[Interview] Ancien journaliste et homme du tourisme, Marc Vicens parle de Laurent Dona Fologo, de l’hôtel Ivoire, de ICTA voyages…
Jacqueville, 08-02-2021 (lepointsur.com) À Barthelemy Zouzoua Inabo: J’arrive à Jacqueville le jeudi 4 février 2020. Je croise au hasard un de ceux que nous appelons dans notre jargon, « un doyen », Marc Vicens. Fanatiquement journaliste, passionnément, homme du tourisme. L’ancien journaliste au quotidien Fraternité-Matin me raconte son bref passage au quotidien gouvernemental et son long bail dans le tourisme. Il me parle de Laurent Dona Fologo, de Auguste Miremont, de Jean-Pierre Ayé, de Simplice D. Zinsou… De l’hôtel Ivoire, de ICTA voyages, de son espace gastronomique en bordure de mer dans la capitale de la région des Grands Ponts… Le vendredi 6 février 2021, la mauvaise nouvelle tombe : Laurent Dona Fologo est décédé. Le samedi 7 février 2021, peu avant midi, je retrouve un homme totalement affligé. Enthousiaste au début de l’entretien et qui craque à la fin. Son visage s’assombrit, les yeux rougissent et il retire ses lunettes pour stopper les larmes qui coulent, qui portent en elles, tout le souvenir de sa relation forte avec Laurent Dona Fologo. Interview.
Marc Vicens, vous êtes journaliste de formation. Vous avez travaillé à Fraternité-Matin. Vous êtes de l’Ecole de journalisme de Strasbourg. Laurent Dona Fologo de l’Ecole de Lille. Vous avez travaillé avec lui. Nous avons appris la très mauvaise nouvelle, ce vendredi 5 février 2021, Laurent Dona Fologo est décédé. C’est un baobab qui s’écroule-là…
Marc Vicens : Laurent Dona Fologo a été pour moi, un grand frère. C’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier. D’abord dans le journalisme puis au tourisme. Tout le monde me connaît au tourisme. Mais les gens ne savent pas que je suis d’abord journaliste avant d’épouser le métier du tourisme. Comment cela s’est passé ? Quand je suis arrivé de Strasbourg, Laurent Fologo m’a demandé de commencer mon stage à Fraternité-Matin. Une des premières missions qu’il m’a confiée, c’est d’aller interroger le directeur général de l’hôtel Ivoire. Je lui ai dit, je ne connais rien au tourisme. Il m’a dit ce n’est pas grave. Tu vas te débrouiller. C’était en 1972. Je suis allé réaliser cette interview avec M. Carpentier qui était le directeur général de l’hôtel Ivoire. Je ne savais pas par où commencer. Et M. Carpentier me guidait. J’ai noté très vite qu’il cherchait ses mots en Français. Sa mère est Américaine. Il a commencé à parler le Français quand il est parti à Paris. Je lui ai dit que je pouvais faire l’interview en Anglais, s’il le souhaitait. Nous avons fait le tour de la question. Mon comportement a plu à M. Carpentier. Il m’a proposé de venir travailler avec lui à l’hôtel Ivoire. J’informe Laurent Dona Fologo. Il était le directeur général de Fraternité-Matin. Il a éclaté de rire et il me dit « tu vas aller étudier à l’université pour venir travailler dans un hôtel » ? Il me dit, « va essayer. Si ça ne te plaît pas, tu reviens ». C’est comme ça que j’ai accepté de travailler avec M. Carpentier à l’hôtel Ivoire. C’est ainsi que ma carrière dans le tourisme a commencé. J’y suis resté pendant 48 ans.
Justement, Laurent Dona Fologo a été votre grand frère, votre patron. Quel genre de journaliste était-il ? Quels rapports entretenait-il avec ses collaborateurs ?
M.V : Il entretenait de très bons rapports avec ses collaborateurs. Moi, personnellement, il m’a tout de suite mis à l’aise. Et, c’est tout Fologo ça ! Il a une autre qualité qui est extraordinaire : il te dit toujours la vérité. Ça peut ne pas te plaire, mais après réflexion, tu finis par te dire, « le grand frère a pleinement raison ». Il a toujours le mot pour rire. Ceux qui l’ont côtoyé ont dû le remarquer, il prenait son interlocuteur par la main. Je trouve que c’est un signe indéniable d’une personne vraiment très ouverte et très simple. Il répétait toujours, « le journalisme mène à tout, à condition de pouvoir en sortir ». Nous sommes restés très liés. Il avait aussi ceci qui était très bien : il ne disait pas que c’est l’Etat qui paie. Donc, on peut facturer comme on veut. Il était soucieux des biens de l’Etat.
L’époque Fologo a consacré ce que l’on a appelé « le journalisme de développement ». Cette expression recouvrait quoi, au juste ?
M.V : Journalisme de développement parce que Laurent Dona Fologo, c’était quand même le début des années 70. Il n’y avait pas beaucoup de personnes comme Fologo. Il s’est dit, je ne veux pas être seulement journaliste. Je vais essayer d’apporter ma pierre à la construction des différentes régions. Tout en étant journaliste, il avait un pied dans la politique. Le président Felix Houphouët-Boigny l’avait tout de suite remarqué. Il lui a fait mettre un pied dans la politique. Le journalisme, c’est l’ouverture d’esprit. Et quand il voyait quelque chose qui était faisable dans telle ou telle région, il n’hésitait pas à le dire au président Felix Houphouët-Boigny. Comme par exemple, les rizières. À l’époque, la Côte d’Ivoire importait beaucoup de riz. Et dans les différentes tournées que nous faisions à l’intérieur du pays, nous nous sommes aperçus que nous avions tellement de bas-fonds et que nous pouvions faire de grandes rizières. Laurent Dona Fologo, à l’époque, a fait des notes au président Houphouët-Boigny. C’est de là est partie l’idée de la création de la SODERIZ. Je peux dire que c’était une action de Fologo. La SODERIZ a d’ailleurs bien marché. Mais les problèmes politiques ont plombé la société. Laurent Dona Fologo était un homme très attachant.
Laurent Dona Fologo est le modèle réussi de la transition du journalisme à la politique. Il s’en est plutôt bien sorti avec Houphouët-Boigny, avec Henri Konan Bédié, avec Guei Robert, avec Laurent Gbagbo, avec Alassane Ouattara. Au point que l’opinion publique dit « il sèche ses habits là où le soleil brille ». Comment analysez-vous cette démarche politique de Laurent Dona Fologo ?
M.V : Laurent Dona-Fologo est un homme avec lequel personne ne peut se fâcher. Il peut ne pas être de votre bord politique, mais il se dit toujours que le point de vue de l’autre mérite d’être écouté, d’être analysé. Il a fréquenté tous les présidents. Il s’entendait avec eux tous. Il a eu une belle carrière, bien remplie.
Si vous devriez camper Laurent Dona-Fologo, le journaliste, l’homme politique en deux mots, ce serait quoi ?
M.V : Laurent Dona-Fologo n’a jamais quitté le journalisme. Il avait sa façon de faire, de dire les choses qui faisait de lui, journaliste d’abord, puis homme politique. Il me souvient que le Roi Hassan 2 avait demandé à Felix Houphouët-Boigny de lui envoyer Laurent Dona-Fologo pour écrire son discours, à l’occasion d’une grande rencontre internationale sur la presse. Pour vous dire que cet homme est un panafricain, ouvert sur le monde, multiculturel et multiconfessionnel.
Interview réalisé par Fernand Dédeh