[Interview/Coulibaly Soromidjo, président de la FENAVIPELCI] : «Seul Alassane Ouattara détient la clé de la paix et de la réconciliation»
Abidjan, 24-5-2019 (lepointsur.com) Président du conseil d’administration de la Fédération nationale des victimes de la crise postélectorale (FENAVIPELCI), Coulibaly Mamadou Soromidjo se dit préoccupé par la situation des victimes de la crise post-électorale et celle de la Côte d’Ivoire. Dans cet entretien, il démontre que la solution pour apaiser le cœur des habitants de la Côte d’Ivoire en vue d’aller véritablement à la réconciliation nationale et à la paix dépend du président de la République, Alassane Ouattara.
Comment se porte la Fédération nationale des victimes de la crise post-électorale?
La Fenavipelci se porte bien. Depuis que nous avons mis cette fédération en place pour nous occuper des victimes de la crise post-électorale, nous pouvons affirmer haut et fort que nous n’avons pas failli à notre mission. Nous avons travaillé, selon nos statuts et règlements, au bien-être psychosocial de nos adhérents. Je veux parler de la prise en charge sociale avec l’indemnisation, l’insertion, l’accompagnement et le suivi des victimes de la grave crise politico-militaire qu’a connue notre pays, la Côte d’Ivoire. Tant au plan matériel que financier. Nous avons agi au niveau scolaire, médical et de l’emploi pour les victimes que nous avons dans notre fichier. Nous n’avons laissé personne pour compte dans nos différentes démarches pour la prise en charge de nos victimes.
Y a-t-il une différence entre votre fédération et celle du Collectif des Victimes de Guerre de Côte d’Ivoire que dirige Issiaka Diaby?
Nous menons le même combat, celui de la valorisation de toutes les victimes de la crise post-électorale. Mon frère Issiaka Diaby et moi, nous nous entendons sur beaucoup de sujets et nous avons des points de vue communs sur beaucoup de questions relatives à la prise en charge sociale et à la lutte contre la pauvreté des victimes. Cependant, nous n’avons pas le même mode opératoire sur le terrain. Nous ne faisons pas de marche encore moins de sit-in pour nous faire entendre quand ça ne va pas. La Fédération nationale des victimes de la crise post-électorale (FENAVIPELCI) que je dirige est une association apolitique qui agit pacifiquement pour revendiquer. Chacun a sa manière de faire.
En parlant de victimes, peut-on avoir une idée de ceux que vous avez enregistrées comme victimes sur votre fichier ? Et celles du peuple Wê, à savoir, Nahibly, Petit Dukoué, Guitrozon, fortement touchées, qui crient “réparation et justice’’, font-elles parties de vos bases de données ?
Vous savez, chez nous, si on veut suivre et faire les choses dans les règles de l’art, tous les habitants de la Côte d’Ivoire sont tous des victimes de la crise post-électorale, parce que chacun des Ivoiriens, qu’on le veuille ou pas a été meurtri directement ou indirectement. La grave crise qu’on a connue n’a épargné personne. Nous avons des traumatisés, des handicapés, des mutilés, des démunis, des déscolarisés, des licenciés, des chômeurs, des réfugiés… Je peux vous dire que même le président de la République son Excellence, Alassane Ouattara, l’ex-président Laurent Gbagbo et Blé Goudé transférés à la Cour pénale internationale (CPI), M. Bédié sont aussi des victimes. Mais nous, nous avons notre appréciation et notre définition des victimes et ceux qui ont le pouvoir d’achat, nos gouvernants et autres organisations internationales de défense des droits de l’homme, la Communauté Internationale ont la leur. Donc, quelle que soit votre bonne volonté, vous ne pouvez pas aller contre leur volonté. C’est une situation difficile, mais nous faisons de notre mieux pour prendre en compte le maximum de victimes que nous avons enregistrées. Même le peuple Wê, nous l’avons dans notre fichier. C’est dire que nous avons la ferme volonté de prendre en compte tout le monde, mais à l’impossible nul n’est tenu, comme on le dit.
Alors, quelle relation entretenez-vous avec le ministère de la Cohésion sociale et de la lutte contre la pauvreté que dirige Mme Mariatou Koné ?
