnes, qui ont tout perdu, soient vidées des camps où elles avaient trouvé refuge, en pleine saison des pluies ? Ensuite, il faudrait que l’Etat prenne ses responsabilités pour désarmer les populations et les bandes armées. Aujourd’hui, beaucoup de personnes sont détentrices d’ armes à feu dans le Bounkani. A cette allure, tous les efforts sont vains et on repart chaque fois de zéro. Il n’y a pas de cohésion à Bouna. Cela est prouvé par l’existence de deux marchés. Ce qui n’était pas le cas avant. Et bizarrement, c’est où les hommes politiques passent faire de la sensibilisation que les choses semblent s’envenimer.
Quelles sont les perspectives visées pour atteindre vos objectifs ?
Nos actions sont essentiellement orientées vers la reprise des activités de nos parents. Mais nous demeurons confrontés à des problèmes sécuritaires. C’est pourquoi, nous organisons toujours des délégations qui se rendent sur les lieux où il y a des conflits, pour sensibiliser tout le monde sur la nécessité de revivre ensemble.
Dans vos démarches, avez-vous déjà tendu la main aux jeunes issus d’autres communautés, notamment ceux de la communauté Lobi?
Nous sommes un collectif de victimes, qui n’a rien à avoir avec la jeunesse. Notre rôle n’est pas d’aller vers les jeunes, mais plutôt œuvrer pour que les victimes entrent dans leurs droits. Je tiens à préciser que nous ne sommes pas en conflit avec une quelconque jeunesse. Je voudrais lancer un appel à l’endroit des populations et du gouvernement. L’action du gouvernement pourrait favoriser la cohésion entre les communautés. C’est ce qu’attendent les populations. L’attitude des populations sera évidemment la conséquence de l’action gouvernementale.
Entretien réalisé à Bouna par Sériba Koné
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