Interview/ Lionel Zinsou (Premier ministre béninois) : « Je m’honore d’avoir été l’élève d’Alassane Ouattara »
François Hollande entame ce jeudi une tournée africaine. Le président français est arrivé mercredi, à minuit, à Cotonou au Bénin. Il se rendra ensuite en Angola puis au Cameroun. Le dernier chef d’Etat français à s’être rendu au Bénin, était Jacques Chirac en 1995. François Hollande arrive alors que son homologue béninois, Thomas Boni Yayi est en fin de mandat et a promis de ne pas se représenter. Or ce dernier vient de nommer le 18 juin un nouveau Premier ministre, l’homme d’affaires franco-béninois Lionel Zinsou. Ce choix a créé la surprise, et la polémique, certains reprochant notamment à Lionel Zinsou sa trop grande proximité avec Paris. Il est justement l’invité d’Afrique matin. Il répond à Sébastien Németh.
RFI : Le président Boni Yayi était à Paris début juin, vous avez été nommé, François Hollande vient au Bénin, beaucoup de gens se demandent si au final ce n’est pas la France qui vous a fait Premier ministre, si ce n’est pas un peu le retour de la Françafrique. Qu’en pensez-vous ?
Lionel Zinsou : C’est un sophisme extrêmement classique : comme ça s’est fait après, c’était donc à cause de ça. Il n’y a pas de relations de cause à effet. Les autorités françaises ont forcément été informées parce que j’avais un certain nombre de tâches, notamment faire naître une fondation Africa France et qui a été voulu par les gouvernements africain et français. Ça ne pose aucun problème et d’ailleurs je resterai co-président de la fondation franco-africaine. De même que les chefs d’Etat ont été prévenus par le président Yayi Boni quelques jours après au sommet de Johannesburg de l’Union africaine. La vérité, c’est que ce sont évidemment des questions totalement déconnectées, je suis Béninois, mes enfants comme mes paires habitent au Bénin. Je suis très actif dans ce pays, j’y ai crée une entreprise, j’y ai crée une fondation. Ça fait des années et des années que je le parcours le pays dans tous les sens, donc on n’a pas besoin que la France me nomme à une quelconque fonction. C’est purement de l’ordre de l’imagination. Mais il faut faire très attention à ça parce que l’opinion n’aime plus ce genre de référence. « Vous êtes allé à Paris, c’était forcément pour demander quelque chose », mais non voyons, c’était des échanges bilatéraux. Tous les gens dont les noms sont associés à a la Françafrique à partir des années 50 ou 60, je crains qu’ils ne soient morts en fait. Cette question n’existe plus que dans l’imaginaire des historiens, me semble-t-il.
Néanmoins, on ne peut pas nier que vous avez été la plume de Laurent Fabius. Est-ce que vous comprenez que certains grincent des dents du fait de votre proximité avec le pouvoir français ?
J’ai beaucoup d’amis dont Laurent Fabius, c’est absolument vrai. Mais j’ai décidé de publier la liste de mes amis, la liste des gens pour qui j’ai écris des discours. Je m’honore d’avoir écrit des discours pour des chefs d’Etats africains, je m’honore d’avoir été l’élève d’Alassane Ouattara quand il était gouverneur de la banque centrale. J’ai tellement d’amis, je vais publier la liste de mes amis et ça diluera peut-être un peu cette impression.
Il y a dix ans, vous aviez refusé de devenir le ministre de l’Economie du président béninois. Pourquoi acceptez-vous aujourd’hui de devenir son Premier ministre ?
J’étais dans mon entreprise à un tournant décisif, c’est une grande banque d’affaire qui venait de décider de mettre le cap sur l’Afrique et le Moyen-Orient, on était en plein au milieu d’un projet entrepreneurial et j’ai dit au président : « Je crois que je vous suis de toute façon plus utile comme conseiller spécial parce que vous n’avez pas tant que ça de capteurs sur le système financier international. J’appartiens à une des plus grande banque d’affaires du monde, c’est beaucoup plus utile que j’y reste et que vous m’utilisiez quand vous en avez besoin, acceptez que je sois votre conseiller. » Et c’est ce qui a été fait.
Cette fois, vous entrez dans le monde politique, qu’est-ce qui vous motive dans le fait d’être aux côtés d’un Président qui est en fin de mandat ?
Alors ça, je ne crois pas du tout à ça. Je crois que les institutions dans un pays qui a des vraies valeurs démocratiques sont pérennes. Je ne vois pas beaucoup de gens qui refuseraient d’entrer dans le gouvernement de Monsieur Barack Obama au motif que Monsieur Barack Obama n’a plus de majorité et qu’il est un président qui va finir son mandat. Le minimum que je peux aider à faire, à réaliser, c’est à ce que les dossiers soient en ordre pour l’administration suivante, qu’on ait tiré le meilleur parti de ce qu’on a commencé et qu’on ait évité l’attentisme pré-électoral. Parce que dans tous les pays du monde, on a une petite tendance à s’arrêter d’investir un an avant en disant on ne sait pas ce qui se passera demain. On va essayer de faire que le permis de construire ne prenne pas de retard, que les routes avancent. Dix mois c’est assez court dans la vie d’un pays, mais c’est assez long dans la vie des gens. Donc si on fait de la politique publique de proximité, je pense que l’on peut faire voir des changements. Et ça, ça va être un peu la méthode forcément. Je fais partie des gens qui sont venus aider le pays à une transition qui a besoin, probablement, de tous les enfants du Bénin, ceux qui sont nés à l’intérieur et nés à l’extérieur. Un Etat intègre, un Etat facilitateur, un Etat sobre et humble mais proche des gens, ça marquerait des progrès et ensuite ça donnerait la méthode. Je pense que si on arrive à faire goûter aux Béninois une espèce de satisfaction d’avoir un Etat qui les sert, ils en redemanderont, ne laisseront aucune administration demain régresser. Donc, progressons jusqu’aux derniers jours.
Vous parlez de la prochaine administration, certains journaux vous présentent comme potentiel successeur du président Boni Yayi notamment pour contrer une éventuelle candidature de Patrice Talon. Qu’est-ce que vous pensez de cela ?
Le Bénin est un pays qui a toujours eu, pour être sincère, un record de candidats à la présidentielle rapportés au nombre d’habitants. Parmi ces présidentiables, moi j’en connais déjà plusieurs que j’estime beaucoup. C’est un facteur qui devrait rassurer tout le monde et donc moi, je n’ai pas trop d’inquiétudes sur l’avenir.
Vous-même, la magistrature suprême, vous pourriez la briguer ?
A ce jour, je vois à peu près la vision, je vois à peu près ce qu’on peut faire, pour l’instant, ça me suffit complètement. Je n’ai pas de plan de carrière, je souhaite au président qui vient, qu’on lui fasse un départ lancé, c’est un relai 4×100 mètres et il faut qu’il soit Usain Bolt et on lui passera le témoin. Dans le 4×100 mètres, c’est important la façon dont on passe le témoin.
Source : RFI