Societe

Grand reportage/ Bouna: Attention au feu! (3ème partie)


-Autorités religieuses, administratives et élus confus

Une heure dans la zone des assaillants

Le chef du campement d’Assoumou II, Sidibé Adama. Ph. S.K

Le chef du campement d’Assoum 2, Sidibé Adama. Ph. S.K

Abidjan, 22 7 16 (lepointsur.com) Troisième journée de notre reportage, le vendredi 1er juillet, il est 15h25mn, au campement des éleveurs-cultivateurs d’Assoum II. Le décor de ruines dans cette contrée située à plus de 14 km de Bouna est encore perceptible. Le village est situé à 7 km de la ville en bordure de la route. Quant au campement qui porte le même nom, il est à environ 7 km dans la savane arborée.

Chemin faisant,  notre guide soutient avoir rencontré des miliciens, fusil d’assaut à l’épaule, la veille au moment où il se rendait dans le même campement. Nous sommes gagnés par la peur, parce qu’aucune patrouille de FRCI, dans cette zone reconnue comme l’antre des miliciens.

Le chef du campement, Sidibé Adama, rencontré sur place, affirme détenir 1.500 bœufs avant les affrontements. A ce jour, il indique en avoir perdu 60. « Nous avons été dépossédés de l’or et de toutes nos économies que nous pensions transférer en lieu sûr dans la mosquée. Malheureusement, ce lieu de culte a été profané. Les miliciens ont arraché les tôles de la toiture et y ont mis le feu après leur forfait », indique le chef.

Au campemnt d'Assoumou II, voici où dorment désormais ceux qui surveillent le bétail. Ph. S. K.

Au campemnt d’Assoum 2, voici des huttes où, désormais, ceux qui surveillent le bétail, dorment. Ph. S. K.

A la différence du campement de Djemitedouo, les parcs d’Assoum 2 sont clôturés de fils de fer. Nous inhalons les mêmes odeurs, mais avec  la petite pluie qui s’est abattue quelques minutes avant notre arrivée, les moucherons sont moindres. La vie commence à reprendre peu à peu. Le campement d’Assoum 2, à 14 km de Bouna, se reconstruit avec à partir de branches, branchages, bâches noires, et autres petits matériaux à portée de main. Ici, les éleveurs ont délaissé leurs cases et dorment dans des huttes. « C’est dans ces constructions que ceux qui veillent sur le bétail se cachent la nuit pour dormir, quand ils ne peuvent pas rentrer en ville à cause de la fatigue », explique le chef du campement.

Quant à la présence des miliciens dans la zone, la confirmation par notre hôte ne se fait pas attendre. « Ils étaient ici, hier, mais ils ne nous ont pas agressés. Nous avons pu voir deux d’entre eux sur la piste qui relie l’autre campement. Si vous avez de la chance, vous les rencontrerez, à votre retour », nous indique Sidibé Adama. Cette ‘’chance’’, nous l’aurons pas, sur le chemin du retour. Nous avons plutôt rencontré quelques éleveurs conduisant quelques bétails.

Autorités religieuses, administratives et élus confus

Depuis la survenue de ces tristes évènements dans cette région, toutes les couches sociales entendent jouer leur partition en vue de ramener la paix. Tour d’horizon.

Nous avons échangé avec le président du Collectif des Victimes de Miliciens dozos lobis dans le Bounkani (Cvmdlb), Ouattara Mohamed Junior

Nous avons échangé avec le président du collectif des victimes des affrontements inter-communautaires dans le Bounkani (Cvmdlb), Ouattara Mohamed Junior. Ph. S. K

Le président du collectif des victimes des affrontements inter-communautaires dans le Bounkani (Cvmdlb), Ouattara Mohamed Junior, s’est prononcé sur la question de la cohésion sociale. Cette association, née à la faveur des affrontements et, présentée officiellement le samedi 23 avril 2016 à Cocody, invite toutes les victimes à se joindre à l’organisation qu’il dirige afin que les vrais coupables des affrontements soient connus. « Notre association n’est dirigée contre personne. Notre objectif est que toutes les victimes parlent d’une seule voix. C’est pourquoi, toutes les communautés résidentes de Bouna qui se reconnaissent comme telles y sont représentées », indique Mohamed Ouattara Junior.