Nous voulons, par votre canal, remercier le président de la République, son Excellence Alassane Ouattara pour avoir mis ce ministère en place. On peut le dire, ce ministère fait suite à la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) dirigée par l’ex-premier ministre Charles Konan Banny et de la Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV) que dirigeait Monseigneur Siméon Ahouana. Nous avons eu de bons rapports avec ces deux structures et le travail qu’elles ont accompli a permis de mettre, en lumière, certaines vérités qui impliqueraient des Ivoiriens du bas niveau jusqu’au sommet de l’Etat, et qui nécessitent qu’on fasse véritablement des sacrifices pour aller à la réconciliation vraie et durable pour sauver la Côte d’Ivoire. Si réellement, nous le voulons tous. Selon le rapport de la CONARIV, la liste consolidée des victimes remise au président de la République, le 19 avril 2016, fait cas de 316 954 personnes à indemniser. La CONARIV créée par ordonnance n° 2015-124 du 24 mai 2015, après la dissolution de la CDVR, a procédé au recensement des victimes et a assuré que les victimes disposent d’une grille d’indemnisation consensuelle sur laquelle peut s’appuyer le ministère que dirige aujourd’hui Mariatou Koné. La CONARIV a souhaité ensuite que s’amorce véritablement l’indemnisation à grande échelle des victimes. Avec le ministère de la Cohésion sociale et de la Lutte contre la pauvreté, nous essayons de travailler en étroite collaboration. Mais il faut le reconnaître, il y a des grincements de dents par rapport à sa méthode de travail.
On peut savoir pourquoi ?
Quand ce ministère a été mis en place, nous avons été les premiers à saluer son arrivée. Nous avons même été l’un des premiers à la rencontrer et à lui faire part de nos idées et des préoccupations, comme nous l’avons fait avec M. Banny et Monseigneur Ahouana. Ce ministère est tellement important pour la réconciliation et la paix en Côte d’Ivoire qu’il y a lieu de lui donner toute sa notoriété et sa place pour permettre aux Ivoiriens de se retrouver comme par le passé quand le père fondateur, le président Félix Houphouët-Boigny, nous dirigeait. Je pense même que le président Alassane Ouattara voulait s’appuyer sur ce ministère pour la paix en Côte d’Ivoire. Malheureusement, il y a un grand fossé entre la vision émise et l’application. Aujourd’hui, c’est le problème qu’a ce ministère. Il y a un problème au niveau de la mise en œuvre de la vision. On a l’impression que la ministre travaille selon sa méthode, elle n’écoute personne et prend des décisions sur des bases qui, parfois, nous surprennent. Les victimes sont prises en compte en fonction de ses critères et quand nous demandons pourquoi, nous n’avons jamais reçu de réponses satisfaisantes. Pourtant, la CONARIV lui a remis une grille d’indemnisation consensuelle sur laquelle elle peut s’appuyer si elle ne fait pas confiance aux associations de défenses des droits des victimes. Et ce n’est pas aussi le cadre de concertation et d’échanges qui manquent ! A chaque fois qu’elle a besoin de nous, la Fédération nationale des victimes de la crise post-électorale (FENAVIPELCI), répond présent. Mais nous ne savons toujours pas pourquoi son ministère et elle font une catégorisation des victimes. Aujourd’hui, le président de la République, a fait de l’année 2019-2020 une année du sociale. Logiquement, son ministère devrait être au-devant et sur tous les fronts pour donner le sourire à ces milliers de victimes en premier.Mais non ! Ce sont des actions sporadiques que nous voyons. Et chose que nous estimons grave, c’est l’absence de la direction de la pauvreté. Depuis que ce ministère existe, on n’a pas de directeur de la pauvreté pour mettre en action, le plan de lutte contre la pauvreté. Or, logiquement, cela devrait être une priorité pour elle. Car qui parle de pauvreté, parle de social, de cohésion, de réconciliation et de paix. Nous savons tous aussi qu’un homme qui est pauvre, qui n’a pas le minimum pour vivre, il lui est difficile de parler de réconciliation et de paix. Alors, nous demandons à Mme la ministre, Mariatou Koné, de faire un effort pour mettre à exécution cet autre volet de son ministère pour le bonheur de tous.
Alors, au regard de tout ce que vous venez de dire, doit-on comprendre que la cohésion sociale, la réconciliation et la paix sont plombées ?
