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[Guerre en Ukraine] Des dizaines de « mercenaires » français tués à Kharkiv ?


Le Parlement russe a adopté mercredi 24 janvier une résolution dénonçant la présence de « mercenaires français » en Ukraine. Ce vote de la Douma fait suite à l’annonce par la Russie d’un bombardement sur Kharkiv qui aurait tué, selon le Kremlin, des dizaines de combattants français dans la nuit de mardi à mercredi 17 janvier. En réalité, la mort annoncée de ces Français en Ukraine s’inscrit dans une vaste attaque informationnelle.

Présenté comme mort par la propagande russe, Alexis Drion est bien vivant.
Présenté comme mort par la propagande russe, Alexis Drion est bien vivant. © RFI

Tout commence le mercredi 17 janvier lorsque le ministère russe de la Défense affirme avoir frappé un immeuble de Kharkiv, dans le nord-est de l’Ukraine, utilisé comme « zone de déploiement temporaire par des mercenaires, dont la plupart étaient des citoyens français ». Moscou évoque alors l’élimination de 60 combattants et 20 blessés. L’ambassadeur de France en Russie, Pierre Lévy, est convoqué dans la foulée par le ministère russe des Affaires étrangères. De son côté, Paris dément formellement l’information.

Quelques jours plus tard, les identités de plusieurs combattants français, présentés comme des mercenaires et qui auraient été tués à Kharkiv, apparaissent sur une chaîne Telegram russophone. Plusieurs listes circulent, dont certaines sont déjà apparues en ligne en 2022. La plus populaire comporte 13 noms, d’hommes âgés entre 24 et 49 ans. Plusieurs médias russes de premier plan, Spoutnik, RT, Ria Novosti, la relaient, en guise de preuve de l’élimination de combattants français.

L'agence de presse russe, Ria Novosti, a partagé cette liste qui affirme, à tort, que des "mercenaires français" sont morts en Ukraine dans la nuit du 16 au 17 janvier.
L’agence de presse russe, Ria Novosti, a partagé cette liste qui affirme, à tort, que des « mercenaires français » sont morts en Ukraine dans la nuit du 16 au 17 janvier. © Capture d’écran/ Montage RFI

Sur les réseaux sociaux, des comptes identifiés comme des vecteurs habituels de la propagande pro-russe, participent eux aussi à donner de la visibilité à cette liste.

Plusieurs listes circulent activement sur les réseaux sociaux, poussées par des comptes de propagande pro-russe.
Plusieurs listes circulent activement sur les réseaux sociaux, poussées par des comptes de propagande pro-russe. © Captures d’écran/ Montage RFI

Pour savoir ce qu’il s’est réellement passé, la cellule Info Vérif de RFI est entrée en contact avec plusieurs membres de cette liste. Deux d’entre eux ont accepté de témoigner. C’est le cas d’Alexis Drion, deuxième nom sur la liste. Pako, de son nom de code, est parti en Ukraine en avril 2023 pour intégrer la compagnie Charly dans le 2e bataillon de la Légion internationale ukrainienne. Son groupe a été déployé sur le front est, dans la région de Donetsk, plus exactement dans la région de Liman et Yampil.

« Le 17 janvier 2024, j’étais bien dans les Pays de la Loire, en France, je ne suis pas mort, je suis bien vivant. Tout va très bien pour moi. Tout le mois de septembre, je ne suis pas reparti en Ukraine. Selon les informations que j’ai eues, aucun Français n’a été ni blessé ni touché par ces frappes. C’est une propagande russe juste pour faire peur ou pour chercher à mettre la France dans le conflit. »

RFI a rencontré Alexis Drion chez lui, le 23 janvier 2024.
RFI a rencontré Alexis Drion chez lui, le 23 janvier 2024. © RFI

Un autre nom figure sur cette liste, celui de Béranger Minaud. Il est, lui aussi, donné pour mort par la propagande russe. « Je confirme complètement que je n’y étais pas (le jour du bombardement sur Kharkiv, NDLR) tout simplement parce que je suis rentré en France depuis quelques mois. Il y en a d’autres qui sont sur cette liste que je ne connais pas directement, mais avec qui je communique et qui sont bel et bien en vie et qui n’y étaient pas non plus. » Tous les combattants français en Ukraine le répètent, il n’y a aucune preuve que des Français ont été tués ce jour-là.