Le 2ème adjoint de l’imam de la grande mosquée de Bouna, El Hadj Cissé Adama, appelle à la cohésion à travers les rencontres que l’imam principal organise. « Nous demandons pardon à chaque partie et nous les sensibilisons à la paix du cœur. Nous avons reçu plusieurs cadres et élus ici, chez l’imam, et nous œuvrons à l’apaisement », rassure notre interlocuteur.

Par ailleurs, le secrétaire général de la mairie de Bouna, Coulibaly Seydou, s’insurge contre le second marché du quartier Gbonontchara né à la faveur de la crise, et pointe un doigt accusateur contre l’un des conseillers municipaux. Le conseil municipal étant accusé par la communauté koulango d’avoir octroyé le terrain de la naissance du marché, Coulibaly Seydou fait une précision de taille : ‘’Pour ne pas cautionner le faux, nous n’encaissons aucune taxe sur le marché en question. Il y a, certes, un conseiller connu de tous, qui en est à la base, mais des dispositions sont en train d’être prises  dans ce sens.’’

Pour le chef de la communauté Lobi, Bitaté Hien, ces affrontements relèvent du passé. « Le chef de l’Etat est venu nous réconcilier; nous sommes dans cette dynamique. Si entre la France et l’Allemagne, la guerre est finie, considérez qu’il n’y a pas de guerre entre nous, ici, à Bouna », coupe-t-il court. Le sexagénaire reconnaît aussi que la bagarre n’apporte rien. « Si vous faites des bagarres, vous ne devez pas incendier les biens des gens et commettre des meurtres », conseille-t-il. Le chef de terre, Drissa Ouattara  alias Gôrô-issiè (en langue Koulango),  appelle à l’apaisement et au pardon même s’il reconnaît que la communauté lobi refuse de participer à des actions de retour à la cohésion sociale. “Malgré le passage du président, Alassane Ouattara, nos mains restent toujours tendues vers nos autres frères lobis qui refusent de les serrer’’,  raconte-t-il.

Le 2ème adjoint à l’imam de la grande mosquée de Bouna, El Hadj Cissé Adama. Ph. S.K

Le 2ème adjoint de l’imam de la grande mosquée de Bouna, El Hadj Cissé Adama. Ph. S.K

En l’absence du roi du Bounkani, sa majesté  Djarakoroni II, son porte-parole, Ouattara Tchimborota Logossina, fait le point des rencontres qu’il entreprend auprès des différentes communautés pour un retour au calme et à la paix. « Ce n’est pas parce que sa majesté est en voyage que nous croisons les bras. Non ! Nous travaillons dans le sens de l’apaisement et d’un retour au calme », déclare le porte-parole du roi.

Malgré ses congés administratifs, le préfet de région, Tuo Fozié, ne manque pas au bureau. Il accepte de nous recevoir, mais refuse d’échanger avec nous sur la question liée aux affrontements. Même s’il reconnaît que la cohésion sociale  « a pris un coup », entre les différentes communautés à Bouna. « Je suis en congé et je suis soumis à un devoir de réserve. Je suis persuadé que tout va rentrer dans l’ordre », rassure-t-il.

Au tribunal de Bouna, le substitut du procureur d’Abengourou, Me Mambé Sylvain évoque les mêmes propos que le préfet de région. Cependant, de sources judiciaires à Bouna « la procédure suit son cours ». « Nous sommes là pour sanctionner tous ceux qui ont commis des infractions. Si le procureur refuse de vous entretenir sur la question, c’est parce que l’affaire est très sensible. Il sait que les populations victimes accusent la justice de ne pas faire son travail, mais la procédure suit son cours. Nous travaillons dans un environnement hostile. A ce jour, je peux vous rassurer que 90 présumés coupables sont encore détenus dans les prisons de Bouna et de Bondoukou. Le présumé chef des miliciens, Jean-Marie,  a été appréhendé le samedi 30 avril 2016, à l’exécution d’un mandat d’arrêt du juge d’instruction. Il a été arrêté au quartier Gbonontchara de Bouna et déféré à Bondoukou, avec quelques uns de ses complices»,  indique notre source judiciaire de Bouna. « On ne peut pas garder des gens contre qui il n’y a pas suffisamment de preuves  », coupe-t-il court. C’est dans ce contexte peu reluisant que les populations de Bouna sont appelées à vivre ensemble et à resserrer leurs liens de fraternité.