Moi, je ne suis pas pessimiste. Je crois à toutes ces valeurs pour la Côte d’Ivoire. Vous savez, quand dans une famille, il n’y a pas d’entente, on se dit toujours que la seule personne qui peut amener l’entente, c’est le chef de famille. Donc, pour nous, la seule personne qui peut ramener la cohésion sociale, la réconciliation et la paix dans ce pays, c’est le président Alassane. IL est le chef suprême et le garant de l’unité et la paix. Il lui suffit de dire un seul mot, de faire un seul geste et tous les Ivoiriens vont se retrouver comme avant. Il faut qu’il comprenne qu’il n’est pas le président d’un parti politique, encore d’un groupement ou d’association. Il n’est pas le président du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Mais il est avant tout le président de tous les Ivoiriens. Il faut donc qu’il sorte de cet engrenage dans lequel il s’est mis, avec ce chantage et cette pêche forcée de militants. Si nous sommes dans un pays démocratique et que lui-même se dit démocrate, il doit laisser chacun se battre pour adhérer librement dans le parti qu’il veut. Les opposants s’opposent et nous autres, nous nous occupons de nos victimes et vaquons tranquillement à nos occupations. Vous savez, nous avons été les premiers à adresser un message de salutation au président de la République quand il a libéré les 3100 prisonniers politiques avec à la clé, l’ex-Première dame Simone Gbagbo. Nous nous sommes réjouis, car bien avant, nous avons fait un point de presse pour demander au chef de l’Etat de libérer tous les prisonniers, y compris les militaires parce que cela allait être un acte très bénéfique pour la cohésion sociale, la réconciliation et la paix dans notre pays. Aujourd’hui, nous continuons de plaider afin que le président parle aux Ivoiriens, libère les prisonniers militaires et permette au président Gbagbo et à Charles Blé Goudé de rentrer. Ils sont des Ivoiriens et très importants pour la réconciliation et la paix que nous cherchons.
Que pensez-vous de la situation délétère qui règne entre le président Ouattara, Bédié et Soro Guillaume?
Pour moi, il n’y a vraiment pas de crise en la réalité entre ces différentes personnalités du pays. Moi, je qualifie cela de “palabre de cour commune’’. Donc, pour moi, cela ne peut pas prospérer longtemps.IL suffit qu’ils ouvrent le dialogue entre eux et tout va rentrer dans l’ordre. Aujourd’hui, tous les yeux sont rivés sur les élections de 2020. Certains annoncent l’apocalypse. Moi, je suis optimiste parce que je crois à la capacité et au pouvoir de notre président de la République, son excellence Alassane Ouattara, à se transcender, à nous surprendre positivement, comme il a fait en libérant les 3 100 prisonniers politiques et en acceptant la libération et l’acquittement sous condition deLaurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
Donc, pour vous, il n’y a pas lieu de se faire peur pour les élections de 2020 comme l’a souligné le président Ouattara lui-même?
Mais, je ne fais que vous prendre aux mots, le président lui-même. Pourquoi celui même qui est le responsable du pays, dit d’arrêter de se faire peur pour les élections de 2020 et vous voulez que je me fasse peur. S’il le dit, c’est qu’il a les moyens, la capacité de faire régner la paix et d’offrir des élections crédibles aux Ivoiriens. Donc, moi je le crois et je pense qu’on se fait peur pour rien. Si des pays comme l’Afrique du Sud et le Rwanda, déchirés par l’apartheid et la guerre, ont pu se réconcilier et aller de l’avant, ce n’est pas nous qui allons rester à la traîne. Je pense que les Ivoiriens ont été suffisamment écorchés par une crise pour vouloir replonger dans une autre crise qui risquerait d’être plus dramatique que celle de 2010. Nous, à la Fédération nationale des victimes de la crise postélectorale (FENAVIPELCI), ne voulons plus enregistrer d’autres victimes. Car ceux qui sont déjà là, nous n’avons pas encore fini de nous en occuper. Alors, je demande aux Ivoiriens de faire preuve de grandeur, de retenue et de sagesse pour que nous allions à des élections libres, transparentes et apaisées pour notre chère Côte d’Ivoire, que nous aimons tous. J’en suis sûr et convaincu.
Interview réalisée par Fidèle Neto