Volontaires et pas mercenaires

Contrairement à ce qu’affirme Moscou, les combattants français en Ukraine ne sont pas des mercenaires mais des volontaires. La distinction est fixée par les Conventions de Genève. Le texte précise qu’un mercenaire est un individu engagé dans les combats mais « qui n’est pas membre des forces armées d’une partie au conflit ». Or la Légion internationale ukrainienne, où s’engagent les volontaires du monde entier, est une branche de l’armée régulière. Légalement, rien ne distingue Béranger Minaud d’un militaire ukrainien.

« On a exactement les mêmes statuts, les mêmes avantages et les mêmes inconvénients. Le seul avantage qu’on puisse avoir par rapport à un soldat ukrainien, c’est le fait que l’on puisse rompre notre contrat si on le désire. On combat sous l’uniforme ukrainien avec un contrat ukrainien, une carte d’identité militaire ukrainienne et un numéro fiscal ukrainien. On n’est pas comme Wagner pouvait l’être à l’époque d’Evgueni Prigojine où c’était une entreprise privée qui agissait au compte d’un État. »

Béranger Minaud, volontaire dans la Légion internationale ukrainienne.
Béranger Minaud, volontaire dans la Légion internationale ukrainienne. © RFI

L’un des autres critères qui définit un mercenaire, c’est « qu’il prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir (…) une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie ». Ce qui n’est pas le cas des volontaires de la Légion internationale qui touchent exactement le même salaire que les soldats ukrainiens, décrit Alexis Drion.

« La Légion quand on est sur base, on était payés 20 000 hryvnia, soit entre 390 et 500 euros, nourris et logés. En déploiement, c’est en fonction de la zone où vous allez atterrir et de là où vous dormez. Les primes peuvent varier, mais généralement vous allez être entre 70 000 et 120 000 hryvnia, donc entre 2 000 et 3 000 euros. » Alexis Drion affirme que les volontaires ne s’engagent pas pour l’argent.

« Pour vous dire, je suis rentré au mois de septembre, j’ai reçu la fin de mes salaires au mois de novembre. Et quand je dis enfin la fin de mes paiements, je n’ai pas été remboursé pour tout ce qui a été essence de ma poche, pneu réparé de ma poche pour aller en déploiement, essence, achats de matériel… Nous, ce qu’on dit, c’est que celui qui veut prendre l’argent, il a deux choix. Soit il va dans un club de militaires privés, soit il va dans l’équipe adverse qui est extrêmement bien payée. Moi, dans tous ceux que j’ai pu voir à la Légion internationale, tout le monde est là par idéologie, pour l’Europe. »

Contrat d'engagement dans la Légion internationale ukrainienne signé par Alexis Drion.
Contrat d’engagement dans la Légion internationale ukrainienne signé par Alexis Drion. © RFI

Les Français minoritaires

Cette fausse liste montre la volonté de la Russie d’épingler la présence de combattants français côté ukrainien. Pourtant, les volontaires français se font plutôt rares sur le front, selon Alexis Drion. « Quand je suis arrivé au 2e bataillon, il y avait cinq Français. Ils étaient en déploiement dans le Nord et quand je suis revenu, ils ont coupé leur contrat pour certains, d’autres sont rentrés à la maison, et du coup, j’étais le seul Français pour ce déploiement-là. Des milliers de Français non. Des centaines peut-être, dispersés à droite, à gauche. Après, il y a beaucoup d’allers-retours. Il faut savoir qu’il y a les volontaires de la Légion, les volontaires intégrés dans la défense territoriale ukrainienne et d’autres dans des unités comme le GUR (unité de renseignement, NDLR) ou les troupes de marine. »

Parmi les quelque 20 000 volontaires qui ont intégré la Légion internationale ukrainienne, « les Français sont largement minoritaires, confirme Béranger Minaud. Dans toute la compagnie, on devait être cinq Français. C’est peu. Il y a une grande proportion de Sud-Américains, d’Européens et de Nord-Américains. Les volontaires viennent de partout, de l’Australie au Japon. » À noter d’ailleurs que des citoyens français se sont aussi engagés côté russe.

Le ton monte entre Paris et Moscou

Cette opération de désinformation russe intervient dans un moment critique des relations entre Paris et Moscou. Quelques heures avant que la Russie n’annonce, à tort, la mort de « mercenaires français », la France officialisait la livraison de 40 missiles Scalp à l’Ukraine. Un timing qui a donc des airs de représailles de la part du Kremlin. Ciblée par cette attaque informationnelle, Paris n’est pas resté sans réponse. « Face à l’intensification de l’aide militaire française à l’Ukraine, nous nous attendons à ce que cette manœuvre d’intoxication russe se poursuive : nous la condamnons et nous renforçons notre dispositif de suivi de ces manipulations », a communiqué le ministère français des Armées ce vendredi 26 janvier.

Source : Rfi

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