Sériba Koné, envoyé spécial à Bouna

Légende de la photo de la UNE: Le chef de terre, Drissa Ouattara alias Gôrô-issiè (en langue Koulango). Ph. S.K

Encadré

Bouna: Attention au feu!

Arrivé le lundi 27 juin 2016, à Bouna, c’est le lendemain que nous avons entamé notre mission. Deux jours durant, nous avons écouté les différents antagonistes du conflit. Mais les victimes ne voulaient pas s’entendre dire  ‘’au revoir’’. Chacun voulait exposer sa souffrance, le temps n’avait pas sa raison d’être pour eux. Nous sommes resté patient, à les écouter et essayer de comprendre ce qui se passe réellement après le passage du chef de l’Etat à Bouna.

Nous avons, au cours de notre séjour, rencontré l’imam, le porte-parole de la cour royale, des responsables de la jeunesse, le secrétaire général de la mairie, le chef terrien et le chef d’une des communautés des agriculteurs. Nous nous sommes ensuite rendus dans un premier campement situé à 4 km de Bouna, à l’extrême nord de la ville.

Les 30 juin et 1er juillet, nous avons effectué le déplacement dans un campement, situé à 14 km de Bouna, à l’extrême sud de la ville, réputé, selon les riverains, être l’antre des miliciens. Il faut retenir tout simplement que la tension reste vive dans les cœurs encore meurtris. Chaque  partie reste campée sur sa position. L’égo et le manque d’humilité rendent difficile la cohésion sociale. Des armes circulent encore en brousse.

En somme, le feu couve encore sous des cendres. A cet  effet, la naissance d’un second marché dans la même ville est édifiante. Les cadres, les élus, le corps préfectoral restent impuissants face à la situation, à ce nœud cornélien. Notre objectif étant d’informer, sans mettre le feu aux poudres, nous nous sommes gardé de traduire certaines paroles incendiaires.

Il faut, par conséquent, revoir à froid le cas de Bouna, situer les responsabilités et donner une feuille de route claire à ceux qui doivent oeuvrer  au retour à l’entente entre les filles et fils de la région.

Si les autorités administratives,  les élus locaux et les chefs religieux se fient aux protagonistes qui déclarent unanimes que “la guerre est finie”, ils se trompent. La tension est masquée. Dans cette affaire où tout le monde a raison et tout le monde a tort, qui va s’abaisser pour demander pardon? Dans un conflit où des coupables se sentent victimes et crient à l’injustice, dans un conflit où les victimes (bourreaux, selon le camp adverse) crient à l’impunité, n’est-il pas illusoire de croire qu’on a enterré la hache de guerre?

En effet, le chef de terre central du Bounkani attend l’acte de repentance et de contrition de la communauté lobi, afin que les mânes soient “lavés” et “dédommagés”. Les Peulhs, qui ont perdu des biens matériels et financiers, attendent justice et réparation. Les Lobis veulent, à coup sûr, conserver leur marché pour être à l’abri des actes de vandalisme des Koulangos et leurs alliés. Le conseil municipal, qui ne veut pas encourager la division, manœuvre à son tour pour le marché unique. Dans un tel climat, on ne peut pas raisonnablement clamer que “le conflit relève du passé”.

Peut-on offenser impunément les ancêtres? Les éleveurs peuvent-ils abandonner leurs plaintes sans être dédommagés? Le conseil municipal peut-il laisser prospérer le marché lobi, source de “sessession”? Si les jeunes arrêtés sont jugés et condamnés, les Peulhs, en particulier, peuvent-ils sereinement et tranquillement pratiquer leurs activités pastorales?

Voilà autant d’interrogations teintées d’angoisse qui traduisent le climat morose dans lequel vit le Bounkani depuis le 24 mars 2016. Alors, que le gouvernement ne s’y méprenne pas, qu’il ne se laisse pas, comme un bébé, bercer par le refrain de la chanson “la guerre est finie”. Le gouvernement devra mettre en place une médiation de haut niveau, la Grande Médiature, par exemple, pour réconcilier les parties belligérantes. Sinon, sans être oiseau de mauvais augure, nous dirons que le prochain feu sera plus ravageur et destructif. Il est alors temps, grand temps qu’on use de beaucoup de tact pour circonscrire le danger afin que se ré-instaure une cohabitation pacifique, garante d’une paix véritable et durable.

Sériba K.

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